Un otage belge raconte sa captivité chez les djihadistes syriens
Pierre Piccinin et Domenico Quirico
Pierre Piccinin, enseignant belge de 40 ans, était parti en Syrie début avril avec un reporter italien de La Stampa Domenico Quirico. Tout juste libéré, il raconte ses cinq mois de captivité au quotidien belge Le Soir:
« Je vais bien, malgré les épreuves subies. Mon ami Domenico est un peu plus éprouvé, mais il a 62 ans, pourtant c’est un sportif qui a fait des marathons. C’était dur. Il a d’ailleurs subi deux simulacres d’exécution… »
« Nous avons franchi la frontière depuis le Liban le 6 avril, deux jours plus tard, nous étions à Qussayr et c’est là que l’Armée syrienne libre (ASL) nous a arrêtés puis livrés à la brigade « Abou Ammar », du nom de son chef. Ces gens sont des demi-dingues plus brigands qu’islamistes, plus ou moins inféodés au mouvement « Al-Farouk », l’un des principaux groupes de rebelles même s’il a un peu éclaté ces derniers temps. »
« A peine arrêtés, la ville a commencé à être assiégée par les troupes syriennes épaulées par le Hezbollah. Nous y sommes restés deux mois ! Les cinq derniers jours ont été terribles, nous étions enfermés dans une cave sordide aux murs couverts de cafards, alors que les bombes tombaient à proximité, nous avons failli être ensevelis. Puis, c’est devenu intenable et la plupart des rebelles ont décidé de fuir, de nuit. Une longue colonne de voitures a pris la direction de Homs entre le 5 et le 7 juin, harcelée par le Hezbollah qui a réussi à détruire plusieurs véhicules. »
L’errance des otages allait ensuite se poursuivre dans le nord du pays. « On a été livré à al-Farouk, qui nous a menés à Yabroud (près du Liban) puis de là de nuit dans des pick-ups on est monté dans le gouvernorat d’Idlib, bien plus au nord. Quelques semaines plus tard, nous nous retrouvions à Bal al-Awa à la frontière turque, mais nos espoirs de libération s’évanouissaient car on repartait bientôt vers l’est, vers Raqqa, aux mains des groupes islamistes depuis des mois. Nous n’avons pas atteint la ville car on a bifurqué 80 km avant sur une piste dans le désert. »
Les contacts avec ses proches ont été quasiment impossibles. « A Qussayr, rien, malgré les promesses de nos ravisseurs. Juste après, j’ai réussi à subtiliser un GSM pendant quelques minutes et on a appelé brièvement nos familles puis plus rien. Mais on a peu à peu compris que des tractations impliquant les Italiens se tramaient en coulisses. L’Italie a une bonne expérience de ces situations. Mais cela ne se passait pas bien, on a cru qu’on allait être exécutés à un moment donné et on a réussi à s’enfuir de nuit mais on a été repris et puni le surlendemain ».
Toutefois, les négociations se poursuivaient. « On nous a d’ailleurs demandé début août par là de faire une vidéo pour prouver qu’on était toujours en vie (vidéo jamais diffusée, NDLR), puis vers le 23 août on nous a posé des questions personnelles comme le nom de mon chat – une idée de ma mère suggérée aux négociateurs italiens ! – de manière à ce que nos ravisseurs puissent convaincre ceux qui négociaient en Europe qu’on était en effet toujours bien en vie. »
Jusqu’à ce dimanche, jour de la libération, sur laquelle les ex-otages savent peu de choses ou ne veulent pas en dire plus. Pierre n’est pas près de retourner en Syrie, où il s’est déjà rendu huit fois depuis le début des événements en 2011.« C’est devenu trop dangereux pour les étrangers. L’ALS est en déliquescence. De nombreux groupes rebelles sont très radicaux, anti-occidentaux, anti-chrétiens même. La révolution n’est plus ce qu’elle était… »
Note de ma pomme:
Pierre Piccinin a déclaré à la RTBF: "J'ai longtemps plaidé pour qu'on soutienne l'Armée syrienne libre, c'étaient des officiers sérieux qui désertaient l'armée du régime pour encadrer la révolution, et lui donner un élan démocratique et laïque. On n'a pas soutenu ces gens ; on a laissé des myriades de mouvements islamistes soutenus par des monarchies du Golfe prendre le dessus. On a laissé cette armée libre à l'abandon et, dans la déliquescence, elle a formé une série de groupes de bandits(...)".
"J'ai cherché à raconter la révolution syrienne, mais il est possible que cette révolution m'ait trahi, parce que ce n'est plus la révolution que j'ai connue il y a deux ans à Alep, laïque et tolérante", expliquait pour sa part Domenico Quirico à sa descente d'avion.