Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

  Aujourd'hui, la Maison des syndicats est implantée dans la zone industrielle de Mantes-la-Ville, là où se trouvait autrefois l'usine de La Cellophane. Il n'en fut pas toujours ainsi et ces locaux syndicaux se dénommèrent longtemps Bourse du travail, assis sur le territoire de Mantes-la-Jolie depuis une délibération municipale du 20 juin 1908.

  A cette époque, la municipalité dirigée par l'ancien syndicaliste Auguste Goust, par 17 voix pour, 7 contre et 1 abstention, accorde une subvention à l'Union fraternelle des syndicats ouvriers de l'arrondissement de Mantes "non seulement pour les locaux nécessaires aux réunions, mais aussi pour tout ce qui concerne l'organisation matérielle des bureaux".

 

  D'abord rue du faubourg Saint-Lazare.

   La première Bourse du travail va occuper tout le rez-de-chaussée de l'ancien couvent des Bénédictines désaffecté depuis qu'il a été mis en liquidation judiciaire à la date du 8 août 1904. il a été racheté par Henry Cauzard pour un projet immobilier qui ne s'est pas fait. Dès lors vacant, celui-ci va louer son rez-de-chaussée à l'Union fraternelle des syndicats ouvriers. Ce bâtiment, aujourd'hui rénové, existe toujours à usage d'habitations, à l'angle de la rue Victor Hugo et du boulevard Victor Duhamel. Carte postale ci-contre:

bourse-travail001.jpg

  L'édition du Journal de Mantes en date du 14 octobre 1908 décrit, dans le détail et sur deux pages, son inauguration sous le titre "La Fête du travail". Extraits:

"L'Union fraternelle a dignement inauguré, dimanche dernier, son siège social... Cette grande salle servira aux assemblées générales et aux réunions des différents groupes syndicaux. indépendamment de cette salle, la Bourse du Travail de Mantes comporte des bureaux et des dégagements convertis pour la circonstance en cuisines et en offices...

A onze heures, les maçons, les menuisiers, les peintres, les employés des chemins de fer, les luthiers, les métallurgistes sont réunis; parmi eux se trouvent M. Goust, Maire, Buron, Lebret, Marignier, Royer, Legendre, le Dr Godeau, conseillers municipaux. M. Ribot, secrétaire général de l'Union, entouré des secrétaires des différents groupes, convie les assistants à s'approcher d'une table chargée de verres, de bouteilles et de gâteaux, et adresse aux conseillers les paroles suivantes...

  ... jusqu'ici, ne pouvant fonctionner individuellement, il ne nous était pas permis d'obtenir toute la cohésion nécessaire pour l'amélioration de la classe ouvrière telle que nous pouvons l'espérer et par l'application des nouvelles lois ouvrières qui, hélas, sont trop méconnues.

  Avec notre Bourse du travail, ou en dehors de notre administration intérieure, nous organiserons des conférences tant pour l'éducation morale que pour approfondir les connaissances professionnelles, nous établirons également des permanences où tout le monde pourra venir chercher les renseignements nécessaires...

   Notre but est encore plus étendu et vous connaissez tous les sentiments qui nous animent pour les poursuivre, sans nous éloigner de nos devoirs mais néanmoins avec toute la fermeté que nous confère notre droit...

  Vive la République démocratique et sociale!

 

  L'annonce de la conférence-concert avait attiré au Théâtre une assistance nombreuse et la salle était pleine lorsque la séance fut ouverte par M. Goust. Sur la scène avaient pris place le secrétaire général de l'Union des syndicats, les membres des bureaux des syndicats et de la coopérative, et le conférencier M. Oudinot, chef de district à la Compagnie des chemins de fer de l'ouest, au Neubourg, un des militants les plus dévoués du syndicat des chemins de fer...

  M. Oudinot répond d'abord à ceux qui traitent de révolutionnaires les théories syndicalistes, en disant que si les travailleurs s'organisent pour lutter contre leurs exploiteurs pour transformer l'état social en faisant disparaître le salariat, cette forme de l'esclavage moderne, ils ne font que suivre l'exemple de la bourgeoisie de 1789, dressée toute entière contre les deux classes de la société qui détenaient à ce moment la puissance, les richesses et les honneurs, et démontraient ainsi que la lutte des classes existait déjà...

  Il fait ressortir ensuite la nécessité pour les ouvriers de s'unir pour la défense de leurs intérêts professionnels...

  C'est dans votre Bourse du travail que vous devez venir vous instruire, acquérir cette éducation qui fera de vous plus tard des travailleurs organisés, des producteurs assez forts pour se substituer aux capitalistes qui, dans l'état actuel des choses, exploitent votre labeur pour augmenter sans cesse leurs bénéfices...

  Au reproche d'internationalisme fait aux syndicats il oppose l'internationalisme des sociétés anonymes pour lesquelles le capital et les bénéfices, d'où qu'ils proviennent et sans distinction, sont également bien accueillis.

  Il exhorte les ouvriers à s'organiser aussi économiquement, à venir dans les coopératives de consommation... il montre les rapports intimes entre le syndicat et la coopérative qui, avec le socialisme, sont une des formes de l'émancipation ouvrière...

 Il s'adresse alors aux dames, elles aussi doivent se syndiquer, pour empêcher cette exploitation qui, par des salaires réduits, en fait les rivales de l'homme à l'atelier ou à l'usine...

  Enfin, il adjure tous les ouvriers de venir au syndicat, quelles que soient les opinions de chacun car la politique doit en être exclue...

  La partie concert commence...

 

  Le banquet: à six heures et demi du soir, les syndicats, les sociétaires de la coopératives et leurs invités se retrouvent à la Bourse du Travail... 217 convives... Il y a également une cinquantaine de dames et leurs fraîches toilettes viennent égayer encore cette réunion...

  Au dessert, M. Goust prit en premier la parole:

  ... je suis ici ni simplement comme représentant des syndicats, ni simplement comme représentant de la coopérative, ni même comme maire, mais uniquement comme un camarade heureux de collaborer journellement avec vous toutes les fois qu'il s'agit de développer parmi nous l'esprit d'association et d'affirmer les idées et les espérances des travailleurs...

  On a coutume de dire que les femmes doivent rester étrangères à tous ces mouvements d'émancipation qui nous agitent, à tous ces besoins d'éducation sociale qui font nous associer et nous solidariser pour la défense de nos intérêts: c'est une erreur! Et je prétends même que si parfois la femme était appelée, comme l'on dit, à mettre son grain de sel dans nos discussions, il jaillirait souvent de cette collaboration des deux sexes des idées de plus en plus généreuses; car à la froideur de nos raisonnements et à la rigidité de nos conceptions, la femme apporterait sa sensibilité naturelle, sa pitié pour tout ce qui souffre, pour tout ce qui est injuste...

I  l faut avoir confiance dans l'avenir et marcher résolument vers cet idéal commun du socialisme qui doit nécessairement et naturellement être la conséquence des progrès constants de la démocratie républicaine...

 

  Toast de M. Ribot:

 ... A Mantes, longtemps, nous avons méconnu cette loi syndicale qui, sans être encore parfaite, devait apporter au prolétariat, avec l'unité de tous, toute la cohésion indispensable à son affranchissement et à son amélioration matérielle et sociale...

Aujourd'hui, six syndicats fonctionnent et réunissent à notre union plus de 300 adhérents...

 

  Toast de monsieur le Sous-préfet:

 ... Croyez-moi mes amis, on vous trompe quand on vous parle de lutte de classes, c'es par la fraternité des classes que nous réaliseront notre idéal; ne le réalisons-nous pas ici cette union des classes, dans cette salle où se côtoient avec un égal plaisir ouvriers, commerçants et rentiers...

  Il termine en buvant à la sagesse, à la pondération et à l'union de la classe ouvrière mantaise."

 

  Le Journal de Mantes s'évertue de souligner, après chaque toast, les applaudissements nourris de l'assistance. On  note toutefois une différence d'appréciation entre M. Oudinot et le sous-préfet sur la lutte des classes, même si le premier exclut de parler de politique à l'intérieur de l'organisation syndicale. Pour sa part,  le haut fonctionnaire avait été nommé à Mantes pour se présenter aux élections législatives comme candidat radical-socialiste, lequel avait besoin des voix ouvrières. Et si Auguste Goust est adhérent à ce parti qui dirige le gouvernement, il semble que les autres orateurs en sont, tout au moins, sympathisants.

Le secrétaire général de l'Union fraternelle des syndicats ouvriers de l'arrondissement parle dans son toast de la loi qui a légalisé l'existence du syndicat en 1884. L'Union rassemble six syndicats à cette époque, car les ouvriers boulangers et porteurs de pains ou les papetiers ne sont pas d'accord avec sa ligne.

 

  Rue de la Gabelle.

  Le conseil municipal du 16 février 1922 décide du transfert de la Bourse du travail au 14 rue de la Gabelle, dans une partie de l'ancienne sous-préfecture. En effet, la ville de Mantes a racheté à Henry Cauzard l'ancien couvent pour en faire des logements à bon marché pour les familles ouvrières.

  Ce sont des syndicats divisés entre confédérés et unitaires qui prennent possession de leurs nouveaux locaux. Pour se réunir, "une salle délabrée où les murs sont en fibrociment et l'éclairage fait de malheureuses lampes de puisatiers", écrit le Journal de Mantes au mois de mai. Il est vrai que la scission se profilant dans la CGT, en France et dans le Mantois, fait perdre des adhérents aux uns comme aux autres. Tout juste 60 syndiqués se rassemblent à la Bourse du travail en ce premier mai 1922.

  La scission se présentait dans la CGT depuis novembre 1920, suite à l'échec de la grève générale du début de l'année, ses partisans (communistes et anarchistes) se coalisant en Comités syndicalistes révolutionnaires contre les majoritaires. En juillet 1922, la Confédération, déjà affaiblie par ses divisions internes, ne comptabilise plus que 900 000 syndiqués; en se scindant en deux, les confédérés ne recensent plus que 373 400 adhérents et la CGTU 360 000. Si celle-ci va regrouper 465 000 syndiqués en 1926, après cette date, à cause de sa "bolchévisation", elle perd la moitié de ses forces syndicales. Ainsi en 1932, la CGT compte 490 000 adhérents et la CGTU 256 000.

  Dans le Mantois, la lecture de la presse de cette époque semble montrer la CGTU  prédominante sur la CGT. Pour autant, le nombre de syndiqués des deux unions locales est lui largement inférieur à celui d'une seule organisation comme aux lendemains de la Première Guerre mondiale.

  Nous voilà en 1928, où le conseil municipal de Mantes du 23 février décide de faire démolir ce qui tenait lieu de Bourse du travail. "Elle était dissimulé dans des ruines branlantes", écrivait le Journal de Mantes en décembre 1927. La mairie avait bien songé à la loger dans le préau de l'école des filles, rue des Écoles -c'est dire le nombre de syndiqués sur la région-, mais le sous-préfet s'y est opposé formellement. Lors du conseil municipal du 16 novembre, Auguste Goust annonce que les travaux sont terminés rue de Lorraine (actuellement sur la gauche du cinéma multiplex); 47 851F du coût ont été subventionnés par Mantes, Mantes-la-Ville et Limay proportionnellement à leurs nombres d'habitants. Une convention sera passée entre la ville de Mantes et les syndicats qui délégueront 2 représentants  (un pour la CGTU et l'autre pour la CGT) pour régler toutes les questions; les syndicats en auront la jouissance gratuite et l'organisation de cette nouvelle Bourse sera donc faite par les deux Unions locales du Mantois. Et comme rue de la Gabelle, les syndicats dit autonomes, puisque pas affiliés à la CGT ou la CGTU, comme les ouvriers du bâtiment y tiendront aussi leurs réunions.

 

     Place de Lorraine, dénommée ensuite place Henry Dunant.

roulleau001  Il faut noter que les réunions des dirigeants de la bouse du travail ont lieu le dimanche, seul jour de repos de la semaine.

  Cette photo a été prise en 1937, après la réunification de la CGT et la victoire du Front populaire aux élections législatives. Assis de gauche à droite: Robert Boursier (Bâtiment; ex-unitaire), Marcel Barbot (cheminot; ex-confédéré), Mme Lesné (papeterie; ex-confédérée), Gabriel Roulleau (métaux; ex-unitaire), François Morin (CIMT; ex-confédéré). Debout de gauche à droite: Robert Carrée (Buffet-Crampon; ex-confédéré), A. Rolland (commerce; ex-unitaire), Louis Crochet (maçon; ex-unitaire), Paul Greffier (cheminots; ex-unitaire).

  C'est une période faste pour le syndicalisme local; Gabriel Roulleau, secrétaire de l'Union locale réunifiée annonce le "six millième syndiqué" au meeting tenu à la Bourse du travail pour le 1er mai 1937.On peut s'interroger sur ce chiffre annoncé, car les archives de cette époque ont disparu. Or, celles de la Confédération citent exactement 4 936 026 cartes placées de mai 1936 à mai 1937, chiffres qui n'affirment pas que les timbres aient été pris régulièrement, mais que près de cinq millions de cartes furent placées. A cette époque, l'Union locale rayonne, outre dans le Mantois, sur la zone territoriale des Mureaux et sur le canton de Magny-en-Vexin. Et à titre d'exemple, les syndiqués dans les chemins de fer passent de 160 000 à 320 000 nationalement, ceux du papier-carton -fédération la plus faible- de 1 500 à 72 500.

  Située en plein coeur de la ville, sinon du Mantois, la Bourse du travail va atteindre pleinement là toutes les fonctions qu'on lui avait fixées à son origine: réunions des syndiqués et secours organisés à leur encontre, notamment pour les chômeurs; bibliothèque fournie; permanences juridiques; cours professionnels et écoles syndicales; conférences en tout genre. A titre d'exemple, celle de Georges Lefranc, agrégé d'histoire et responsable national du centre confédéral d'études ouvrières, en mars 1938, sur "la physionomie du syndicalisme français".

  La CGT a vraiment grandi depuis 1934 dans le Mantois. Après sa réunification, d'autres corporations se sont ajoutées aux professions originelles du syndicalisme régional: le textile, les employés du commerce ou du secteur bancaire, les ouvriers coiffeurs, les cimentiers, les ouvriers agricoles et les jardiniers, les employés communaux, les ouvriers du bois et ceux du papier-carton, ou les enseignants; les instituteurs ont ouverts un cours pour compléter l'instruction des syndicalistes ouvriers en matière de français et de grammaire, d'élocution, de droit constitutionnel, de géographie économique, d'histoire sociale et d'économie politique. Des étudiants viennent consulter les archives de la Bourse du travail et sa bibliothèque pour leur cursus ou en vue de soutenir une thèse.

  Le samedi 23 avril 1938, le maire de Mantes inaugure la nouvelle grande salle de réunion longue de 150 m. Son conseil municipal a voté 60 000F de travaux, considérant que "depuis juin 1936, avec le développement des syndicats existants, la création de nouveaux syndicats et l'augmentation du nombre de syndiqués... les locaux... sont devenus de ce fait complètement insuffisants". Auguste Goust a pris la parole, rappelant qu'il fut à l'origine de la première Bourse du travail à Mantes, mais oublie de l'avoir confinée ensuite dans une partie exiguë d'une ancienne sous-préfecture délabrée. Après Henry Raynaud, responsable des syndicats de la région parisienne, les festivités se sont achevées par une soirée artistique à laquelle ont participé les plus grands noms des grandes salles de spectacle de la capitale.

 

  Décembre 1939-août 1944.

   Cette belle unanimité ne dure pas. La Confédération générale du patronat français veut sa revanche; pour cela est créé un Comité de prévoyance et d'action sociale, structure politique pour le soutenir par tous les moyens; c'est de cette structure qu'émane le tristement célèbre "mieux vaut Hitler que le Front populaire"; dans le Mantois, la quasi-totalité des conseillers prud'hommes du collège employeurs démissionnent de leur fonction. Mais ce n'est pas de ce côté que proviennent principalement les divisions dans la CGT, même si la "pause sociale" décrétée par  Léon Blum, socialiste et chef du gouvernement, arrange bien le patronat en 1937.

  En 1938, la République espagnole agonise et le PCF restant son unique défenseur en France, parmi les formations du Front populaire. Avec le traité de Munich en septembre, c'est toute la classe politique française qui crie haro sur les communistes parce qu'ils n'ont pas avalisé ledit traité: les radicaux ne discuteront plus avec le PCF et la SFIO adopte une neutralité qui la met dans ce camp. Au niveau de la CGT, les mêmes fractures apparaissent entre Léon Jouhaux, secrétaire général et proche de la SFIO, chef du courant majoritaire au sein de la Confédération, Benoît Frachon du PCF et responsable des minoritaires et René Belin, secrétaire adjoint confédéral, lui à la tête d'un courant pacifiste qui soutiendra la Collaboration prônée par le maréchal Pétain. Le congrès de la CGT à Nantes, en novembre 1938, acte une alliance tacite entre Léon Jouhaux et René Belin contre les communistes.

  Le pacte germano-soviétique, en août 1939, ouvre alors la boite de Pandore. En septembre, Le PCF est interdit, la Confédération chasse tous les communistes de ses rangs, tandis que le gouvernement dissout 620 structures syndicales dont l'Union locale CGT de la région car dirigée par Raymond Roulleau et Paul Greffier, militants affichés du PCF. Dans le Mantois, le Secours populaire et l'Association républicaine des anciens combattants sont aussi dissouts pour les mêmes raisons.

  La Bourse du travail est réquisitionnée pour devenir le Foyer du soldat, courte période avec la débâcle des armées françaises et l'Occupation allemande qui s'ensuivent. Le Foyer du soldat devient  le siège jusqu'en 1944 du Secours national. Le contenu de la bibliothèque et les archives de la Bourse du travail disparaissent à tout jamais. Seuls sont sauvés, puis dissimulés, grâce à la complicité d'un policier haut placé, la Ronéo et du papier à imprimer, ainsi que quelques bannières syndicales. Gabriel Roulleau est interné à Aincourt, puis Rouillé et Pithiviers.

  Les syndicats, qui perdurent sous le régime de Vichy et l'Occupation, vont être cantonnés dans un local, rue Thiers; ils n'ont plus aucune action revendicative et adoptent la Charte du Travail et le syndicat unique en découlant entre employeurs et employés.

 

   Août 1944, Libération du Mantois.

   Après sa libération du camp d'internement de Pithiviers, sitôt revenu à Mantes, Gabriel Roulleau retisse le réseau de syndicalistes qui ne sont pas fourvoyés dans la Charte du travail du régime de Vichy. Beaucoup de ses camarades sont tombées, parce qu'ils se sont levés contre la barbarie nazi et le régime collaborationniste du maréchal Pétain. Mais d'autres ont survécu, ils sortent au grand jour de la clandestinité, ils sont libérés de la prison, ils reviennent des camps de concentration. Ils veulent tous, avec la liberté retrouvée, à nouveau des lendemains qui chantent pour la France. La CGT, en la personne de Gabriel Roulleau, va réinvestir la Bouse du Travail pour aider à la reconstruction de la région. Mais attention sous-entend le premier communiqué de l'Union locale, gare aux employeurs qui saboteraient l'action entreprise par la confédération. Car, il ne faudrait pas oublier que le patronat, dans sa quasi majorité,ne s'est pas lançé dans la Résistance à l'Allemagne nazie. Le  31 décembre 1944, comme pour débuter l'année nouvelle,  Gabriel Roulleau est réélu secrétaire général de l'Union locale. Et devant l'importance des tâches à accomplir dans la région, en plus de l'action syndicale, l''Union locale, par Gabriel Roulleau, devient membre due l'ex-Comité de libération devenu Comité de l'arrondissement de Mantes.Le 1er mai 1945, les bannières syndicales, du moins celles qu'on avait pu dissimuler, sortent au grand jour. Celle des cheminots, hissés malencontreusement en gare d'Epône-Mézières, avant la libération totale du Mantois, fut rapinée par les Allemands lors de leur retraite.

bourse-du-travail004.jpg

     De gauche à droite: bannière de l'Union locale, bannière de la fanfare des cimenteries de Gargenville, bannière des métaux.

 

  Une Bourse du travail au centre de la solidarité et de la démocratie.

  Outre les nombreuses manifestations syndicales, partant place de Lorraine pour aller défiler en ville, la Bourse du travail va être un lieu de rassemblement pour la solidarité et la démocratie.

Le syndicat, c'est la solidarité, disait Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT. En effet, si la charité reste un geste individuel, la solidarité est le produit d'une action collective. L'on pense alors aux caisses de secours organisées autrefois dans les locaux de l'ancien couvent pour les syndiqués et leurs familles dans le malheur soudainement. On peut aussi évoquer, de tous temps, les permanences juridiques gratuites accordées à l'ensemble des salariés du Mantois ou les comités pour les chômeurs. Il y a aussi les stages d'éducation syndicale à l'adresse des militants et l'instruction proprement dite accordée par les enseignants à leurs camarades prolétaires avant que les premiers ne soient organisés en Fédération autonome en 1947. 

  Et puis, sont les actions plus importants à des moments donnés de l'actualité sociale. Le soutien à la grève des mineurs, qui débutent en mars 1963, est restée dans les esprits. La grève devient générale et illimitée suite à l'ordre de réquisition du général de Gaulle, président de la République. A l'instar de l'Union locale CGT, se forme donc à la Bourse du travail un comité de soutien régional; il va comprendre l'ensemble des organisations syndicales et des partis de gauche, des mouvements de jeunesse, l'Auberge de la jeunesse et la maison des jeunes, l'église catholique et l'église réformée, mais aussi des municipalités aux sensibilités politiques différentes comme  celle de Mantes-la-Jolie, Mantes-la-Ville, Buchelay, Dennemont, Gargenville et Guerville. Un tract est édité par l'Union locale CGT et appelle à la solidarité sous toutes ses formes. Les dons sont recueillis à la Bourse du travail et auprès de certains commerçants. Un deuxième tract appelle à renforcer la solidarité, car les besoins sont immenses: soutenir les grévistes et recevoir le mieux possible 103 enfants de mineurs des corons de Fenain dans des familles de la région durant les vacances de Pâques. Extraits du tract:" A été collecté  plus de 2 200 00 anciens francs dont 580 000 pendant les journées du 23 et 24 mars 1963. Ce résultat n'a pu être obtenu que par l'effort solidaire de milliers de Mantais de toutes conditions. Mais il faut faire encore plus... Vendredi et samedi, travailleurs de la région mantaise, versez à vos responsables syndicaux ou à la Bourse du Travail."

Points de rassemblements autres que syndicaux, la Bourse du travail l'est assurément aussi et bien des évènements se déroulent dans ses locaux ou sur son seuil.

il en est ainsi du Comité antifasciste qui se forme dans le Mantois en 1934. Cette année, fortes des avancées du fascisme en Europe, les ligues factieuses françaises marchent vers la Chambre des députés. En réponse, une contre-manifestation se produit à Paris et dans diverses villes de province. Un meeting se tient à Mantes à la Bourse du travail et 3 000 personnes défilent dans les rues de Mantes, Mantes-la-ville et Limay au cri: "le fascisme ne passera pas!"

  Le 14 juillet 1935, toujours sur proposition du Comité d'action antifasciste, deux cortèges partent, l'un de la mairie de Mantes-la-Ville, l'autre du groupe scolaire de Limay, pour rejoindre celui défilant dans Mantes. Plus de 4 000 personnes se rassemblent alors place de Lorraine, derrière 20 maires de la région et leurs adjoints, avec le drapeau tricolore et la bannière rouge du Front populaire. André Lecoq, le maire de Limay lit le serment suivant:

  "Au nom de tous les partis et groupements de liberté et des organisations ouvrières et paysannes, au nom du peuple de France rassemblé aujourd'hui sur toute l'étendue du territoire, Nous, représentants mandatés ou membres du rassemblement populaire du 14 juillet 1935, animés par la même volonté de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au monde, nous faisons le serment solennel de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour défendre et développer les libertés démocratiques et pour assurer la paix humaine."

  Au cours de cette année et dès le début de 1936, les syndicats locaux (CGT et CGTU) vont se rapprocher. ils vont parapher dans les mêmes termes leur adhésion à une seule et unique confédération. La CGT est réunifiée le 6 mars 1936. 

                                                                                                                                                                               algérie001

 

  "Imposez la négociation loyale avec le GPRA", titre le bulletin de l'Union  CGT de Seine-et-Oise en ce début d'avril 1961. En effet, le gouvernement français tergiverse dans les pourparlers qu'il entretient avec les délégués algériens, tandis que l'OAS factieuse poursuit son oeuvre de mort en Algérie mais aussi en France.

  En réponse à ses activités sanglantes, un Comité antifasciste s'était formé à Mantes dès 1960, avec la Bourse du travail comme point central. Un meeting commun à toutes les organisations favorables à l'indépendance de l'Algérie se tient d'ailleurs dans la grande salle de réunion le 27 octobre. Et la manifestation dans les rues se déroule dans le plus grand calme, écrit la presse.

  En 1961, toujours pas de paix en Algérie. Et dans la nuit du 21 au 22 avril, les généraux Challe, Zeller, Jouhaux et Salan provoquent un pucht militaire en Algérie. En Corse, des parachutistes et des factieux soutiennent cette rébellion armée, tandis qu'on évoque une sédition parmi certains éléments de l'armée française; on parle même d'un raid aéroporté sur Paris et sa banlieue.

  En ce dimanche matin du 23 avril, s'organise une riposte républicaine dans le Mantois. Une permanence d'alerte est établie à la Bourse du travail. Des rondes sont organisées dans la région et l'aérodrome de Chérence est placé sous haute surveillance. Une délégation, avec un dirigeant de l'Union locale CGT, rencontre le sous-préfet pour lui demander "des armes et des moyens afin de  contrer les parachutistes, les mutins et les fascistes". Un mot d'ordre de grève national est lancé. Le 24 avril, les grévistes affluent devant la Bourse du travail. Une manifestation républicaine et antifasciste parcourt l'agglomération. En Algérie, les soldats du contingent, aidés d'officiers et de sous-officiers fidèles à la République, refusent d'obéir aux factieux. Mardi à minuit, la radio annonce la reddition des rebelles. Toutefois, le comité antifasciste du Mantois appelle à un meeting à la Bourse du travail pour "la Paix en Algérie".

le 17 octobre 1961, un couvre-feu est déclaré contre les travailleurs algériens travaillant en France. Ceux de la région parisienne bravent l'interdit et manifeste à Paris. La police du sinistre Papon, ancien collaborateur des nazis durant l'Occupation, charge: au moins une soixantaine de tués dont plusieurs noyés dans la Seine. En France, les attentats crilminels de l'OAS se multiplient. Une de leurs bombes explose dans Paris, mutilant atrocement une petite fille. En réponse, une manifestation est organisée à Paris le 8 février 1962. La police charge et neuf syndiqués CGT sont tués au métro Charonne; on relève aussi des centaines de blessés. Plus d'un million de personnes accompagnent les victimes lors de leurs obsèques au Père-Lachaise. L'émotion est grande partout en France. Une manifestation se déroule aussi à Mantes (affichette ci-contre). Le 19 mars 1962, un cessez-le-feu intervient en Algérie.

 

  La Bourse du Travail devient la Maison des syndicats.

  Auguste Goust, maire de Mantes-la-Jolie, dans son discours pour l'inauguration de la Bourse du travail place de Lorraine, affirmait qu'établie en ce lieu central de l'agglomération mantaise, elle offrait "aux travailleurs et à leurs syndicats tous les dégagements nécessaires et évitait de trop longs trajets pour s'y rendre". Puis les choses ont changé et le temps a passé. En 1964, Jean-Paul David, maire de Mantes-la-Jolie manifeste son souhait de rénover le quartier; il semble prendre aussi en compte les réclamations de la CGT sur la vétusté de la Bourse du travail. Or, le 20 février 1970, l'étude de la rénovation du quartier paraît sans un relogement des syndicats dans ce centre de la ville, comme si l'on désirait gommer à toujours ce lieu de rassemblements et de contestations. 

  En Mars 1977, une municipalité d'union de la gauche remplace le conseil municipal de Jean-Paul David. Et la rénovation du quartier reprend vie. Et l'on ressort des cartons la construction de locaux provisoires pour les syndicats, en bordure de Seine, avec l'attribution de 200 mètres carrés pour l'Union locale CGT, projet que celle-ci avait combattu sous la précédente municipalité.

  Si l'ensemble des syndicats de la région déménagent dans cette friche industrielle excentrée, la CGT, seule, reste campée sur ses positions, même si l'on baptise la rue de cette Maison des syndicats Alexandre Palombe, résistant du Mantois tué par les Allemands durant la Deuxième Guerre mondiale. Le District urbain fait alors bâtir une salle de réunion et une autre afin de recevoir une éventuelle imprimerie, plus un parking de 42 places. En fin de compte, poussée par la vétusté des locaux place Henry Dunant, l'Union locale se résout à déménager son organisation. Sa direction écrit toutefois, le 27 mars 1980, au District urbain de Mantes dirigé par un socialiste son exigence d'une  "véritable Bourse du travail située au centre ville"; et elle s'insurge qu'un quart des locaux  lui soit attribué, quand, première organisation syndicale de la région, elle a recueilli 48% des suffrages à la dernière élection prud'homale.

 

  La Maison des syndicats sur Mantes-la-Ville.

   Autre projet immobilier en bordure de Seine, en 2003, par la municipalité de Pierre Bédier qui a remplacé celle de Paul Picard. Les unions locales de la région sont alors évacuées tout au bout d'une autre friche industrielle, là où se terminait la défunte usine de la Cellophane forte de plus de 1 200 salariés. Là aussi, bataille de l'Union locale CGT, invasion du conseil communautaire, pétitions et actions des syndicats. Certes, la CGT n'obtient pas d'être  relogée au centre de l'agglomération mantaise. Mais les autorités administratives, dirigées par le sénateur UMP Daniel Braye, cèdent sur la construction d'une salle commune de réunion, l'agencement d'un local attenant pour la CGT, la plus grande surface de la Maison des syndicats accordée à l'Union locale, le pancartage de la rue et des indications pour

repérer les locaux avec un arrêt bus devant ces derniers.

 

marianne001

  En 2011, l'Union locale CGT revendique plus de 1 500 syndiqués répartis en près de 40 syndicats et sections syndicales (actifs, sans-emploi et retraités).

  Elle est la première organisation syndicale aux dernières élections prud'homales: majoritaire dans l'industrie, le commerce et les affaires diverses, avec un élu sur quatre dans le collège encadrement.

  Comme hier, elle assure des permanences juridiques gratuites pour tous les salariés de la région.

 

  Les anciens de l'Union fraternelle des syndicats ouvriers de l'arrondissement de Mantes avaient disposé cette Marianne au fronton de la Bourse du Travail. En 2011, ce n'est pas la fin de cette histoire qui revendiquait un combat commun pour vivre libre, digne et solidaire.