11 novembre 1918, le soldat François Gorças, facteur à Mantes-sur-Seine, n'est pas démobilisé
Il est né en Haute-Vienne en 1887. Il épouse Catherine Chaput à Mantes-sur Seine, le 4 avril 1914. Ils s'étaient fiancés en Haute-Vienne et logent désormais au 25 rue Porte-aux-Saints. Facteur, il distribue courrier et colis quatre fois par jour. Comment pourraient-ils s’imaginer combien vont être bouleversées leur vie et la société ?
Le 1er août 1914, l’ordre de mobilisation générale est affiché à la mairie de Mantes-sur-Seine. La Première Guerre mondiale débute le 3 août 1914. Le facteur est mobilisé le 1er septembre 1914. Il doit rejoindre le 254e régiment d’infanterie.
Mais l’euphorie d’une victoire rapide sur les « Boches » a fait long feu. Le 10 août 1914, s’arrêtent en gare de Mantes les premiers trains de blessés dont les plus graves sont transportés à l’Hôpital. Le 16 août, des ordres de réquisition concernent le riz, la paille, l’avoine, l’orge, le maïs, le son, le blé et la farine. Le 23 août, arrivent en gare les premiers réfugiés Belges, bientôt rejoint par les populations françaises fuyant l’occupation allemande du Nord et du Pas-de-Calais. Une centaine de locomotives des chemins de fer belges engorgent les voies du triage.
Dans la Bataille de la Marne, le 254e RI perd 129 tués au combat, 798 disparus et 768 blessés. Dès le 8 novembre, le 254e RI creuse des tranchées dans la plaine des Chassenay en Champagne, en terre de France. C'est l'enfer entre attaques et contrattaques assassines. Le 11 novembre 1918, la Grande Guerre cesse enfin et François Gorças a survécu à cette effroyable boucherie.
Il pense retrouver son épouse et son métier de facteur à Mantes-sur-Seine. Il est décoré de deux crois de guerre et de quatre citations à l'ordre de l'Armée pour son courage. Sous l'uniforme, il a tenu un carnet de guerre.
Un extrait du journal de campagne, le 25 décembre 1914:"Le jour de Noël, les boches chantent et nous ont engagés de chanter et de ne pas tirer. Ce que nous avons fait. Un officier boche est venu à mi-chemin de nos tranchées et un adjudant de chez nous a fait autant. Jusqu'au 11 janvier, tout s'est déroulé ainsi sans aucun incident." François Gorças avait préalablement noté « boche » lorsque l’officier allemand sollicite une trêve. Il rectifie son annotation au crayon par « Allemand ». Ce sera l'unique trêve de cette grande boucherie mondiale où l'on croyait mourir pour la patrie alors que c'était pour des industriels, selon la phrase d'Anatole France.
A Mantes-sur-Seine, son épouse a noté scrupuleusement sur un cahier, au jour le jour, ses dépenses et ses recettes, comme les différents colis qu'elle adresse à son mari.
François Gorças n'est démobilisé que le 11 juillet 1919. Après l'Armistice, son régiment progresse en Allemagne jusqu'à la signature du traité de paix de Versailles, le "diktat" pour les vaincus qui ouvre la porte au régime hitlérien.
Le facteur de Mantes-sur-Seine n'obtient la médaille militaire du combattant qu'en 1930 et l’État lui verse 100F par semestre. La chair à canon n'est pas cher payée par ceux qui sont aux affaires de la France, au sens propre comme au sens figuré.
En ce 11 novembre 2022, sera célébrée la cessation des combats de la 1ère Guerre mondiale, mais aussi tous les Morts pour la France.
Comme pour effacer de la mémoire la phase de Jean Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914 par un partisan de l'extrême droite de cette époque qui sera gracié après guerre par la justice française: "Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage".