Histoire du 1er mai
Je reprends ici les articles de deux historiens parus en 2012 dans mon blog, Jean Mézières dans Mediapart et dans Rue89, Danielle Tartakowsky. Les illustrations sont de ma pomme.
Aux Etats-Unis, au cours de leur congrès de 1884, les syndicats américains se donnent deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils choisissent de débuter leur action le 1er mai parce que beaucoup d’entreprises américaines entament ce jour-là leur année comptable, et que les contrats ont leur terme ce jour-là.
C’est ainsi que le 1er mai 1886, la pression syndicale permet à environ 200 000 travailleurs d’obtenir la journée de 8 heures. D’autres travailleurs, dont les patrons n’ont pas accepté cette revendication, entament une grève générale. Ils sont environ 340 000 dans tout le pays.
Le 3 mai, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes de la société Mccormick Harvester, à Chigago. Le lendemain a lieu une marche de protestation et dans la soirée, tandis que la manifestation se disperse à Haymarket Square, il ne reste plus que 200 manifestants face à autant de policiers.
C’est alors qu'une bombe explose devant les forces de l’ordre. Elle fait un mort dans les rangs de la police. Sept autres policiers sont tués dans la bagarre qui s’ensuit.
À la suite de cet attentat, cinq syndicalistes anarchistes sont condamnés à mort Albert Parsons, Adolph Fischer, George Engel, August Spies et Louis Lingg ; quatre seront pendus le vendredi 11 novembre 1887 (connu depuis comme Black Friday ou «vendredi noir») malgré l’inexistence de preuves, le dernier (Louis Lingg) s’étant suicidé dans sa cellule. Trois autres sont condamnés à perpétuité.
En 1893, la révision du procès reconnaît l'innocence des huit inculpés ainsi que la machination policière et judiciaire mise en place pour criminaliser et briser le mouvement anarchiste et plus largement le mouvement ouvrier naissant.
Sur une stèle du cimetière de Waldheim, à Chicago, sont inscrites les dernières paroles de l’un des condamnés, August Spies : "Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui."
20 juin 1889 : le congrès de la IIème Internationale socialiste réuni à Paris pour le centenaire de la Révolution française, décide , sur une proposition de Raymond Lavigne,de faire du 1er mai un jour de lutte à travers le monde avec toujours pour objectif la journée de huit heures. Cette date fut choisie en mémoire du mouvement du 1er mai 1886 de Chicago.
Dès 1890, les manifestants arborent un triangle rouge symbolisant leur triple revendication : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs. Cette marque est progressivement remplacée par une fleur d’églantine, puis en 1907 par un brin de muguet.
Jean Mézières
24 avril 1941 : en pleine occupation allemande, le 1er mai est officiellement désigné comme la fête du Travail par le régime de Vichy qui espérait ralier les ouvriers. Le jour devient chômé.
Note de ma pomme: Pour ne pas finir sur la sinistre propagande de Pétain, Chef de l'Etat français collaborateur avec l'Allemagne nazie , quelques affiches de la CGT et deux photos à Mantes-la-Jolie à l'occasion du 1er mai.
La réduction du temps de travail toujours d'actualité
1er mai 1937 Mantes-la-Jolie
1er mai 1946 Mantes-la-Jolie
Pourquoi tant de passions autour du 1er Mai ? Nous avons posé la question à Danielle Tartakowsky, historienne, l’auteure d’une histoire de cette journée particulière: La Part du rêve (éd. Hachette).
Rue89 : Tout le monde s’arrache le 1er Mai. Pourquoi cette fête a-t-elle une telle force symbolique en France ?
Danielle Tartakowsky : D’abord, est-ce une « fête » ? Le mot fait question, certains préférant parler de « journée de lutte ». Depuis 1890, lorsque la journée du 1er Mai a pour la première fois été organisée dans plusieurs pays industrialisés, on a remis en cause le mot « fête ». A l’époque, les militants du mouvement anarchiste, notamment, expliquaient que ce ne pourrait être une fête qu’après la victoire des travailleurs.
Député du Parti ouvrier belge, voici ce qu’écrivait Emile Vandervelde au débit des années 1890 : « Ne faut-il pas admettre que ces noirs bataillons d’hommes obéissaient à une mystérieuse et irrésistible impulsion qui a toujours poussé les peuples à fêter le renouveau, à célébrer la fête des germes quand mai fait monter les rêves et ramène la saison d’amour.
Car ce jour-là, il y a fête dans toutes les religions et dans tous les pays. Pendant que ces travailleurs industriels quittent les usines et les charbonnages [… ] et se promènent en longs cortèges [ …] ne voyons nous pas les jeunes filles parer les autels de la vierge et les paysans planter des arbres de mai ou allumer des feux de joie sur le sommet des collines. Et ces coutumes même ne sont que des survivances d’un passé plus lointain, des temps ou nos ancêtres, celtes ou germains, célébraient la fête de l’amour ou des arbres […] nous fêtons, non seulement avec les vivants mais avec les morts, l’humanité tout entière ».
Ce qui a fait la force du 1er Mai, c’est peut-être justement qu’il est international. Il faut comprendre qu’en 1890, la mise en œuvre d’une journée internationale était une prouesse, compte tenu des moyens de circulation de l’information de l’époque.
Par ailleurs, dès le départ, cette journée du renouveau a été empreinte d’une dimension sacrée, complètement assumée. On n’hésitait pas à puiser dans le vocabulaire religieux pour en parler.
Les Italiens parlaient même de « pâque des ouvriers », Paul Lafargue évoquait le « caractère presque mystique » que conférait l’internationalisme au 1er Mai... Mais le baptême, l’offrande, la résurrection sont également invoqués, quand ce n’est pas Lazare ou le Christ...
Pourquoi a-t-on choisi cette date du 1er Mai ?
L’exposition universelle de 1889 à Paris avait été accompagnée de nombreux congrès internationaux, dont deux congrès socialistes concurrents.
Au cours de l’un d’entre eux, qu’on appelle « Le Congrès de Paris » [la 2e Internationale ouvrière ndlr], et qui réunissait les mouvements socialistes de différents pays européens, il a été décidé d’organiser une journée de revendication pour obtenir la journée de travail de 8 heures.
On avait alors pensé au 14 juillet, ou au 18 mars [date du soulèvement de la commune de Paris, ndlr], ce qui montre le poids des révolutions françaises dans l’imaginaire socialiste.
Mais c’était probablement trop français, et on a préféré retenir le 1er mai, date d’ores et déjà choisie, pour l’année 1889, par le syndicat ouvrier américain, l’American Federation of Labor. Aux Etats-Unis, le 1er mai correspond à la date des renouvellement des baux et contrats.
En Europe, sa force vient du fait qu’il échappe aux calendriers civil et religieux : il s’inscrit dans le calendrier social, tout en faisant écho à des célébrations printanières anciennes – le mai des folkloristes.
La référence à Chicago est largement, du moins en Europe, une reconstruction postérieure. Le 1er Mai de 1890 était une journée conçue non pas par des syndicats, mais par des mouvements politiques socialistes. Lorsqu’en France, en 1905, la SFIO s’est retirée de l’organisation du 1er Mai, laissant la CGT organiser la grève générale à cette occasion, on a commencé à insister sur l’importance du 1er mai de Chicago.
Depuis quand est-ce férié ?
En France, le Front populaire avait l’intention de rendre cette date fériée, mais le projet n’est pas allé à son terme à la Chambre des députés. En 1941, Pétain en fait un jour férié.
Mais à l’époque, férié ne veut pas dire chômé : on s’arrête de travailler dans les usines que le temps d’une cérémonie, avec lecture du discours du Maréchal ...