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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

A l'approche de 2023, quelques histoires sur le chemin de fer de Paris à Rouen, dont le train inaugural traverse le Mantois, le 3 mai 1843

Avec le Paris-Rouen, financiers, industriels et entrepreneurs britanniques traversent la Manche

 

Le roi bourgeois Louis-Philippe gouverne la France depuis 1830 et François Guizot en est le chef de gouvernement, avant de l'être dans les faits en 1847. On résume souvent sa politique au conseil prodigué plusieurs fois: " Enrichissez-vous". L'injonction est comprise comme étant adressée à la grande bourgeoisie d'affaires pour encourager le capitalisme le plus sauvage.

Mais au début du chemin de fer entre Paris, Rouen et Le Havre, le capitalisme britannique en profite.

Des financiers anglais

L’association, entre les banquiers Laffitte et le banquier anglais Edward Blount, s’attire les bonnes grâces des gouvernements britannique et français. La compagnie du Paris-Rouen est baptisée en Grande-Bretagne, à Southampton, en présence de François Guizot, éminent ministre du roi Louis-Philippe, au cours d’un fastueux banquet.

La Compagnie du Paris-Rouen est présidée au début par Jacques Laffitte. Or, cinq administrateurs sur douze sont Britanniques, dont l’ingénieur, constructeur de la ligne Joseph Locke. Tous les administrateurs ont droit « à 1/10 des bénéfices avec un minimum de 100 000 francs par année. » Bientôt, William Reed, secrétaire du chemin de fer de Londres à Southampton, rentrant au conseil d’administration, donne ainsi l’égalité parfaite entre administrateurs français et britanniques. Avec des relais français dans notre pays, les Britanniques vont accaparer la majorité des 72 000 actions à cinq francs de l’époque. Dès lors, des dividendes sont perçus hors de notre pays.

Des ingénieurs et des entrepreneurs anglais

Les Anglais disposent en effet du savoir-faire nécessaire pour réaliser des prouesses techniques à grande échelle entre Paris et Rouen : franchir la Seine sur des ouvrages d’art conséquents ; creuser de longs tunnels tel celui de Rolleboise (2 604 m) ou du Roule (1 726 m) ; défricher, terrasser ou remblayer sur 127 kilomètres, puis poser du ballast et des rails.

En 1837, les frères Pereire, également banquiers, ont construit une ligne de Paris à Saint-Germain. Mais celle-ci ne traverse que des champs et de la forêt, sans rampe importante ni courbe serrée. C’est une voie unique de 19 km et limitée au Pecq, les locomotives françaises ne pouvant affronter la côte de Saint-Germain. On n’a aussi lancé au départ qu’un simple pont en bois à Asnières,

Qui sont ces bâtisseurs de l’industrie ferroviaire en France ?

Joseph Locke (1805-1860), nommé ingénieur en chef de la ligne, est recommandé par Edward Blount. Il a  construit le premier pont enjambant une voie ferrée de biais, celui de Rain Hill toujours en service. Il fait aussi creuser le premier tunnel sous la ville de Liverpool. Il est l’initiateur de la tranchée courbe, longue de 50 m, du jamais vu pour cette époque. Lorsqu’il lance une ligne, il supervise voies et ouvrages d’art, jusqu’à la prévision du trafic.

En France, sa statue regardera les 12 arches du viaduc de Barentin, en Seine-Maritime, long de 478 m avec une courbe de 940 m de rayon, sur une hauteur de 32 m au-dessus du bourg.

William Buddicom (1816-1887), superintendant des ateliers ferroviaires d’Edge-Hill, dont Joseph Locke a été ingénieur en chef. Industriel associé avec William Allcard, il installe un atelier de construction à Petit-Quevilly en Seine-Maritime, puis à Sotteville-lès-Rouen. Il livre à la Compagnie 50 locomotives, 120 voitures de 2e et de 3e classe et 200 wagons de marchandises, un atelier français n’en fabriquant que 36 voitures de 1ère classe.

De plus, sa société entretient les locomotives ; de même, elle bénéficie de 0, 336 franc par voiture de 1ère classe transportée, de 0, 168 franc par voiture de 2e ou de 3e classe, et de 0, 084 franc par wagon de marchandises.

En 1860, William Buddicom vend son entreprise et ses biens immobiliers à la Compagnie de l’Ouest. Il donne aussi son nom à la cité primitive des cheminots, construite sur son terrain, dans le petit village de Gassicourt,

Thomas Brassey (1805-1870) et William Mackenzie (1794-1851) ont travaillé avec Joseph Locke en Grande-Bretagne

Leurs archives montrent des affairistes avec des méthodes peu reluisantes envers leurs ouvriers. Ils ont appliqué une politique de sous-traitance à moindre coût avec des Britanniques embauchant ou débauchant à leur gré, et sans aucune concurrence.

Le charbon des machines à vapeur s’exporte aussi d’Angleterre durant des décennies. Les premiers rails sont tirés des fonderies anglaises. Et les brouettes, banneaux, wagonets de terrassements sont fournis par un industriel anglais établi en France. Et William Mackenzie préfère des maçons originaires de son pays, utilisant des briques que la pierre du pays, car « familiarisés avec ce matériau, ils font preuve d’une plus grande productivité ».

Les financiers, industriels et entrepreneurs français prendront le relais de leurs homologues britanniques, mais toujours dans une politique du moins-coûtant et de profits pour leurs intérêts

François Guizot, avait déclaré dans le Journal des Chemins de fer du 25 janvier 1842: "Le placement dans les chemins de fer sera à la fois patriotique et profitable". Passons sur l'esprit patriotique du capitalisme et restons sur l'aspect profitable. Partout en France, pour nourrir l'avidité de leurs dirigeants et de leurs actionnaires, toutes les compagnies ferroviaires vont devenir déficitaires. En 1938, elles sont nationalisées par la création de la SNCF. Or l'Etat ne possèdera que 51% du capital et les compagnies 49%.
 
Et jusqu'en 1982, les représentants des compagnies privées vont siéger au conseil d'administration de la SNCF et celle-ci aura l'obligation de faire rouler en priorité des wagons de marchandise leur appartenant. Ce qui n'arrangera en rien le déficit structurel de la SNCF.

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