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Gabriel Roulleau (assis sur la photo devant la Bourse du travail de Mantes) est né le 13 septembre 1901 à Vernon, petite cité normande en lisière du département de Seine-et-Oise. Il est marié et père de trois enfants lorsque la police française vient l'arrêter en août 1941. Auparavant, il avait été astreint à résidence obligatoire chez lui, 10 rue du Fort à Mantes, par décision préfectorale du 22 novembre 1940. Mais pourquoi cette arrestation précédée d'une assignation forcée à résidence? Gabriel Roulleau est-il un repris de justice notoire en liberté conditionnelle que la prison rattrape? Non, le métallo subit à nouveau les foudres du préfet de Seine-et-Oise.

En effet, ce haut-fonctionnaire de Vichy a décrété l'internement d'un ou de plusieurs communistes d'une commune si une quelconque propagande de leur parti interdit depuis septembre 1939 y était découverte. Maréchaliste convaincu, le préfet avait donné "un dernier avertissement aux fauteurs de troubles qui, estimant n'avoir pas dans le passé fait assez de mal à leur pays par des revendications démagogiques, poursuivent leur campagne de haine et d'agitation par des tracts et des affiches". Et l'homme de Pétain concluait ainsi sa proclamation aux habitants de Seine-et-Oise: "Vous ne servirez utilement votre pays, tout en gagnant l'estime des autorités d'occupation avec lesquelles je collabore avec loyauté pour la défense de vos intérêts, que par votre attitude correcte, disciplinée, digne de la réputation et des traditions françaises."

On l'aura compris, Gabriel Roulleau est interné au camp d'Aincourt pour sa fidélité au Parti communiste et parce qu'un tract de son parti a été découvert dans Mantes.

 

Un ouvrier en fonderie engagé politiquement.

Assurément, Gabriel Roulleau l'est, depuis qu'il se présenta aux municipales à Mantes, sur une liste communiste en 1930, 1935 et 1936; il fut même tête de liste pour ces deux dernières élections. C'est dire que, depuis ce temps, on le reconnaît comme l'un des dirigeants, sinon le premier d'entre eux, du Parti communiste local. D'ailleurs, c'est à ce titre qu'il semble être fiché ad vitam eternam par les services de police; sa fiche d'incarcération dans le camp d'Aincourt indique "chef des communistes de la région de Mantes".

 Durant ces années-là, le Parti communiste est  pourtant constamment battu et de loin aux élections locales. Mais Gabriel Roulleau l'amène sans cesse à la bataille, notamment en 1934.

En février à Mantes, lors du meeting unitaire contre les ligues factieuses françaises et le fascisme international, l'ouvrier en fonderie est sur la tribune pour porter la parole du PCF. En mars, il exhorte au calme les manifestants qui voulaient en découdre avec un groupuscule factieux réunis dans un grand hôtel de Mantes, ce dernier gardé par un impressionnant barrage de policiers et de gendarmes. Extraits de Mantes-Républicain lors de cet évènement: " De temps à autre, des chants, notamment celui de l'Internationale", s'élèvent. Grimpé sur une fontaine, Roulleau expose aux quelques centaines de camarades rassemblés-là, que le but de la manifestation est atteint, puisque c'est sous la protection d'une force armée considérable qu'un ou deux quarterons de fascistes mantais ont pu se rassembler." En mai, après les émeutes d'avril qui ont secoué l'agglomération suite à la non-réélection du député radical-socialiste, avec la CGTU, dont son syndicat de métaux tient une place prépondérante, la manifestation du 1er mai se déroule dans le calme; les gardes mobiles, encore en nombre, quadrillaient la ville de Mantes et les abords de la Bouse du travail.

 

Un ouvrier fondeur militant syndical.

Mais plus que son engagement au PCF qu'il ne reniera jamais, son militantisme en 1938 et 1939 au sein de l'Union locale CGT fut la cause majeure de son internement. Après avoir été responsable de la CGT des métaux, Gabriel Roulleau accède au bureau de l'Union locale de la région, pour en devenir son secrétaire général en 1938 et 1939.

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Le voici devant la Bourse du Travail en 1937 (assis, 2e à partir de la droite) au sein du bureau composé de 5 ex-unitaires et de 4 ex-confédérés, suite à la réunification de la Confédération générale du travail en 1936.

Cette année-là, Gabriel Roulleau croit la réunification de la CGT établie à tout jamais avec la victoire du Front populaire aux élections législatives. Mais les premières nuées assombrissent son espérance dès le mois de juillet. En Espagne, un coup d'état militaire fasciste tente de renverser la république de Frente popular sortie des urnes; et le gouvernement français déclare la "non-intervention" dans cette guerre civile qui commence, reniant tous ses pactes et contrats signés avec l'Espagne républicaine. En 1937, ce même gouvernement décrète la "pause sociale" dans son programme politique. L'unité de la CGT se lézarde. En 1938, les accords de Munich donnent toute satisfaction à Hitler, ce que seuls réprouvent le PCF et les communistes de la CGT. La fracture s'agrandit au sein de la confédération. Et en novembre 1938, à son congrès national, l'on s'en prend ouvertement aux cégétistes communistes, cela avec l'appui de dirigeants nationaux.

Divisée, la CGT lance une grève générale de 24 heures contre les décrets-lois Daladier. Mais sans manifestation ni rassemblement ni occupation d'usines, dit le communiqué confédéral. La grève est un échec retentissant et la police arrête Gabriel Roulleau pour l'interroger, sans que cela n'émeuve outre mesure le Mantois.

1939, la guerre approche. Ultime tentative contre les forces de l'Axe (Allemagne-Italie et bientôt Japon) qui veulent agrandir leur "espace vital", une alliance militaire avec l'URSS que soutient le PCF. Mais les discussions engagées lanternent et rien de concret à l'été 1939. L'Union soviétique est attaquée par le Japon sur sa frontière orientale. Alors, en août 1939, c'est le traité de non-agression germano-soviétque qui induit un tollé général à l'encontre du PCF; Il va être interdit en septembre, bien que ses parlementaires aient voté la rallonge de 60 milliards de francs au budget militaire.

A Mantes, l'Union locale est dissoute, parce que dirigée par Gabriel Roulleau et une majorité de communistes. Elle est chassée de la Bourse du travail. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, cela n'empêche pas que  la France mobilise aussi dans ses armées les citoyens de dernière zone que sont les communistes. Comme d'autres de ses camarades, Gabriel Roulleau se retrouve soldat. En mai 1940, il apprend sa déchéance de conseiller prud'homme, toujours pour son appartenance au PCF. La retraite de son régiment le ramène sur les bords de la Loire où il se trouve démobilsé avec l'armistice signée par le maréchal Pétain.

Devenu civil, Gabriel Roulleau doit nourrir à Mantes sa femme et ses trois enfants. La vie n'y est pas facile, aucun patron ne voulant salarier celui qui fut un meneur cégétiste dans le Mantois, communiste banni de surcroît.

 

Un métallo résistant.

Gabriel Roulleau n'est pas le seul à être rendu à la vie civile. Louis Racaud revient aussi dans sa ville natale, après avoir été prisonnier de guerre en Allemagne. Les nazis ont besoin des chemins de fer pour faire circuller leurs troupes, rouler les trains de déportés ou transporter les matériaux nécessaires à leur économie de guerre. Louis Racaud, ajusteur au dépôt de Mantes, embarquera à bord des locomotives.

Louis Racaud et Gabriel Roulleau se connaissent, l'un était dirigeant du Parti communiste, quand le deuxième intégrait les Jeunesses communistes. Tous deux ont été aussi adhérents de la CGTU. Ils se rencontrent discrètement  le 26 août 1940 avec Robert Dubois et Robert Le Maoût, eux aussi anciens de la CGTU et adhérents du PCF. C'est le premier embryon de résistance dans la région mantaise. Pas d'arme à leur disposition, que de l'outillage pour saboter quelques lignes téléphoniques, mais surtout la Ronéo et du papier subtilisés dans la Bourse du travail avant qu'elle ne soit dissoute et chassée de ses locaux; un policier sympathisant avait prévenu Gabriel Roulleau de l'imminence de la chose.

A cette époque le PCF est clandestin, éclaté, quand certains ne l'ont pas quitté aux lendemains du pacte germano-soviétique. Les quatre mantais n'ont rien renié; ils ont une double foi: combattre l'occupant nazi et garder confiance en l'URSS, la patrie qui construit le socialisme. Des premiers tracts circulent dans la région; des meules de foin pour l'armée allemande flambent en campagne et 600 quintaux de farine brûlent dans les Moulins de Mantes; des lignes téléphoniques sont aussi sabotées. Un rapport de police à l'été 1940, conservé aux Archives départementales de l'ex-Seine-et-Oise, atteste que de la propagande communiste a été découverte à Limay. Et suite aux cisaillement de lignes téléphoniques, la Feldkommandantur de Seine-et-Oise ordonne à la mairie de Mantes de faire paraître un avis à la population condamnant ces actes de sabotages.

A l'occasion du 14 juillet 1941, un nouveau tract est découvert dans Mantes. Aussitôt, le décret du préfet s'applique de droit sur les communistes fichés antérieurement par la police. Déjà en résidence surveillé, Gabriel roulleau rejoint le sanatorium d'Aincourt, réquisitionné en camp d'internement à l'usage exclusif des communistes de la région parisienne. Ce camp est ouvert depuis octobre 1940 sous administration exclusivement française et gardé par des gendarmes mobiles français. Aincourt, centre de tri vers d'autres prisons, le peloton d'exécution ou la déportation dont peu d'internés survécurent. Aincourt, camp oublié de la mémoire collective, de celle des gens du Mantois en particulier. Des internés y furent pourtant désignés comme otages par l'administration française et remis aux Allemands: 7 furent fusillés au Mont-Valérien, de nombreux autres envoyés dans les camps de la mort nazis.

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       l'entrée du camp d'Aincourt, en faction, un gendarme français.

Voir également à ce sujet mon livre Aincourt, le camp oublié paru aux éditions Le Temps des Cerises ou le site: http://www.aincourt.org. link

 

Ils sont 670 hommes à s'entasser dans une surface habitable prévue pour 200 malades; le réfectoire sert de dortoir à ceux de moins de 25 ans; les autres occupent à plusieurs les chambres de l'ancien établissement sanitaire. Jour et nuit, ils sont derrière des barbelés sous la surveillance de 12 guérites et de miradors armés de fusils-mitrailleurs points vers l'intérieur du camp; au départ, les gendarmes français ne détenaient que des revolvers, mais le préfet de Seine-et-Oise a obtenu des Allemands tout l'armement et les munitions nécessaires. Le règlement du camp et les sanctions sont plus sévères que dans une prison normale, révèle un rapport.

Dans le camp, Gabriel Roulleau ne renie pas son engagement politique. Les enquêtes diligentées fréquemment par le directeur sur les internés le dénombrent comme "communiste dangereux". En effet, le PCF se réorganise dans le centre d'internement et agit: journal clandestin écrit à la main; mouvements de grève; action à des dates spécifiques comme la célébration du 1er mai ou l'anniversaire de la Commune de Paris. Pour briser cela, l'administration transfère les internés qu'elle juge dangereux vers d'autres camps: Châteaubriant, Voves, Rouillé, Compiègne, Fontevrault...

Gabriel Roulleau est du transfert pour Rouillé le 6 septembre 1941. La fiche de police qui l'accompagne dit: "interné en vertu d'un arrêté du préfet de Seine-et-Oise en date du 7 août 1941. Secrétaire appointé de l'Union locale des Syndicats de la région mantaise. Secrétaire du Syndicat des métaux et propagandiste communiste. Était considéré comme le chef du mouvement communiste de la région de Mantes. Avant son internement, avait été astreint à la résidence obligatoire dans sa localité. Au camp d'Aincourt, ne s'est pas désolidarisé des doctrines moscoutaires".

Les 150 internés ont été réveillés individuellement à 3h 30 du matin pour ne pas fomenter une quelconque révolte. On les fouille au corps et on dérange leurs maigres affaires avant le départ. Dans ce transfert,  il y a un gendarme pour trois internés.

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      Camp de Rouillé dans lequel est conduit Gabriel Roulleau

Il en repart pour celui de Pithivers, car l'administration pénitentiaire veut briser cette résistance à Vichy et aux Allemands que s'y fait jour aussi. L'ouvrier en fonderie tombe gravement malade dans ce dernier camp. A l'infirmerie, il est tabassé à mort par la Milice et laissé pour tel sur un grabat. il échappe ainsi au dernier convoi de la mort pour l'enfer concentrationnaire nazi.

 Nous sommes en 1944 et le camp est libéré par la Résistance Française et des soldats alliés qui étaient tous proches. Gabriel Roulleau retrouve sa femme et ses trois enfants à Mantes, ainsi que Louis Racaud devenu l'un des responsables régionaux de la Résistance communiste.

 

En septembre, sous la signature de Gabriel Roulleau, l'Union locale CGT avise dans la presse libre qu'elle a repris ses activités à la Bourse du travail. Elle demande aux autorités de la Libération l'application stricte des conventions collectives établies en 1936, la défense des salaires, les paiements des journées insurrectionnelles de grève et une indemnité de 75% pour les salariés licenciés pour faits de guerre.

Gabriel Roulleau est élu conseiller municipal communiste aux élections de 1946 et retrouve son siège de conseiller prud'homme.