Contes de mon amie la cigale (9)
- Bientôt je vais partir, me dit un jour mon amie la cigale.
- Mais la bise n'est point encore venue, lui répondis-je stupéfait de ce prompt départ au coeur de l'été et aussi ennuyé de plus entendre ses contes.
- Homme de peu, rétorqua-t-elle, de croire les idioties proférées par monsieur de La Fontaine sur mon ancêtre. Mais nous aussi, dans notre monde, nous prenons des vacances et, comme vous les humains, jamais lorsqu'il fait froid ou qu'il pleuve. Je vais partir de l'autre côté des Pyrénées pour un figuier d'où mon cousin d'Espagne joue des castagnettes toute la sainte journée. il doit m'apprendre. Je vais profiter du Cers qui se lève pour passer les montagnes.
- Comme la Tramontane passe les montagnes, je rigolais.
Mon amie me regarda de ses deux yeux furibonds et je me vis bien péteux à l'infini dans ce regard à mille facettes. Elle me dit d'un ton sec:" Ce vent du Nord-ouest est prononcé ainsi à la mode catalane. En ce bas-Languedoc côtier, les anciens le dénommaient Cers, du latin Circus, parce qu'il tourne avec violence dans les airs Et les Romains en avaient fait un dieu: Cercius."
Je me renfrognais car je savais tout cela et qu'un vil insecte me reprenne m'avait irrité au plus profond de mon coeur d'Occitan.
Elle rit à gorge déployée de mon front buté de petit gosse pris en défaut, puis dit, des larmes perlant encore dans ses yeux: "Il faut que je te raconte qu'on voulut boucher le trou du Cers qui balaie fort cette côte, comme à vouloir rejeter à la mer le port de la Nouvelle et toutes ses âmes.
COMMENT BOUCHER LE TROU DU VENT
En ce temps-là, la voix enrouée du vieux garde-champêtre était devenu quasiment inaudible dans les rues du village pour ses "avis à la population". D'autant plus que le vieil homme taquinait trop le pastis fabriqué en contrebande par le facteur.
Et quand le Cers s’engouffrait en tourbillonnant dans La Nouvelle, ce qui était fréquent, c'était ensuite un beau charivari. Les gens s’habillaient de noir pour un mariage ou rigolaient fort sur le point d’enterrer un voisin. Monsieur le maire eut assez de la chose.
Surtout, un jour, lors de la noce de sa fille, Le Cers se fit si violent que, dans le cortège pour se rendre à la mairie, il souleva la robe de la mariée et tout le village invité distingua qu'elle ne portait pas de petite culotte.
Mais à qui s’adresser pour faire que le vent du Nord se tût ? Car pas question de prohiber le pastis de contrebande dont tous les administrés se régalaient, sous peine de perdre les élections municipales.
Au curé pour intercéder auprès de l’évêque, qui irait voir son cardinal, lequel pourrait en lâcher un mot au pape et ce dernier à Dieu? Cela risquerait de retarder inconsidérément la fin de cette cacophonie. L’évêché, la curie, puis le Saint-père, enfin les Cieux, ce n’était pas la porte à côté.
L’instituteur alors qui savait tout sur tout ? Non, il se présentait contre le maire aux élections municipales: lui quémander une aide rehausserait sa posture dans la cité.
Il y avait bien cet ancien soldat des colonies qui, grâce à des plantes, traitait un abcès ou bien endormait le plus insomniaque. Mais l’ex-militaire restait rarement à jeun passé midi. Et pour endormir le vent, il fallait se lever de bonne heure ce que l'ancien militaire n'arrivait jamais à faire.
Le maire envisagea l’appui de la gendarmerie pour verbaliser le Cers pour excès de vitesse. Le vent du Nord obtint un procès-verbal en bonne et due forme. Mais le lendemain matin, après l'accalmie de la nuit, il s'époumona tant et plus que tous les képis de pandores s'envolèrent au diable vauvert et qu'il fallut redresser le clocher de l'église.
Alors voilà, le premier magistrat songea tout simplement à boucher le trou par lequel le vent s’échappait. Il fit donc appel à des volontaires parmi ses concitoyens. Mais on ne se pressa pas au portillon pour cette affaire. Seul se présenta son premier adjoint, pour rendre service comme à son habitude et parce qu’il bricolait à ses heures perdues. Et voici notre bougre parti en campagne, muni d’une truelle et d’un plein seau de mortier. Direction Nord-ouest.
L’adjoint au maire était un brave gars. Il dépassa Sigean, chef-lieu de canton, puis Narbonne, siège de la sous-préfecture, sans pour autant avoir débusquer un orifice. Après Carcassonne, cité principale du département, il téléphona d’avoir fait encore chou blanc. Devait-il encore persévérer dans sa traque ? Et comme le maire lui intima de poursuivre une mission de la plus haute importance, ce brave homme parvint un jour sur les quais du port de Bordeaux.
Devant la mer océane à perte de vue, il embarqua sur un paquebot: son devoir avant tout. Il télégraphia de New York sa nouvelle impuissance à bien faire. « Continuez, macarel », gronda monsieur le maire de La Nouvelle.
Longtemps, on n’eut plus aucune nouvelle de l’itinérant. Un matin, un cargo d’Afrique du Nord fit relâche dans le port. L’adjoint en descendit, méconnaissable sous une longue barbe blanche vieille de plusieurs années. Il n’avait pas trouvé à boucher le trou du Cers.
Mais qu’importait. Le vieux garde-champêtre aphone était mort et enterré et le maire avait été battu aux dernières élections. Désormais, des hauts parleurs étaient postés à tous les coins de rue pour informer la population. Seulement voilà, lorsqu’on les branchait, cela disjonctait dans les foyers et se coupait en même temps la lumière du jour.
Du coup, l’instituteur, rendu maire de La Nouvelle, cherchait après un électricien.
Mais celui qui revenait de son interminable tour du monde, fit semblant de n’avoir rien entendu.
- Bon, me dit la cigale, avant de faire mes valoches, cette nuit, regarde dans les cieux, tu y verras le lanceur de comètes, si néanmoins tu pouvais le distinguer!
Et mon ami la cigale fit frétiller ses ailles pour s'envoler.
- Attends un peu, lui dis-je promptement. Reviendras-tu me raconter d'autres histoires.
- Bien sûr pauvre sot, même avec la bise revenue.
J'ai espéré le soir venu avec impatience. Nullement à cause que cette journée fut particulièrement caniculaire. Demain, les gazettes feraient leurs choux gras de ce marronnier estival. Il faut bien qu'elles vendent, au lieu d'informer plus sur les choses de la vie qui elles ne sont pas normales pour le quotidien des gens.
Enfin la nuit venue, les étoiles et les rêves parsemant le firmament, j'ai écarquillé mes yeux le plus que je puisse le faire. Mais pas de lanceur de comètes dans la voie lactée. Mon amie la cigale m'aurait-elle menti? J'allais me coucher, renfrogné comme pas un, lorsque la lune, toute ronde dans le ciel, me sermonna:
"Relève-toi nigaud, me dit l'astre d'argent. Le lanceur de comètes ne va pas tarder. Regarde dans le manteau de la nuit ces gerbes d'étincelles. Elles retombent là où le songe renaît, au-delà du silence et de l’oubli."
Alors j’ai contemplé la douce figure de la lune souriante comme l'étaient mes grands-mères et toutes ces étoiles filantes qui sillonnaient cette nuit d’été. Elles étaient des milliers, des milliards, peut-être plus encore. Et moi qui ne crois en rien, je suis resté jusqu’au matin, espérant que l’une de ces flammes vienne rebondir à mes côtés.
LE LANCEUR DE COMETES
Alors je le vis enfin, à l'heure où va bientôt poindre le jour, mais bien avant que les petits chante-matin ne s'égaillent en garrigue persuadés d'être les allumeurs de la lumière sur la mer.
Il provint du creux des cieux, dans cette profondeur d’où naquit l’univers tout entier, au grand désespoir des dogmes religieux. Il cabriolait d'étoile en étoile. Il galopait à califourchon sur les ailes du vent, offrant à chacun une brassée incandescente à mettre dans ses rêves ou dans son cœur. Comme bien des portes lui étaient ouvertes, il prit tout son temps pour venir vers moi.
Puis, je fus ébloui par le prisme de son regard azuré, par son habit parsemé de lumières et ses bottes couleur de lune parfumée au lilas. Il était porteur de la liberté du vent et de la vigueur de l’onde sauvage, comme du feu hardi qui fait la parole juste et vaillante.
Ce fut mon chien qui me réveilla au creux de mon lit d'une grand coup de langue chaude d'affection Je vis dans son regard ravi que lui aussi, cette bête, avait aperçu le lanceur de comètes tant ses yeux brillaient.
Lorsque je sortis sous la treille du jardin, l'araignée filandière, dans son étoile toute perlée de rosée, me sourit.
Que vous me croyiez ou pas, je sais que la bonne idée est en suspens au-dessus de l’humanité, que les gens ne la voient pas encore à l'inverse de ceux qui ne sont pas humains. Pourtant le rêve est bien là, à portée de mains, empli de bons feux, de baisers et de meilleures saisons. La nuit comme le jour.
Après cette nuit merveilleuse, amenées par un petit Cers, les effluves sucrées de la garrigue apaisée roulèrent jusqu'aux rivages de la Méditerranée et dans mon coeur, mon amie la cigale chanta. Et avec elle, il me sembla entendre l' Immortèla, comme doit l'être mon Occitanie terre de luttes, de liberté et de fraternité...