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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

File:Plage de Port-la-Nouvelle au soleil couchant.jpg

 

  NAISSANCE DU PORT DE LA NOUVELLE

 

Imaginez un petit port né du talent et du coeur des hommes, mais sous le doigt du ciel et contre l’incessant jeu de la terre, des vents et de la mer. Fragilité humaine contre une nature plurielle, car où débutaient les flots et où s’achevait la terre ferme ?


Autrefois, existait un grau entre la Méditerranée et une mer intérieure, une passe mouvante qui s’ensablait et par laquelle s’écoulaient le négoce des marchands et les galères de la guerre. Alors, on dut le consolider de quelques moellons tirés d’une carrière dans la garrigue, que les eaux submergeaient d’une simple caresse. Alors, sur ce quai primitif, se bâtit un débarcadère. Et s’activa plus encore le labeur des carriers pour que la vie, avec ses échanges, passât par ici à tout jamais.


Puis, autour de cette porte entre la mer et les étangs, des pêcheurs tressèrent leurs huttes de roseaux. Ensuite, apparut le sel, autre alliance de l’eau, du ciel et des vents, richesse naturelle que les grands s’approprièrent. Et le sel, si utile à la conservation des aliments, fut taxé par la gabelle. Alors, s’installèrent des sergents pour encaisser cette taxe et éradiquer la contrebande à cet effet.


Mais ce ne fut pas tout. Des navires hauturiers accostèrent dans le petit port et des porte-faix furent commis pour les décharger vers la terre ou sur une noria de barges en direction de Narbonne ou de Sigean. Et il fallut encore d’autres navires, que des charpentiers de marine construisirent sur place. Lorsque le petit havre devint un hameau, une chapelle lui fut cédée, mais si minuscule qu’elle contint dans un petit bâtiment militaire désaffecté. Puis tous, sauf l’abbé, prirent épouses pour garnir les bancs de l’école publique et faire prospérer leurs rêves.


Désormais, nous étions en Languedoc, des ceps s’alignèrent sur les terrains colmatés de la plage, hier farcis de marécages et de salicornes ; d’autre se dressèrent en garrigue derrière des murettes en pierre.

Et voilà le port de La Nouvelle distrait de la commune de Sigean par le roi Louis-Philippe. Encore une gageure, avant que l’ancien bourg suzerain n’en accepta les termes.

Puis, toujours le Cers, ce vent du nord pour faire s’envoler les képis de la maréchaussée ou renverser diligences et trains venus de ce point cardinal. Comme si on désira rester entre soi.

Longue histoire mêlée d’aubes et de crépuscules, de kermès et de bourgeons, avec tout au long le rêve immense. Avec un soupçon de magie pour apercevoir derrière le tain du miroir. Car dans ce pays que je vous ai dit, même les cigales parlent.


C’était le soir, le soleil avait été très adent tout le jour. Il s’était enfin assoupi dans un creux des Corbières. Mais demain, il enflammerait l’horizon sur la Méditerranée, puis embraserait la terre et l’azur jusqu’au crépuscule. C’était ainsi tous les étés sur le petit port de La Nouvelle.

 

cigale

 


 

LE SOLDAT REVENANT DE LA GUERRE

 

 

C'était l'heure où le soleil d'août calcinait de mille feux la terre et la Méditerranée ne relâchait pas le moindre alizé pour rafraîchir l'air brûlant. Sous cette braise ardente, la nature avait replié ses ombres. Mais peu m'importait. Dans la petite vigne de mon grand-père, sous la tonnelle feuillu de  son cabanon, près du ru menu qui serpentait, enivré par le parfum de la treille, je sommeillais en rêvant à la prochaine vendange charnelle.

 

Soudain, une cigale vint hacher menu mon délicieux songe en s'accrochant au bois tordu de la vigne. Si elle en était restait là sous l'aiguillon solaire, muette comme tout un chacun en ce Languedoc. Non, cette satanée bête n'eut de cesse de cribler le silence en perçant mes tympans de coups de couteau aiguisé. elles sont ainsi les cigales, elles assourdissent les airs tant que l'été s'embrase et ne s'accalmissent qu'au crépuscule, et encore. Celle-ci, dieux du ciel, sembla être championne pour me casser les oreilles.

 

Je me levais d'un bond, pour faire fuir l'intruse maudite qui gâchait la plénitude de mes sens. Mais ce vil insecte me parla, à moi humain dont le genre est le seul à détenir le don de la parole sur toute la création.

- Il fait bien chaud, me dit-elle en me clignant de l'oeil.

- Tu parles donc cigale, m'étonnai-je.

- Et je chante aussi, me répondit l'insecte qui semblait avoir des lettres, à moins qu'elle n'est lu monsieur Jean de La Fontaine.

 

Comme elle reprit sa lancinante crécelle, j'interrompis cet air qui n'avait rien d'une mélodie:

- Puisque tu parles, dis-moi en plus, macarel*!

- Bon, puisque tu y tiens, rétorqua celle qui ne demandait que cela: "Vois-tu, ce temps de braise me rappelle l'histoire du petit soldat qui revenait de la guerre. Une époque où tu n'étais pas né."

 

C’était donc un soldat qui revenait de la guerre. Il n’en avait pas voulue. Or les grands imposent toujours cette tragédie aux plus petits.

 

Le poste de garde de la caserne franchi, il avait ôté la médaille militaire qui pendillait sur son bourgeron d’ouvrier. Il la mit dans sa poche et son mouchoir par-dessus. Chemin rentrant vers le Languedoc, il ne possédait pour seul trésor qu’un quart de piquette alloué par l’Armée. La nation encensait ses généraux, jamais ses troupiers, cela était de tous les temps.

  
Pour rejoindre son village natal, l’idée lui vint de couper à travers la garrigue. Il y cueillerait des figues pour se requinquer et aussi ces mûres qui lui farcissaient les joues, lorsqu’il était tout jeunet. Malgré la canicule estivale, le cœur en fête, il chantonnait de vieux airs de son pays.

Or, qu’elle ne fut pas sa surprise de tomber sur un vieillard à la large barbe blanche et le front auréolé d’or. C’était Dieu en personne, mais l’homme ne le reconnut pas. Mais quel mortel l’avait distingué de son vivant ?

     - Que faites-vous là, papé, en plein soleil et si loin des gens, demanda-t-il à cet ancien.

     - Et toi, si loin de Dieu, répondit aigrement le créateur du ciel et de la terre qui n’était pas dans un bon jour.

   
En effet, Celui qui était aux cieux ronchonnait de s’être égaré en plein maquis. Il était descendu sur terre pour tancer personnellement les gens du port de La Nouvelle dans lequel, ô sacrilège suprême, le nombre des enterrements civils dépassait celui des obsèques bénies par l'Église. Mais saint Christophe, normalement patron des voyageurs, lui avait indiqué la pire des routes pour parvenir à ce satané village. Et lui, Dieu, s’était égratigné à toutes les ronces pullulant dans cette garrigue, trébuchant à chaque pas sur de la pierraille. Alors s’était-il renfrogné à l’ombre de ce micocoulier, espérant qu’une bonne âme le ramenât dans le droit chemin.

    - Oui, toi, si loin de Dieu, qui te pousses par ici, réitéra l'Eternel, persuadé d’avoir affaire à l’un de ces mécréants du petit port en question. «N’entends-tu point dans le lointain sonner l’Angélus. Il est temps de te signer, de t’agenouiller et de louer les Cieux pour leurs grâces. »

     - Les Cieux, vieil homme, je ne les ai pas discernés dans cette maudite guerre que je viens de faire. A croire que le Diable menait la danse à sa place, répondit l’ancien soldat.

   
Dieu, depuis les nimbes de son paradis, aurait recouvert les nues de cendres, fait retentir le tonnerre et projeter des éclairs autour de ce vil impudent. Mais Il n’avait rien emporté de son attirail spécifique dans son périple terrestre. Il était persuadé que son Verbe remettrait tout en l’état où Il l’avait créé. Alors Dieu s’étrangla de rage. Et le mortel prit cela pour une grande soif éraillant un vieux gosier.

     « Prenez ma gourde, vieux papé », dit celui-ci. « C’est du vin. On nous en désaltérait avant de surgir de nos tranchées, pour se ruer au combat. »

Dieu avait beau être Dieu, Il n’en aimait pas moins le lait de la vigne. Il viderait le bidon, puis rassasié, châtierait cet infidèle.

   
Mais le breuvage n’était ni grand cru des Corbières ni même petit vin de messe. Il calcina sa gorge. Et complètement aphone, le Créateur tourna les talons, en quête d’une onde claire pour circonscrire ce brasier corrodant ses entrailles. Dès lors, Il omit de chapitrer un mécréant stupéfait par cette volte-face soudaine et la célérité d’un vieillard à déguerpir vers le diable vauvert.

   
Or Dieu ne trouva point la moindre goutte pour éteindre son feu ardent et regagna son paradis. Que voulez-vous, c’était le plein été, un espace aride comme Il l’imposait aux humains. Et pour se moquer de son infortune, les cigales, qui n’avaient ni Dieu ni âme, assourdirent l’azur sans jamais cesser.

   
Depuis cette mésaventure, Dieu ne parle ni ne se présente plus aux hommes, finit cette satanée cigale.

Enfin, ce fut ce qu’elle me conta. Mais que savait un insecte, radotant tout l’été, de Dieu et de la vie des hommes, elle qui n'avait pas plus de cervelle qu'une linotte ? Je me moquais d’elle et de moi aussi qui perdait son temps à l’écouter.

   
- Viens donc demain près du cimetière à la même heure, me lança la cigale en s'envolant à tire d'ailes, sans doute pour aller enquiquiner un autre benêt.

   
Macarel*: le plus petit des jurons occitans qui peut se traduire par macaniche. Le plus mécréant est "mecagoendieu", littéralement je chiesurdieu.

 

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C
Bonjour Roger,<br /> <br /> Ce ne sont pas les lettres de mon moulin mais je reconnais l'assent du sud et des cigales, les vendanges qui bourgeonnent leur bon cru dans les veines assoiffées de ceux qui ont travaillé et<br /> méritent bien un petit réconfort . J'ai pas reconnu dieu nandidiou, l'ait jamais approché d'un chouillat ce vieux bonhomme, mais je veux bien croire la cigale que la vinasse de l'armée lui ait<br /> écorché le gosier : qu'il n'y revienne plus.<br /> Bon, la suite, je crains le pire près du cimetière, les cigales doivent être un peu sorcières certainement et faire le sabbat. J'ai lu dans un livre de Robert Merle de drôles de scènes qui se<br /> passaient dans un cimetière avec des jeunes qui apprenaient la médecine à l'université de Montpellier, sûrement ton prochain récit est dans ce ton. En tout cas, j'attends, merci, ça me plait<br /> bien.<br /> <br /> Amitiés<br /> <br /> caroleone
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