La Cisjordanie colonisée
Israël poursuit sa colonisation de la Cisjordanie avec le bienveillance de ses alliés, les USa et l'UE. Un journaliste de l'Humanité, Pierre Barbancey, s'est rendu au Sud d'Hebron, dans le village de Susiya. Son article:
Malgré ses quatre-vingt-cinq ans Hadj Khalil a gardé un regard d’enfant. Des yeux d’un bleu un peu délavé, tout ronds, qui scrutent le monde avec une curiosité toujours renouvelée. Pourtant, pour ce Palestinien de Susiya, dans le sud de la Cisjordanie, ce monde est tout ce qu’il y a de plus restreint. À ses côtés, à l’ombre bienfaisante de sa tente qui doit beaucoup à la culture bédouine, dans le souffle refroidi du vent et au milieu du vol exaspérant de centaines de mouches, on mesure l’aridité du lieu. Le début d’un désert fait de roches et de cavernes. Juste de quoi poursuivre l’élevage de moutons et élever quelques poules. Pour le reste, le quotidien d’Hadj Khalil se résume à assister à la colonisation croissante de ces terres palestiniennes et à l’intrusion permanente des colons.
Une colonisation sournoise
Officiellement, le gouvernement israélien ne donne des autorisations que pour l’expansion des colonies existantes, sous prétexte de « croissance naturelle ». De fait, le taux de fécondité dans les colonies est particulièrement élevé. Mais la véritable colonisation se passe d’autorisation. Quelques colons placent un ou deux mobile homes sur le sommet d’une colline et prennent possession des lieux avec l’accord tacite des autorités, qui parlent « d’avant-postes illégaux » (comme si les colonies, elles, étaient légales). L’armée les protège, ils se branchent sur les réseaux d’eau et d’électricité et le tour est joué. On les voit, comme des chenilles processionnaires, d’Hébron à Susiya, autour de la moindre enclave palestinienne, prêtes à les engloutir. Il ne suffit plus alors que d’empêcher les Palestiniens de cultiver leurs terres qui se trouvent en contrebas, de brûler les arbres, de les attaquer. « L’autre jour, deux d’entre eux sont arrivés. On a lancé des pierres pour qu’ils s’en aillent, se souvient Hadj Khalil. Ils nous ont dit “préparez vos couteaux, on va revenir”. C’est ce qu’ils ont fait, accompagnés de soldats qui ont pointé leurs armes vers moi. » Il sait de quoi ces colons sont capables. L’an dernier, son épouse, Waddah, a voulu déloger les moutons de ces colons qui venaient manger le peu d’herbe qui poussait. Mal lui en a pris ! Les Israéliens l’ont battue. Elle s’en est tirée avec sept points de suture. « Deux soldats étaient là, ils n’ont rien fait », raconte-t-elle.
Ce harcèlement israélien a commencé en 1986, avec la « découverte » par des archéologues israéliens d’une synagogue antique. Hasard, trois ans auparavant avait été créée la colonie de Susiya, près du hameau palestinien portant le même nom. Mais, en 1986, les Palestiniens ont été déplacés. « Mon père m’a pris dans ses bras pendant que les bulldozers détruisaient nos maisons et bloquaient les grottes dans lesquelles nous vivions, se souvient Nasser Nawaj’ah, qui avait quatre ans à l’époque. Nous nous sommes dispersés sur nos terres agricoles, autour du village. Les adultes espéraient que nous reviendrons un jour dans nos grottes, mais une clôture a été dressée autour du village, qui a été transformé en site archéologique. Aujourd’hui, nous vivons toujours sur nos terres agricoles et je peux voir l’endroit où je suis né, mais je ne peux pas y aller. Les Israéliens et les étrangers du monde entier peuvent pénétrer sur le site, mais pas moi. » Un témoignage fort que cet homme, qui travaille avec l’organisation israélienne des droits de l’homme, B’Tselem, a publié en hébreu sur le site du journal à grand tirage Yediot Aharonot. Pour que les Israéliens ne puissent pas dire qu’ils ne savaient pas.
Le harcèlement et l’intimidation n’ont pas fait plier les Palestiniens. Hadj Khalil évoque ces moments où l’occupant arrive, les force à monter dans des camions avec leurs affaires pour les déplacer vers Yata, la ville qui se trouve à quelques kilomètres. Il revoit l’humiliation de cette benne qui se lève et laisse glisser les sacs et ce qu’ils ont pu emmener, comme s’il s’agissait de détritus. À quel moment parle-t-on de nettoyage ethnique, d’ailleurs ? Le vieil homme et sa femme, ses enfants, et tous les habitants de la zone n’abdiquent pas. Ils reviennent inlassablement sur leurs terres. Il sort de sa poche un papier. Le premier ordre d’expulsion que les Israéliens lui ont envoyé. Il date du 5 mai 1997. Alors que l’affaire était devant la Cour, les soldats ont détruit les cavernes naturelles et les tentes. Mais rien n’y fait. Depuis, une organisation israélienne d’extrême droite, Regavim, a déposé une pétition devant la Haute Cour pour demander la destruction de Susiya. L’administration a délivré des avis de démolition pour 52 structures et tentes dont une clinique médicale, un jardin d’enfants, un bâtiment d’énergie solaire qui fournit l’électricité pour la région et même les sanitaires ! « Le jour qui est passé est meilleur que celui qui vient », lâche, philosophe, Mohammed Nawaja qui a, lui aussi, reçu un avis de démolition. « J’ai soixante-six ans, je suis plus vieux que l’État d’Israël. On m’empêche même d’avoir une tente alors qu’un colon peut venir de n’importe quel endroit du monde et construire sa maison avec tous les services y afférents. Mais moi, on me dit que je représente un danger pour la sécurité d’Israël ! »
En réalité, Tel-Aviv veut tout simplement annexer cette partie de la Cisjordanie. C’est pourquoi elle ne construit pas là ce fameux mur censé protéger Israël contre « les attaques terroristes », envoie des avis de démolition et expulse des centaines de Bédouins coupables d’être établis dans ce qui devrait devenir une zone d’exercice militaire. « On mourra ici, avec notre fierté », prévient Mohammed Nawaja.
Constructions touristiques dans les colonies Le gouvernement israélien franchit une nouvelle étape dans la colonisation des territoires palestiniens. Évidemment, officiellement, il ne s’agit pas de ça. Les autorités expliquent de façon ingénue que la capacité hôtelière de Jérusalem ne peut répondre aux nombreuses demandes touristiques. En conséquence de quoi, il a été décidé d’autoriser et de financer la construction d’hôtels. Pas à Jérusalem-Ouest. Pas non plus dans la partie orientale occupée de la ville. Non, pour la première fois, ces infrastructures touristiques seront érigées dans des colonies. Il s’agit de Maala Adumim, colonie gigantesque qui empêche toute continuité entre Jérusalem-Est et Jéricho, ainsi que du Gush Etzion, colonie chargée là encore de s’opposer à une continuité territoriale avec la Cisjordanie. Israël pourra ainsi rendre de plus en plus « normales » ces colonies qui seront même visitées par les touristes du monde entier. Honteux !