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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Une cigale qui parlait, ce n'était pas banal, surtout qu'elle me raconta une histoire. J'en dormis mal. Pourtant, le lendemain, je courus la rejoindre près du mur du cimetière, très en colère d'avoir quitté l'ombrage frais de mon foyer alors que le soleil embrasait les airs. Mais la curiosité n'était-elle pas un très vilain défaut?

Cependant, je me jurai de rester là et de ne pas courir au diable vauvert avec cette folle dans la garrigue chauffée à blanc.

Garrigue_montagne_Cellier_Vin_SAQ

 

- Je deviens fou d'être revenu vers toi sous cette chaleur torride, lui dis-je. Aucune ombre ne court sur le penchant des Corbières, pas un oiseau n'émouche un seul buisson ni une abeille dorée la cime de la lavande. Tout le village s'assoupissait lorsque je l'ai quitté et la fournaise estivale écrase pareillement tout dans la garrigue. Même la Méditerranée, à l'horizon, semble brûler. Il n'y a que toi, cigale, pour rester vive. Tous tes congénères se taisent, enfouis dans les trous de la terre, leur gosier éteint. Mais ne crois pas que je vais galoper à tes basques sous cet azur en feu.

- C'est bien dommage, me répondit cette diablesse. Tu vois cette combe toute encombrée d'azeroliers? Et bien, je vais m'y poser derrière. Je t'avais gardé une autre histoire, celle de l'arbre du pendu.

Et cet impertinent insecte s'envola à tire d'ailes dans la direction indiquée.

 

D’ordinaire, je ne m’enfonçais jamais dans un goulot farci de taillis épineux. Le chêne kermès, ce petit arbuste méditerranéen, colonise chaque combe de la garrigue jusqu'à la gueule.

Description de cette image, également commentée ci-après

Mais, une cigale qui parlait, je le répète, c’était extraordinaire. Et puis, si tout ceci n'était que le soleil chauffant trop ma tête, je cueillerai, dans les azeroliers, ces petites pommes sauvages pas plus grosses que des cerises, dont ma grand-mère faisait une délicieuse confiture en gelée.

 

2006_09_17_DSC_9850.jpg

Mais la cigale m’attendait, piquée à l’un des arbres, et elle continua à me parler comme vous et moi : "Comme tu as bon coeur, je vais te montrer ce que les esprits chagrins ne distinguent jamais. Tiens, regarde dans le fond, derrière le couvert des azeroliers ".

Et mon regard surprit une vieille corde qui pendillait à un arbre desséché et mort.

 

L'ARBRE DU PENDU

                          

- C’était, il y a très longtemps, commença-t-elle. Sur les hauteurs, vivait un berger. Il avait perdu sa femme très tôt, de couches. Son horizon n'était que deux chèvres et puis quelques moutons, comme dit la chanson, une petite vigne aussi qu'il fallait défendre constamment contre le mûrier sauvage qui encerclait sa parcelle. Il vendait ses bêtes et son fromage à un maquignon du village. Il tuait le perdreau en garrigue, plus jamais la caille depuis que la nature insatiable avait repris tous les acres défrichés par la main de l'homme, derrière des murettes de grèzes. Son bien fertile était l'unique qui demeurait dans cette garrigue. Il le savait et chaque jour, il priait le ciel pour demain soit pareil à la veille. Oui, il se contentait de peu et cela suffisait à son bonheur.

Chaque soir, lorsque l'angélus du soir tintait à Notre Dame du-bon-voyage dans le bourg du port de la Nouvelle, il n'oubliait jamais de se signer selon le rite chrétien. Puis il se couchait, été comme hiver, à cette heure prodigue.

 

A cet instant, je sursautais. Un merle venait de jaillir  des fourrés et lança ses trilles, comme si le diable surgissait. La cigale se moqua de moi : "Te crois-tu à l’heure où les feux follets surgissent dans le cimetière ? Allons donc ! "

Puis, elle reprit sa narration : "Un jour d'été, une belle parisienne vint se promener près de la maison du berger. Il faisait gris ce jour-là, pas de baignade dans la mer ni de bronzage sur la plage pour les estivants, le vent marin empoissait les coeurs et toute chose."

La jeune fille et des amies avaient suivi un sentier par hasard qui se perdait dans le maquis. Si ses compagnes, désabusées, retournèrent au village, elle voulut connaître l'ermite qui habitait sous ce petit toit dont les tuiles rosissaient à la patine du temps. Comment pouvait-on vivre si isolé du monde?

 

Le berger était assis sur son perron. Elle, belle à croquer, s'ennuyait à mourir dans l'été finissant Lui ne vit dans ses yeux que deux étoiles tombées de leur nid et des lèvres comme un calice qu'il n'avait plus bu depuis très longtemps. Alors, que voulez-vous, ils se sont aimés jusqu'au petit matin. Et encore jusqu'au lendemain et au surlendemain.

Lorsque la femme quitta le berger, un grand vol d'hirondelles, gonflées de cris peureux, s'enfuyait vers un autre éclat du soleil en remplissant le ciel gris de tristesse. Lui n'aperçut qu'une poignée d'alouettes en lévitation dans l'azur resplendissant.

 

La belle estivante est repartie vers la grande ville peuplé de mensonges, de paillettes et de mirages. Elle promit d'écrire dès son arrivée.

Mais la vendange au pressoir, il n'y eut que le vent d'automne qui hurla à la porte du berger. Il était tout glacé des premières neiges emportées au passage des montagnes: les gens du pays catalan le nomment Tramontane, ici on l'appelle Cers. Puis les palombes repassèrent les Corbières vers l'Espagne dans la bise hiémale et toujours rien dans une insigne boîte aux lettres. Puis vint le temps de l'Avent. Là, les familles décomptent les jours jusqu'au rêve magnifique, pour déguster à chaque coup de minuit à Noël autant de grains de muscat qui séchaient, emmiellés, à une solive du grenier.

 

Il gelait à pierre fendre dans son coeur lorsque le berger descendit dans cette combe. La veille, il avait bradé chèvres et moutons pour trois fois rien au maquignon. Lorsqu'il passa la corde à son cou, les voix de la mer se gonflèrent de tonnerre et sa petite vigne abandonnée se déchira de larmes. Mais lui n'entendit que le profond silence dans ce jour plus noir que la nuit.

 

Alors, le ciel et cette garrigue qu'il avait tant aimés tourbillonnèrent dans sa tête pour le convaincre de vivre et d'espérer. Mais le berger franchit définitivement l'autre rive, celle dont on ne revient jamais.

 

- Depuis, dès qu'une écervelée s'approche de cette combe, le glas sonne au bout de cette corde, m'affirma la cigale.

 

Puis elle rajouta: "Pourtant, un jour, une femme, puissante de courage et d'espérance, dépassera le mur des azeroliers et s'engouffrera dans le taillis épineux du kermès. Elle décrochera cette corde soufrée de mensonges et sera délivrée une petite âme pour l'éternité."

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C
Bonjour Roger,<br /> <br /> Comme c'est beau et comme c'est triste.....bon, j'ai le moral en berne aujourd'hui mais qu'importe te lire me met des soleils dans cette âme qui n'en finit plus de compter de petites étoiles dans le ciel.<br /> Tu sais pas ?<br /> Hébé , aujourd'hui, je ne pense pas au félibrige, non.<br /> Je pense beaucoup en te lisant au sous-commandant Marcos et à son petit compagnon de livre, Don Durito de la forêt lacandone, un scarabée très très futé ( tu connais ?)<br /> Maintenant j'ai Roger le troubadour et la cigale des Corbières, c'est un beau duo je trouve.<br /> Merci encore<br /> caro
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C
waou je ne me lasserai pas de ces contes, j'espère qu'un jour un grand pere des corbieres pourra les raconter à mes enfants.
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R
Un papé des Corbières sera toujours présent pour raconter des histoires à ses petits-enfants.
S
je suis allée dans la garrigue pour y sentir toutes les herbes de provence, pour y goûter le sel marin qui se pose sur la moindre fleur, je n'ai jamais rencontrée cette merveilleuse cigale et je te remercie de nous transmettre ses histoires avec toute la poésie que tu nous chantes
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R
Pourtant cette fabuleuse cigale existe bien. Fermez les yeux. Ecoutez-la chanter au fond de votre coeur dans la garrigue ou partout ailleurs.