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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Les cheminots dans la Première Guerre mondiale

Au décret de mobilisation, sur plus de 300 000 cheminots, à peine 16 000 titulaires et 13 000 auxiliaires sont mobilisés : administratifs et auxiliaires avec moins de 6 mois au chemin de fer.

D'autres, poursuivent leur service militaire de 3 ans dans le 5e Génie de Versailles, dit "régiment de sapeurs des chemins de fer", unique régiment spécifique au chemin de fer. Certains cheminots de la voie sont enrôlés dans les sections des chemins de fer de campagne.

Les cheminots non mobilisables sont des affectés spéciaux. A leur poste de travail selon le décret du 1er août 1914, sans uniforme, ils travaillent en priorité pour les autorités militaires. En même temps, ils participent à l’organisation normale de leur compagnie ferroviaire.

Avant-guerre, existent le Syndicat national des travailleurs des chemins de fer affilié à la CGT pour les sédentaires, la Fédération des mécaniciens et chauffeurs et le Syndicat des agents de trains pour les contrôleurs, chefs de train et serre-frein.

Dès la déclaration de guerre, tous se rangent dans « l’Union sacrée » pour la défense de la patrie lâchement attaquée par l’ennemi héréditaire qu’est l’Allemagne. Néanmoins, au sein de la CGT, existe un courant ultra-minoritaire. Il est dirigé par Pierre Monatte, directeur de la Vie Ouvrière, et Alphonse Merrheim, de la fédération des métaux. Cette tendance reprend les mots de Jean Jaurès : « le capitalisme porte la guerre, comme la nuée porte l’orage ».

Mais dans les chemins de fer, la mobilisation générale est lancée sans que le gouvernement ne juge nécessaire d’utiliser le fichier B sur des cheminots susceptibles d’y être réticents.

A partir de 1916, des syndicats se réunissent. Léon Jouhaux, dirigeant la CGT et commissaire gouvernemental chargé de la propagande dans les milieux ouvriers, tâche d’y participer. Les revendications sont salariales et sur les conditions de travail. Mais jamais ne s’exprime une quelconque remise en cause de la guerre. La situation évolue en 1917.

Dans les ateliers, les choses tournent autrement. Depuis 1915, les ouvriers sont astreints à une double tâche : entretenir le matériel des compagnies et réparer celui circulant en zone de combats sous l’autorité de l’Armée, tout en fabriquant des munitions pour l’effort croissant de guerre. Avec une priorité dans ces travaux.

L’onde choc, propagée par des permissionnaires au sujet des mutineries de 1917 sur le front contre la guerre, qui avait débordé dans les trains et les gares, trouve un écho favorable dans les ateliers. Particulièrement parmi ceux qui avaient participé majoritairement à la grève générale de 1910. Les révocations des grévistes y avaient été nombreuses.

Labeur soutenu, sous-effectif criant, heures supplémentaires font rechigner outre mesure. Alors les premières sanctions pleuvent. Un ouvrier des ateliers de Romilly est envoyé en salle de police durant deux jours pour « ne pas vouloir se casser les reins au boulot ». (...)

Nationalement, la CGT préconise d’agir dans le cadre juridique « de l’organisation rationnelle du travail par la délégation de délégués ouvriers ». Cette mesure est instituée par Albert Thomas, ministre socialiste du Travail. Avant toute grève, est obligatoirement constituée une Commission d’arbitrage employeurs-délégués ouvriers.

Le 25 juin 1917, le ministre de la Guerre lâche du lest et assouplit les règles de l’interdiction des réunions syndicales au chemin de fer. Mais la tendance minoritaire, pacifiste au début du conflit, reçoit plus d’échos dans les ateliers.

Le syndicat des ateliers d’Épernay reprend de la vigueur avec son congrès de mai 1917. Un rapport de police dit recenser 1 190 syndiqués dont 30 femmes, contre 300 adhérents en 1915. Un débrayage intervient le 24 octobre à 12 heures 30 : 1 160 grévistes dont 65 femmes et 130 enfants. L’autorité militaire réunit les délégués sans passer par la Commission d’arbitrage, en rappelant les obligations envers l’Armée et d’être passibles devant le Conseil de guerre. Finalement, la Compagnie de l’Est cède une augmentation de 15% aux ouvriers et employés, 25% aux manœuvres et la promesse de négociations sur les autres revendications. La reprise du travail a lieu le lendemain à 15 heures 30.

Auparavant, les 27 et 28 janvier 1917, l’Association générale du personnel des chemins de fer du Paris-Lyon-Méditerranée, l’Association professionnelle des agents de trains, la Fédération des mécaniciens et chauffeurs et le Syndicat national des travailleurs des chemins de fer s’unissent en Fédération nationale CGT des travailleurs des chemins de fer de France, des Colonies et des pays de Protectorat.

Or, la contestation est ouverte avec les directions de cette nouvelle fédération. A Nantes, au congrès de l’Ouest-État, du 31 mai au 1er juin 1917, le dirigeant national Bidegaray est mis en minorité. Les congressistes revendiquent une action plus vigoureuse au niveau des compagnies pour des augmentations salariales.

Le syndicat du Havre reprend les mêmes revendications et salue « les camarades russes qui n'ont pas été dissuadés par les terribles événements de renverser le joug autocratique et absolu des Tsars » et envoie « ses salutations aux camarades dans les tranchées ».

Si la grève nationale du 1er mai 1918 échoue dans son organisation, 6 500 cheminots de Paris débrayent le 9 novembre 1918. Ils obtiennent la révision de l’échelle salariale, l’incorporation de la prime de vie chère dans le salaire et la transformation du magasin d’approvisionnement en coopérative.

La guerre a définitivement cassé l’Union sacrée et les dissensions politiques s’activent parmi les cheminots et dans le mouvement ouvrier avec les soldats revenus du front. La grève générale des cheminots de 1920 n'est pas loin.

Extraits de mon livre Les chemins de fer en 1914-1918, paru aux éditions du Petit Pavé.

https://www.petitpave.fr/livre/les-chemins-de-fer-en-1914-1918/

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