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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

En mai 1917, mon papé , Auguste Colombier, entre dans la Grande Guerre

Né le 28 septembre 1898, dans le petit village méditerranéen de La Nouvelle, aujourd'hui Port-la-Nouvelle dans le département de l'Aude, il a moins de 19 ans pour rejoindre le front. Mais devant les massacres qui déciment les rangs de l'armée française, le gouvernement avance l'âge pour partir au combat.

Il n'a parlé français que sur les bancs de l'école et devant le conseil de révision le déclarant apte pour partir à la guerre. Auparavant, il n'avait jamais quitté son village natal. Il s'est rendu à bicyclette à Sigean, chef-lieu de canton, pour satisfaire aux exigences militaires de la patrie.

Son livret militaire indique toutefois qu'il lit et écrit en français. Sa profession est cultivateur, dénomination pompeuse pour ne pas dire journalier agricole. Il croyait embrasser la profession de son père, petit menuisier travaillant principalement pour les besoins de la viticulture. Mon papé en était son apprenti. Mais la crise viticole embrase le Midi en 1907 et Paris de Clemenceau fusille une manifestation pacifique à Narbonne. Ensuite, les affaires de l'artisan ne cessent de péricliter. La clé est mise sous la porte et mon grand-père n'embrassera jamais la profession de menuisier.

Le 11 novembre 1918, il est au front, en terre de France, quand sonne l'Armistice. Il est décoré de la croix de guerre avec citation et de la médaille des artilleurs pour ses faits d'armes. Il a été aussi gravement blessé et est médaillé à ce titre.

Comme tous les survivants de cette horrible boucherie, il songe retrouver au plus vite ses habits civils et son Languedoc natal. Las, son régiment franchit la frontière et s'enfonce en territoire allemand pour l'occuper, tant que l'Allemagne vaincue n'a pas signé le traité de Versailles. Le diktat de Versailles, disent les vaincus, et prélude à la 2e Guerre mondiale, signé le 28 juin 1919, il rejoint Marseille après un long périple dans un train de cette époque. La Provence n'est pas l'Occitanie, mais l'accent du Midi y chante aussi.

Deuxième amère désillusion, au lieu de sa démobilisation, il garde l'uniforme, le service militaire est toujours de 3 ans. Il embarque donc sur une vieux rafiot, prise de guerre aux Allemands, pour l'Algérie. Puis nouveau périple cette fois en camion le long de la frontière. Il pénètre dans le Maroc, protectorat français pour Bouarfa, ville minière. La troupe gardienne l'exploitation de manganèse appartenant au capitalisme français. Dans le Nord du Maroc, sous domination espagnole, une République du Rif combat la monarchie ibérique et la France va rejoindre cette guerre coloniale, contre l'indépendance du Maroc

Mai 1920, retour à Marseille par la mer. Lui et d'autres natifs de l'Aude repartent en train vers leur département natal. Mais c'est la grève générale des cheminots. La troupe est réquisitionnée pour occuper les chemins de fer. Mon grand-père se retrouve baïonnette au canon gardant le tunnel de Castelnaudary et les voies ferrées conduisant à Rodez dans l'Aveyron. Le 22 mai 1920, le gouvernement de l'ex-socialiste Alexandre Millerand brise définitivement la grève générale des cheminots. Mon grand-père retrouve sa famille et son village natal.

Sur le Monuments aux morts de la commune, vont être gravés les noms et prénoms de 52 soldats morts pour la France, sur une population d'à peine 2 000 habitants. Sans dénombrer les gueules cassées, mutilés, invalides et les blessés qui succombent peu après, toutes les familles du petit port de La Nouvelle sont endeuillées par la perte d'un ou de plusieurs êtres chers.

Un jour, au grand dam de l'Association communale des anciens combattants que son beau-frère dirige, Auguste Colombier peinturlure au minium blanc brillant sa croix de guerre. Il la suspend dans la treille de son cabanon au coeur de sa petite vigne. Elle sert à effaroucher les grives des grappes de muscat. Comme un pied de nez envers cette immense tuerie dans laquelle on était mort pour les industriels en croyant périr pour la patrie.

Après le décès de mon grand-père, j'ai récupéré dans une vieille boite à chaussures sa panoplie de médailles militaires de 14-18. J'ai aussi trouvé son livret militaire et une feuille de papier pliée en quatre. C'était le diplôme que Giscard d'Estaing, président de la République, avait adressé aux anciens combattants rescapés de la Der des Der pour la célébration de la bataille de Verdun.

La petite vigne de mon grand-père avait été vendue par force, après le décès soudain de mon père dans la force de l'âge. Le pas tranquille du vigneron sur sa terre natale s'est effacé définitivement. Mon frère et moi étions exilés en région parisienne pour vendre notre force de travail à la SNCF.

De vieux papiers et de vieilles médailles militaires dans une vieille boite en carton, mais toutefois un témoignage vibrant en ce 11 novembre 2022.

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