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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

LE CAPITAINE BARBEROUSSE DE LA TOUR DE LA VIEILLE NOUVELLE

 

A sa figure joviale et sa grande barbe, on aurait pu reconnaître en cet officier du roi un grand-père qui aimerait faire sauter sur ses genoux ses petits-enfants.

Or il n’en était rien. Malgré cette apparente bonhomie, le capitaine Barberousse cachait sa réelle activité, celle d’un pirate sanguinaire. Certes, il avait été adoubé pour commander une redoute implantée au droit du grau de la Vieille Nouvelle. Il devait avertir l’arrière pays de tout péril venant de la mer par des signaux. La nuit, il faisait allumer un feu au sommet de sa tour, balisant ce point particulier dont devait s’écarter les quilles profondes des navires hauturiers.

La passe s’envasait à cause de la faiblesse des chasses de l’étang et des courants marins accumulant du sable sur cette côte. Ainsi, sans lanterne balisant ce danger pour la navigation, les échouages s’avèreraient nombreux sous l’obscurité la plus complète.

Mais Barberousse tira profit de cette particularité pour améliorer substantiellement sa solde et à un moindre degré celle de ses hommes. Quelquefois, il n’allumait point la lanterne de la redoute et des navires marchands s’échouaient. Le capitaine se présentait alors à eux. N’était-il pas un officier du roi ? Mais lui et sa bande ne sauvèrent personne. Au contraire, chaque équipage était massacré jusqu’au dernier et sa cargaison entièrement rapinée. Et bien sûr, tout cela était porté sur le compte de la piraterie barbaresque.

Or la traîtrise fut un jour découverte. Un mousse échappa à la tuerie intentée à bord de son bateau naufragé. Il parvint à atteindre Narbonne et l’alerta de la forfaiture d’un capitaine du roi.

Des troupes furent donc commises pour soumettre un pirate et le pendre haut et court. Or par la mer, la marine de guerre, trop lourde, ne put pas s’engager près du rivage envasé pour bombarder la redoute. Par l’étang, une goélette armée s’enfila bien dans le goulot du grau, mais fut coulé par les canons de Barberousse. Ce qui bloqua toute attaque de ce côté-ci. Quant à l’infanterie, en cette côte rase et sans taillis pour s’abriter, ses plus fous subirent une mitraille mortelle en se découvrant. Et pas question aux dragons de charger à francs étriers en ce littoral farci de marécages. Le siège de la redoute s’éternisa donc.

Pour se nourrir, Barberousse et ses bandits harponnaient les petites dorades dans le grau, ou tiraient le canard, le pluvier ou le courlis cendré. Leur citerne pouvait abreuver tout un régiment et il restait de quoi banqueter longtemps avec leurs récentes rapines. Ce qui désespéra profondément les autorités de Narbonne. Le roi allait bientôt visiter leur cité et aussi s’assurer la parfaite surveillance des côtes.

Alors, on en a voulu bougrement à l’archevêque ; l’église avait chassé du diocèse tous les petits lutins et les gentilles fées qui, autrefois, assuraient l’existence avec leur bonne magie. Oui, cette partie du Languedoc était chrétienne, mais de là à croire qu'une prière, et encore moins un miracle, détruisit un nid de pirates. Il y avait bien des rebouteux ici ou là, mais il guérissait de la diarrhée ou d’un furoncle mal placé: à cause de l'Eglise, ils n'étaient plus de vrais sorciers comme dans le temps. Oui, encore à cette époque, il n’en fallait pas beaucoup pour faire crépiter un brasier et griller vif un serviteur du démon.

Pourtant, les geôles de Narbonne en détenaient un aux fers, s’aperçut le scribe de la commune en consultant ses registres. Il avait été condamné aux flammes ; mais la sentence n’avait pas été exécutée à cause des bourrasques du Cers sur un pays desséché par la canicule. A peine une étincelle, et se seraient embrasé les platanes de la place publique où on suppliciait les sorciers. Et de là, l’incendie aurait gagné le pisé craquelé des maisons environnantes.

Mais aujourd’hui pas de bûcher pour un suppôt de Satan: il fallait absolument qu’un mauvais sort soit jeté sur la redoute de la Vieille Nouvelle.

On tira dès lors un malheureux bossu de son enfer. La superstition voulait que les infirmes, surtout ceux issus du peuple, devaient être châtiés car leur allure avait été formée par un esprit malin. Pour l’heure, celui qui se retrouva à l’air libre, sain et sauf, voulut bien admettre qu’il restait "una masca". Une "masque", ainsi était la traduction française de ces êtres très malfaisants.

Mais le bossu n'était pas né de la dernière pluie. Avant qu'il n'aille jeter son mauvais sort sur la tour de la Vieille Nouvelle, il obtint des régents de Narbonne d'être vêtu de brocards et de soie. Il fut aussi gavé d’ortolans, de gâteaux au miel et aux amandes. Il but jusqu’à plus soif les nectars les plus capiteux et ils sont légions en ces Corbières maritimes. Enfin repu, il partit pour la redoute de Barberousse, afin de circonscrire à tout jamais la piraterie s’y exerçant.

Pour ce faire, l’infirme quémanda un carrosse auquel s’attelleraient six des meilleurs chevaux du diocèse sous la direction du cocher le plus expérimenté.  Et sur ses conseils, la prévôté ne l’escorta pas.

 

Nul de Narbonne ne le revit plus jamais. On dit qu’il  avait gagné l’Aragon, sans musarder en chemin. Il y aurait monté un théâtre ambulant autour de son carrosse. Il montrait des joyeuses pantalonnades, dans lesquelles les grands de ce monde n’étaient jamais les plus forts. C'est du moins ce que rapporta le vent d'Espagne.

 

Quant à Barberousse, sans l’appui d’un sorcier, bien longtemps après, il fut pendu en haut de la redoute de la Vieille Nouvelle. L’été fut caniculaire, le Cers assécha les marécages et le grau. Sans vivre pour avoir fait trop bombance, les pirates ne purent plus pêcher le moindre menu fretin pour se nourrir. Ils se rendirent, affamés, aux dragons qui étaient rendus sous leur tour.

La tour de la Vieille Nouvelle n'est plus hantée que par les vents et les oiseaux marins. Chaque jour davantage, elle s'émiette au gré des griffes du temps. Dans ses abords, les salins de Sainte-Lucie, qui furent la première richesse de cette côte, eux, ont été abandonnés par les hommes, du moins par les maîtres d'aujourd'hui.

Et la mémoire de mon pays s'efface dans l'air mauvais de l'oubli.

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C
Et heureusement, Roger le troubadour couche les histoires et légendes de son pays afin qu'elles ne s'envolent pas au gré du Cers qui n'est point léger.<br /> Amitiés de fin de semaine<br /> <br /> caro
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S
tant que tu nous raconteras tous ces contes occitans la mémoire de ton pays ne se perdra pas dans l'oubli<br /> donc tu dois continuer à écrire sur le languedoc et ( sur d'autres provinces également) pour la mémoire et pour notre plaisir
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