Comme je descends quelques jours dans mes Corbières natales, au pays des Cathares: le château de Quéribus dans l'Aude
La farce grotesque sur l'apocalypse promise pour le 22 décembre 2012 avait jeté un regard particulier sur mes Corbières natales où culmine le pic de Bugarach à 1 230 m d'altitude. A cette époque, des illuminés avaient cru bon s'y réfugier pour échapper à la fin du monde prévu dans un calendrier aztèque.
Pour autant, au-delà de ces balivernes, les Corbières sont toujours source de belles légendes, au creux de ce pays créé par la grâce du soleil, du vent et du temps. Ainsi en fut-il de la montagne de Bugarach, formé par Zeus en personne pour que les mortels du coin puissent s'y réfugier contre les attaques des dragons et autres mauvais sires de cette époque. Mais il se dit également que dans l'une des multiples grottes, se dissimule, depuis la nuit des temps, le trésor des fées. Comme il pourrait être caché ailleurs, dans cette myriade de cavernes profondes ajourant ma région natale.
Mais revenons à l'histoire des hommes et non plus à celle des farfadets ou des extraterrestres de toutes sortes, même si la légende peut se recouper avec la réalité des faits.
Le temps des Wisigoths
C'est un peuple germanique qui migre vers l'ouest de l'Europe. Il envahit la Dacie et une partie des Carpates au 3e siècle de notre ère. A cette époque, les Wisigoths se convertissent à l'arianisme, une forme de christianisme qui affirme que Jésus n'est pas Dieu, mais un être distinct créé par celui-ci. Ils vont affronter l'empire Romain chrétien et tenter de le conquérir au cours des siècles. L'un de leurs rois, Alaric, s'empare de Rome en août 410: trois jours de saccage et de pillage, puis la fuite avec un énorme butin. Débute la légende du trésor d'Alaric.
Au fil du temps, le royaume des Wisigoths -l'Aquitaine, la péninsule ibérique, le Languedoc et une partie de la Provence- va se réduire comme peau de chagrin. Ils sont chassés d'Espagne par les armées sarrasines, ils sont vaincus par les Francs, autre peuple germain commandé par Clovis en 507. Ils ne vont conserver que la Septimanie -le bas-Languedoc dont les Corbières-, pour être vaincus ensuite définitivement par les Francs. Il demeure que le trésor rapporté de Rome par Alaric ne fut jamais retrouvé. Un mont des Corbières porte le nom du roi wisigoth. Mais surtout, la légende veut que le Graal, ce récipient ayant contenu le sang de Jésus torturé sur la croix, faisait partie du mirifique butin.
Le temps des Cathares
A cette époque, c'est le riche comté de Raymond VII de Toulouse, indépendant du royaume de France. Va y prospérer le Catharisme, notamment dans cette partie des Corbières. Cette religion ne veut pas réformer l'église du pape, mais carrément la supplanter dans les esprits, par la conversion et non par la force.
Affirmer que se serait ouvert un meilleur avenir pour l'humanité, reste toutefois à démontrer. Mais à cette époque, Rome veut éradiquer cette "hydre hérétique". En effet, les cathares sont des suppôts de Satan à plusieurs titres: ils ordonnent comme évêques de leur foi des hommes et des femmes; pas d'église pour prier, encore moins de cathédrale, mais la place du village ou la demeure des gens; Ils vont toujours à pieds par monts et par vaux pour prêcher leur religion; ils travaillent de leurs mains pour vivre et ne perçoivent aucune dîme. Pas de baptême, mais une confirmation à leur foi à l'âge adulte. Et puis, suprême injure à Dieu, ils ont fait traduire en occitan les Évangiles, alors que le latin est intrinsèquement l'unique langue pour invoquer les Cieux.
Après avoir tenté des controverses publiques entre cathares et clergé romain, sans réussite probante, le pape Innocent III prêche la croisade en 1209 avec l'appui du roi de France. Croisade à la fois religieuse et politique: il faut reconquérir les esprits infidèles et faire que les convertis au catharisme payent la dîme aux clercs romains et les taxes à leur suzerain temporel.
Si les barons du Nord et leurs soldats sont les bras armés de cette croisade, dite à tort Croisade des Albigeois, les tribunaux de la Sainte inquisition la bénissent par les persécutions, la torture, la prison et le bûcher. Cela va être le significatif "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens", lancé par le légat du pape à l'encontre de la population de Béziers, chrétiens, juifs et cathares, réfugiée dans la cathédrale.
En 1244, la forteresse de Montségur, dans l'Ariège voisine de ce coin des Corbières, haut lieu du catharisme, tombe aux mains des croisés, sous le règne de Louis IX, dénommé saint Louis par l'Histoire et l'Église. 200 cathares montent au bûcher sans renier leur foi, le 16 mars. Mais lors du siège, un groupe d'hommes s'en est enfui, en emportant le trésor de l'église cathare, dont le soi-disant butin d'Alaric découvert au fond d'une grotte.
Les unes après les autres, les citadelles cathares, dites du "vertige" puisque édifiés sur des pics, vont tombées aux mains des croisés. Quéribus, où se sont réfugiés les derniers évêques cathares, est prise en 1255. L'ultime bûcher ordonné par l'Inquisition est daté de 1321. il a fallu 5 rois de France et onze papes pour éradiquer le catharisme.
Le temps de Quéribus
La citadelle est sous le commandement de Chabert de Barbaira, ancien ingénieur militaire du roi d'Aragon. il est acquis aux idées cathares et va protéger dans ses murs les survivants de cette église, dont l'évêque du Razès en 1230. Le Razès est la dénomination de ce coin des Corbières dans lequel culmine le pic de Bugarach.
Cette forteresse est comme un nid d'aigle, ou comme on l'a écrit "un faucon solidement cramponné au poing fermé d'un rocher". A cette époque, le catharisme ne représente plus aucun danger pour l'Église. Et le comté de Toulouse est tombé dans l'escarcelle des rois de France, comme "province à langue étrangère" jusqu'à la Révolution de 1789.
Or, Louis IX, bientôt dit saint, veut absolument détruire cette ultime "synagogue de Satan". Revenu vaincu de la 7e Croisade, il croit que c'est à cause d'une punition divine. Ainsi, décide-t-il de purifier entièrement son royaume de toute hérésie contre son dieu. D'où l'éradication des derniers adeptes du catharisme.
Chabert de Barbaira, lui, assiégé donc, est attiré dans un guet-apens. Fait prisonnier, il échange sa liberté et sa vie contre la reddition de Quéribus. Que sont devenus les derniers cathares? Pas de bûcher et aucun document ne précise leur sort.
Et la légende reprend ses droits. Le trésor de Montségur, dissimulé dans les murs de Quéribus, a pris la poudre d'escampette, avec eux. Ces derniers l'auraient enfoui dans l'une des cavernes du Razès.
Le temps de l'abbé Saunière
L'abbé Bérenger Saunière (1852-1917) est né dans cette région de l'Aude, d'une famille nombreuse et modeste de 7 enfants. Ordonné prêtre en 1879, il devient le curé de Rennes-le-Château, à 33 ans, village de 300 habitants à l'époque, voisin de celui de Bugarach. Il prend une servante de 18 printemps en la personne de Marie Dénarnaud, ce qui fait beaucoup jaser dans la paroisse. L'église et le presbytère sont dans un piteux état et les villageois ne portent pas tous en odeur de sainteté la foi catholique. Lors des élections municipales de 1885, en chaire, l'abbé Saunière en appelle à la victoire des Royalistes contre les Républicains. Or, ceux-ci sortent vainqueurs à Rennes-le-Château. Le prêtre n'en ayant cure et multipliant ses prêches monarchistes, le conseil municipal sollicite son renvoi auprès du ministre des Cultes, ce qu'il obtient. L'abbé se retrouve durant 6 mois comme professeur au Petit séminaire de Narbonne. Mais l'évêque, qui soutient son prêtre, ne nomme personne d'autre à son ministère.
L'abbé Saunière revient donc à Rennes-le-Château le 1er janvier 1886, doté de 200 francs-or par l'évêché et de 1 500 francs-or, don de la duchesse de Chambord, personnalité éminente du mouvement royaliste. Fort de cette petite fortune et de son salaire mensuel de 75 francs-or, il fait entreprendre des travaux de réfection dans l'église.
Au fil de ceux-ci, plusieurs découvertes sont citées par les historiens, sans pouvoir en préciser l'entier contenu. Mais les vitraux de l'église sont remplacés et fabriqués par un maître-verrier de grand renom. Les recherches se poursuivent dans l'église. Puis l'abbé, après avoir ordonné à ses ouvriers de desceller une dalle dans la nef, les renvoie, pour ne poursuivre des recherches qu'avec l'aide de sa seule servante. Cette année-là, on surprend le couple en train de retourner le cimetière la nuit. Il leur est demandé de tout remettre en l'état. Mais l'abbé se rend propriétaire d'un terrain côtoyant le cimetière.
1893, il se rend à Paris, puis ouvre des comptes en France jusqu'à Budapest. Bientôt, des mandats, libellés au non de Marie Dénarnaud, sa fidèle et silencieuse servante, arrivent de toute l'Europe. La rénovation entière de l'église coûte le prix de 4 édifices religieux. Puis vient la construction d'un grand domaine, avec une superbe villa surmontée d'une tour.
Le couple va alors mener grand train de vie et recevoir luxueusement ses hôtes. Bref, plusieurs millions de francs-or sont dépensées en travaux, en constructions, en réceptions, somme très éloignée des 75 francs-or perçus par le curé, même en y ajoutant les dons de son évêque et de la duchesse de Chambord.
En 1904, le domaine est entièrement rénové pour la somme de 675 600 francs-or. A cette époque, un repas chez Maxim's à Paris revient à 20 francs-or. A cela, il faut ajouter les frais en mobilier, tapisseries, argenterie, peintures et papiers peints de la villa et de la tour. Et la famille de sa servante n'est pas oubliée. Au crédit également de l'abbé Saunière, des milliers de francs-or à des familles pauvres des environs.
1902, l'évêque protecteur de l'abbé décède et son remplaçant lui demande des comptes. En 1909, l'abbé est déplacé à Coustouge tout en gardant la jouissance entière de ses biens. Le curé nommé à Rennes-le-Château est obligé de louer un appartement dans un village voisin. L'abbé Saunière est forcé à la démission.
1910, il est jugé par le tribunal de l'Officialité de l'évêché de Carcassonne pour trafic de messes, ne voulant pas dire la source de son immense fortune. En 1911, il est condamné et suspendu à vie de sa fonction ecclésiastique. Il meurt en 1917 dans sa propriété.
Son testament indique qu'il est sans le sou. En effet, ses richesses et ses biens immobiliers ont été transférés totalement à sa servante Marie Dénarnaud, laquelle taira l'origine de cette fortune jusqu'à son dernier souffle en 1953. Mais "Mademoiselle Marie", illettrée, cèdera tous ses biens à un homme d'affaires contre une pension alimentaire: elle mourra dans le dénuement complet.
Le temps du rêve
C'est l'une des énigmes que contient l'église de Rennes-le-Château; dans la nef, on peut y trouver un diable et des diablotins; tout cela fut effectué sous le commandement de l'abbé Saunière.
Le curé de Rennes-le-Château a certainement découvert un trésor. Était-ce celui du roi Alaric? Celui de l'église cathare? Ou bien d'une autre provenance? En tout cas, le secret fut gardé jusqu'au bout par le prêtre et sa servante. Quant au Graal, il ne semble pas avoir figuré dans les découvertes du couple. Or, celui-ci fait toujours tourner la tête des esprits professant qu'il existe, enfoui dans les profondeurs de ce coin des Corbières.
Alertés par Otto Rahn, un archéologue membre de la SS et qui avait fait des recherches sur le catharisme dans la région avant-guerre, les nazis feront survoler cette contrée par un avion, lors de l'Occupation de la France. En vain.
Pour autant, au printemps prochain, lorsque les enfants des Corbières iront dans la campagne après des oeufs en chocolat, sera trouvé l'un de ces jours la clé du rêve et du bonheur.
Et là, ça sera bien mieux.