La Révolution de 1848 dans le Mantois
La Révolution de 1848 chasse la monarchie de Juillet de Louis-Philippe et proclame la république. De ce fait, elle emporte l’adhésion des couches populaires installées dans les grandes villes, notamment à Paris, et des forces de progrès social elles au demeurant encore bien minoritaires dans le pays.
Mais la France est profondément rurale et son économie reste pratiquement tournée vers l’agriculture ou ses métiers dérivés. La révolution industrielle initiée par le charbon, l’acier et la naissance du chemin de fer est encore balbutiante dans la société comme dans les esprits.
Le Mantois, cet arrondissement de Seine-et-Oise, ne dépare pas de cette réalité, même si le chemin de fer le traverse depuis le 4 mai 1843. Faute d’industries conséquentes, le temps du transport fluvial est vainqueur sur celui des marchandises par rail et l’agriculture prime dans l’activité des hommes. De même, la vapeur ne prédomine pas sur la force physique des bêtes ou des gens, aucune des 65 batteuses de la région n’étant mue par celle-ci. Les petites entreprises locales utilisent aussi produits et sous-produits agricoles, comme le chanvre pour la corderie de Gassicourt, le houblon pour la brasserie de Mantes ou le bois pour les sabotiers. Le 6 septembre 1875, 33 moulins à grains tournent sur la Vaucouleurs. Longtemps, Mantes-la-Jolie ne tient qu’une exposition des produits végétaux, comme celle des 18, 19 et 20 août 1883. Et la première industrie à s’embrancher à la voie ferrée est l’annexe de la tuilerie des Cordeliers, sise près de la gare de Limay. Toutefois, la scierie d’Arsène Collet, qui va fonder des succursales en province, installée à Mantes-la-Ville au bord de la voie ferrée, travaille exclusivement avec le chemin de fer en lui fournissant ses traverses et le bois dont il a besoin.
Dès lors, si la Révolution de 1848 ouvre de larges perspectives de mieux vivre dans les milieux ouvriers à Paris ou à Rouen par exemple, le Mantois, notamment Mantes-la-Jolie, sa plus grande ville, est en retrait sur cette espérance. Depuis la Révolution de 1789, elle prête constamment allégeance à tous les régimes qui se sont succédés au pouvoir. A la veille des journées de février 1848, elle ne dépare pas de cette position en soutenant l’ordre instauré par le roi Louis-Philippe.
Par le biais du chemin de fer, parviennent dans la région les échos de l’insurrection parisienne ou des émeutes ouvrières à Rouen contre les Britanniques mieux rémunérés que les Français dans les ateliers ferroviaires. A Bonnières-sur-Seine, on a incendié le wagon spécial du roi garé dans le triage et des conducteurs de la ligne Paris-Rouen, ayant fondé la Société fraternelle des mécaniciens et chauffeurs des chemins de fer, menacent de faire grève si on n’embauche pas des concitoyens au lieu des britanniques. A cause de ces évènements, un train de marchandises, en partance pour la Normandie, est stationné dans l’embranchement de Mantes-Station.
A une heure de l’après-midi du 24 février 1848, le sous-préfet est venu remettre au maire de Mantes un courrier du préfet de Seine-et-Oise signé de la veille et donc du gouvernement de Louis-Philippe. On lui intime de rester à son poste jusqu'à nouvel ordre et de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir l’ordre. Eugène L’Évesque et le sous-préfet vont agir de concert en ce sens, sans savoir que la 2ème république vient d’être proclamée à Paris.
Félix Philippoteaux, Lamartine repoussant le drapeau rouge à l’Hôtel de Ville, le 25 février 1848 (détail), Musée Carnavalet, Paris.
Des employés de Mantes-Station, mandés par leur chef de gare, quémandent des fusils, pas pour défendre la république mais les emprises du chemin de fer qui pourraient être attaquées. A cette époque, depuis 1832, les compagnies ferroviaires ont obligation d’embaucher d’anciens militaires à des postes « jugés sensibles » et le règlement régissant le chemin de fer, paraphé par le préfet en 1843, stipule que les gardes-voies « peuvent être munis d’un sabre ». Enfin, pour assurer la sécurité dans les enceintes ferroviaires et les trains, des commissaires et des surveillants généraux, rendant des rapports au sous-préfet et pouvant être révoqués par lui, sont aussi embauchés. Ce sont ces hommes que l’on veut armer. On ne le fera pas, faute de fusils. Mais le maire et le sous-préfet se rendent en gare afin de s’assurer que des soldats, venus de Vernon, sont bien arrivés pour garder les installations et le train de marchandises. Selon le rapport de la commission spéciale siégeant en mairie, à 7 heures de l’après-midi, le commissaire du chemin de fer vient demander le renfort d’une patrouille pour « arrêter un chef d’incendiaire jouant au billard dans la maison SAMSON ».
Municipalité, employés du chemin de fer et sous-préfet œuvrent donc pour garantir l’ordre. Le 29 février 1848, soit 5 jours après Paris, le Maire de Mantes annonce à ses administrés que la république est proclamée. Ce qui ne change rien, même si un arbre de la Liberté est planté place de l’Hôtel-de-Ville, le 7 avril, et que le 29, un crédit de 1 200F est voté pour créer un atelier national afin de « procurer du travail à des ouvriers ».
Les élections pour élire l’Assemblée nationale constituante ont lieu le 23 avril et le général Cavaignac anéantit par le sang, la prison ou la déportation les ultimes velléités révolutionnaires dans Paris du 23 au 26 juin.
Le Mantois, comme toute la province, s’était affolée. On parlait de bandes d’insurgés qui allaient incendier les champs et les commerces. Les campagnes s’étaient armées de vieilles pétoires, mais surtout de fourches et de lames de faux plantés comme des lances sur des bâtons. En fait d’insurgés, on ne les aperçoit que dans les convois stoppant en gare pour que la locomotive fasse son plein d’eau et de charbon, en route pour Le Havre.
Plus de 4 000 révolutionnaires, en majorité des ouvriers, sont tués à Paris. Autant sont déportés en Algérie depuis Brest ou Le Havre. En guise de remerciement, le général Cavaignac est nommé président provisoire de la république.
Les élections du 10 décembre 1848 portent à la présidence Louis-Napoléon Bonaparte qui, par le coup d’état du 2 décembre 1851, devient Napoléon III.
Dès le 8 janvier 1852, le préfet de Seine-et-Oise, Arrighi de Padoue, écrit aux maires de son département : « Les trois mots Liberté, Égalité, Fraternité, qui forment par eux-mêmes une touchante devise, attristent et inquiètent les populations par des souvenirs de troubles et de guerre civile qu’ils retracent. Je vous invite à les faire disparaître partout où il en existe encore.
Pour les mêmes motifs, vous enlèverez les arbres dits de la Liberté qui embarrassent les places publiques et les promenades. […] »
L’arbre de la Liberté, planté en grande cérémonie par le maire, est arraché le 15 janvier 1852 par les ordres du même. L’ordre impérial règne dans tout le Mantois, comme en France.
Le conseil municipal de Mantes va jurer sans difficulté « obéissance à la Constitution et fidélité à l’Empereur », comme il prêta allégeance au roi déchu.
Le 10 novembre 1854, il refuse la création d’une société de secours mutuel, arguant qu’à Mantes, il est convenablement prévu d’assurer un tel secours et que « de bons sentiments existent entre patrons et ouvriers ».
En 1856, un dépôt de machines et un atelier de réparations vont s’inscrire durablement, à Gassicourt, dans le paysage rural du Mantois, à le bouleverser entièrement. De là, vont naître les prémices d’un mouvement ouvrier solidaire et organisé.
Sources: Archives municipales de Mantes-la-Jolie. Recensement de Mantes-la-Ville. Archives départementales des Yvelines. Les origines du chemin de fer dans le Mantois et Le mouvement ouvrier dans le Mantois (L'Harmattan)