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Aujourd'hui, parler de la vigne dans le Mantois peut laisser rêveur et même franchement dubitatif. Pourtant les chroniques anciennes, en passant par les travaux de Marcel Lachiver en 1971 ou les écrits de Lucien Bresson en 1987, attestent de la vérité historique de la chose. En effet, les caractéristiques physiques dans cette partie de la vallée de la Seine (coteaux élevés, larges terrasses d'éboulis et sols de gravelles aérées) et la climatologie (identique ici qu'en Champagne) ont facilité l'exploitation d'un grand vignoble. Ensuite, les intempéries catastrophiques d'avant et d'après la Révolution de 1789, puis la double conjonction des ravages du phylloxéra dans les dernières années du Second Empire avec l'arrivée massive par le train des vins du Midi, ont ruiné, puis fait disparaître les vignes dans tous le Mantois.

Autrefois donc, la région mantaise possédait un vignoble important, tant sur la rive droite de la Seine que sur la rive gauche. Au Moyen-Âge, les vignes étaient cultivées derrière les remparts de la ville de Mantes pour s'étendre au-delà dans la plaine. Le plan ci-dessous les désigne.

VigneMantes001

 

Jusqu'à la Révolution Française, les vignes s'étendent sur 5 500 arpents, soit  plus de 2 800 hectares de nos jours, sur lesquels vit une grande partie de la population du Mantois. Une centaine de tonneliers exercent leur métier dans Mantes et la ville sert de dépôt pour le vin de toute la contrée dans des maisons aux caves multiples voûtées en pierres de taille pouvant contenir 100 000 pièces de vins. Les futailles sont ensuite acheminées vers la Normandie et Angleterre, ou par route vers la Picardie, la Flandre ou toute autre province.

En 1211, une charte du roi Philippe-Auguste octroya aux habitants de vendre, dans leur cité, le vin en gros et en détail, à l'exclusion des gens qui n'y résidaient pas; les autorités municipales eurent le privilège de fixer les tarifs à leur gré, sauf à l'encontre du roi et de sa suite. Outre des documents d'archives écrits, la seule survivance de ce passé moyenâgeux est la rue Gâte-vigne, dans Mantes. Elle se dénommait autrefois Gaste-vigne et était parallèle à l'enceinte. En 1087, le seigneur de Bréval, allié à Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, dévasta le vignoble et incendia Mantes. Quand celle-ci fut reconstruite, on donna ce nom à une ruelle.Mais des fouilles archéologiques attestent d'une présence plus ancienne de la vigne dans la région, comme le fer d'une serpette et celui d'une herminette (outil du tonnelier) découverts à Limetz-Villez et remontant au IIIe siècle.

Au fil des siècles donc, le vignoble prospère dans le Mantois. Cependant, à la lecture  d'une statistique fiscale datée de 1786, Marcel Lachiver nous indique la qualité du vin : très bon à Follainville et à Limay, bon à Mantes, Gassicourt et Porcheville, assez bon à Mantes-la-Ville, Guerville et Rosny, médiocre à Buchelay...

A cette époque encore, les vignerons emploie des journaliers à la tâche pour des travaux spécifiques, rétribués 12 livres pour le labour d'un arpent de vigne, 60 livres pour deux labours, la taille, le fumage et la fixation des échalas et des perches.

Jusqu'en 1720, les cépages sont de qualité (pinot ou meunier), mais à faible productivité. Or la demande en vins s'emballe, notamment de la part de Paris (300 000 habitants sous Henri IV, près de 700 000 sous Louis XVI). On plante donc du gamay (120 hl/ha contre 40 hl/ha pour les vieux cépages). La productivité augmente donc au détriment de la qualité. En 1720 et 1725, disent les Chroniques de Guy Chrestien en 1730, " grande abondance de vins, les vignerons firent défoncer leurs cuves, ne pouvant trouver assez de futailles".

Or le nouveau cépage, qui s'élargit dans d'autres arpents, est fragile; suivant les conditions climatiques, le Mantois peut produire 250 000 hl, comme 25 000. Et d'année en année, la production va baisser, sous le "petit âge glaciaire" qui se fait jour. "Le 20 avril 1755, le froid prit comme en hiver, les vignes gèlent", écrivent Alphonse Durand et Eugène Gravé dans "La chronique de Mantes depuis le XIe siècle à la Révolution". Lucien Bresson, dans "Vignes et Vignerons" décrit,lui, la grêle du 27 août 1790 survenue après le cyclone polaire du 13 juillet 1788: "vignes dépouillées de leurs feuilles... grappes tombées, meurtries... Le vin est toute la ressource du vigneron et il se trouve réduit à la plus désagréable misère". Les fortes gelées du 5 et du 20 avril 1792, les orages de grêle des 12, 16 et 31 mai du même mois, sonnent le glas des vignes dans le Mantois. D'année en année, on arrache les ceps, à leur place, petits pois ou fèves sont semés. Les cultures maraîchères deviennent prépondérantes. Le sous-préfet de Mantes Armand Cassan, dans sa "Statistique de l'arrondissement de Mantes", note que le vignoble est réduit désormais à 2 725 ha en 1833.

Et voilà le phylloxera qui survient dans les dernières années du Second Empire. Il est remonté depuis le Midi de la France. La récolte nationale vinicole passe de 80 millions à 25 millions hl. A cela s'ajoute l'ouverture du ligne de chemin de fer du Midi jusqu'à Paris (le PLM pour Paris-Lyon-Méditerannée) en 1857. Et en 1854, un ingénieur, Xavier Gargan, invente le wagon à foudre pour transporter du vin par le rail.

L'épidémie de phylloxera est dure à combattre, mais par le sulfate de fer et le greffage de plants américains, la vigne méridionale est sauvée. Dans le Mantois, des ceps sont toujours arrachés et remplacés par les cultures maraîchères. En effet, lutter contre l'épidémie coûte cher. Et comment lutter par l'abondance de vins (25 millions d'hectolitres produits par les Pyrénées-Orientales, l'Aude, le Gard et l'Hérault), car par flots continus, les wagons foudres viennent se déverser dans la région parisienne? Les vins de la région mantaise devenant trop chers, les vignerons accélèrent les semis de produits maraîchers ou vendent carrément leurs parcelles pour la construction de logements. Le chemin de fer vient de donner l'extrême-onction au vignoble du Mantois.

En 1946, la Seine-et-Oise ne recense plus que 340 hectares de vignes. En 1950, sept habitants de la région mantaise se déclarent encore vignerons pour un seul tonnelier; ils produisent 30 hl sur 72 hectares. En 1982, un vigneron de Senneville, hameau de Guerville, récolte 400 l de vin, puis 250 l'année suivante et le pressoir de Dennemont n'est plus qu'un vestige du passé. Il est loin le temps ou Jean-François Régnard, poète et dramaturge, en 1668, chantait le vin des environs de Mantes ainsi:

     "A Mantes fut la dinée,

     Où croit cet excellent vin.

     Que sur le clos célestin

     Tombe à jamais la rosée!

     Puissions-nous, dans

     Cinquante ans

     Boire pareille vinée!

     Puissions-nous, dans

     Cinquante ans

     Tous ensemble en faire autant!"

Pour la petite histoire, au début du XXe siècle, le Journal de Mantes relate que le foudre destiné à la sous-préfecture est particulièrement surveillé en attendant sa vidange. Une autre de ses éditions signale l'arrestation d'un homme, coupable d'avoir volé un demi seau de vin d'un wagon qui fuyait dans le triage.

     Ci-dessous, un double wagon foudre du PLM.

VigneMantes002