Emplois vacants, l'enfumage continue
Les majorités se succèdent, mais les bons vieux enfumages prospèrent… sous la houlette du Medef. Depuis dix ans, un chiffre revient sur la table. Il varie d’une année sur l’autre. Parfois 300.000, parfois 500.000 ou 700.000… Il s'agit du chiffre des emplois soit-disant non pourvus. Décryptage d’un enfumage en «bande organisée».
Et le Medef et le gouvernement de pleurnicher, chaque année, constatant que des centaines de milliers d’emplois ne trouvent pas preneurs. L'annonce de tous ces jobs non pourvus tombe toujours pile-poil quand l’Insee prévoit une forte dégradation du marché du travail.
«Comment ça ? Quoi ? Le chômage atteint des sommets alors qu’il y a tant d’emplois disponibles mais non pourvus ? Quelle honte ! Qu’est-ce qu’ils attendent tous ces fainéants de Chômeurs ? Leurs allocs en fin de mois, c’est tout ? Qu'on les mette au turbin !».
Voilà une argumentation imparable dans l’esprit du grand public. 300.000, 500.000 ou 700.000 emplois vacants, vous imaginez le scandale ? Un seul constat s'impose : Les chômeurs ne veulent pas bosser, tout simplement. En vérité si je mens, il n’y a pas 3,2 millions de demandeurs d’emploi en catégorie A, mais 300.000, 500.000 ou 700.000 de moins, si on soustrait tous les fainéants qui ne veulent pas occuper les emplois dispos.
La mécanique est bien huilée. Ça marche à tous les coups ! Et les médias de reprendre en chœur cette info, en interrogeant quelques patrons et autres badauds outrés : «Voilà où mène notre système de protections sociales forcément trop généreux ! À la fainéantise, ma Bonne Dame, à la fainéantise !».
La première question qu'on devrait pourtant poser aux auteurs de cet «enfumage en bande organisée» (c’est très à la mode la «bande organisée»), c’est : Où qu’ils sont ces 300.000 à 700.000 emplois ?
Pas chez Popôle en tous cas, dont le site affiche – quand il fonctionne – 140.000 à 180.000 offres (dans le meilleur des cas), dont une majorité écrasante de CDD de quelques heures, de quelques jours ou de quelques semaines. Alors où qu’ils sont, hein ?
«Mais voyons, ouvrez les yeux ! On manque cruellement de bras dans certains secteurs comme le bâtiment, la restauration… Interrogez un patron du BTP ou un gérant de restaurant, vous verrez. Des boulots, il y en a plein de dispos !»
Ah bon ? Comme c’est étrange ! On manque de bras dans des secteurs où le «travail au black» - comme on dit - est quasiment institutionnalisé ? Dans des secteurs grands pourvoyeurs d’emplois non déclarés ? Une pratique de plus en plus répandue qui, bien évidemment, fait l’affaire… des patrons qui «oublient» de payer les cotisations et de remplir leurs obligations sociales.
Ainsi, on manque de bras dans des secteurs où un emploi sur trois ou quatre est occupé par des travailleurs non déclarés. Il suffit de faire un petit tour dans les arrière-cuisines des restaurants et brasseries pour apprécier la proportion de travailleurs qui enchaînent des heures et des heures de boulot pour des salaires leur permettant à peine de se loger à 4 ou 5 dans une chambre de bonne.
Comme sur ces chantiers où, à présent, on entend plus parler polonais et ukrainien, que portugais et arabe. Comme aurait dit Coluche : «Qu’est-ce c’est que ces Polonais qui viennent piquer le pain de nos Arabes ?».
On l’aura compris, l’histoire des emplois disponibles dans des secteurs comme la restauration et le BTP, c'est complètement bidon ! Tout simplement parce que les employeurs préfèrent embaucher des gens peu regardant sur le montant de leur fiche de paie et sur leurs conditions de travail, que des casse-bonbons qui veulent gagner correctement leur vie et bénéficier des protections sociales habituellement accordées en France (plus pour longtemps !).
Forcément, entre un Polonais qui accepte de bosser 10 heures par jour (même le week-end) pour 1.300 euros cash, et un Français payé 1.500 euros nets hors cotisations sociales et avantages divers (congés payés, prise en charge des transports…), il n’y a pas photo ! D’un côté, ça coûte 1.300 euros, de l’autre 2.600 ! Le calcul est vite fait.
Tout ça pour dire que, dans certains secteurs, tout le monde – à commencer par le patronat – se satisfait d’une situation où des centaines de milliers de travailleurs sont payés à la «va-que-je-t’embrouille». À part l'URSSAF, personne ne le déplore. On laisse faire à grande échelle !
Les soi-disant emplois non pourvus dans ces secteurs le sont d’une façon détournée.
Les mieux informés vous diront : «Mais il n’y a pas que dans le BTP ou la restauration qu’il y a des postes vacants. Il existe plein d’autres secteurs qui cherchent des bras, comme celui des services à la personne, dans la grande distribution, et même ailleurs, dans la plomberie, la boucherie, dans beaucoup de métiers artisanaux». C’est exact ! Mais alors, qu’est-ce qui coince ?
C'est simple comme bonjour : On ne forme plus assez de bouchers ! On ne forme plus assez de plombiers ! Imaginez-vous qu’on ne forme plus assez de… médecins ! 20 à 30% des praticiens qui s’installent aujourd’hui en zones rurales viennent de l'étranger, de Roumanie par exemple ou d’Afrique. Ben alors ? Qu’est-ce qu’on attend pour former des médecins, des plombiers et des bouchers bien de chez nous ? Des travailleurs qui occuperont des emplois dans les secteurs dits en tension (où les postes ne sont pas pourvus faute de candidats).
Qui a imposé des numerus clausus hyper strictes en France ? Qui n’a pas formé assez de médecins pendant des années et des années ? Et même des bouchers, des plombiers, des menuisiers… ?
Que fout l’Éducation nationale ? Que foutent le ministère du Travail et de l’Emploi, le Conseil Économique et Social, les Chambres de commerce et d'industrie, les Chambres de métiers, les organisations patronales et syndicales ? Ils sont payés à quoi faire ? Pantoufler pénardement pendant que le chômage et la précarité explosent ?
Pour conclure, il existe un moyen efficace de pourvoir un emploi vacant (ou des centaines de milliers, comme l'affirment les enfumeurs), une technique imparable pour trouver un collaborateur dans n’importe quel corps de métier, y compris les plus pénibles. Et ce moyen s’appelle la paie ! Ben oui, il fallait y penser !
Si elle est bonne, si elle est incitative, les candidats se bousculeront. Rares sont ceux qui préfèrent végéter au chômage à 600 ou 700 euros par mois (pendant 23 mois maximum) que travailler dans des conditions décentes pour 1.300 ou 1.500 euros nets (hors congés payés et compagnie).
Forcément, quand on propose des emplois payés au lance-pierre, exercés dans des conditions dégradées, les postulants ne se bousculent pas au portillon. Mais là, j’entends déjà monter des rangs des organisations patronales l'argument qui tue, l'argument selon lequel : «La mondialisation et la concurrence internationale nous imposent une stricte modération salariale. Si nos entreprises veulent rester compétitives, il faut bloquer les salaires et augmenter le temps de travail». Amen !
OK, OK ! Mettons-nous d’accord. Ces mesures de blocage des rémunérations et d’augmentation de l'activité professionnelle concernent qui exactement ? Les ouvriers, les cadres moyens, les cadres supérieurs, les hauts fonctionnaires, les professions libérales ou les patrons ?
Aaaaaaah, vous me rassurez ! Vous parlez des ouvriers et des employés. Enfin, de celles et ceux qui sont «au bas de l’échelle»… Me voilà soulagé !
Emplois vacants (et blocage des rémunérations des moins bien lotis) : Foutaises !
Yves Barraud pour Actuchomage.org
PS : Jean-Marc Ayrault vient d'annoncer (en conclusion de la Conférence Sociale, le 21 juin) que 30.000 chômeurs seront prochainement formés pour occuper quelques-uns des 300.000 postes non pourvus . Nous voilà sauvés !
30.000, c'est moins de 1% des 3,2 millions de chômeurs de catégorie A. Moins de 0,6% de tous les inscrits à Pôle Emploi.
C'est même moins que le nombre de chômeurs enregistrés au mois d'avril dernier (40.000). Enfumage, vous avez dit enfumage ?