11 novembre 1918, le soldat languedocien Auguste Colombier n'est pas rendu à la vie civile
Mon grand-père est né le 28 septembre 1898 dans le petit village de la Nouvelle, dans l'Aude, qu'il n'a jamais quitté.
Pour passer son conseil de révision à Sigean, chef-lieu de canton, il roule à bicyclette sur 5 kilomètres. Il est de la classe 17. Devant l'hécatombe que subit l'Armée française, l'âge légal de mobilisation est avancé de deux ans. Ainsi, mon grand-père part à la guerre à 18 ans et quelques mois.
Il ne parle que l'occitan, sa langue maternelle. Le français, il l'a laissé sur les bancs de la communale à 13 ans. A Clermont-Ferrand, sous l'uniforme du 216e régiment d’artillerie de campagne, au sein de la 63e Division du 13e corps d’Armée, lors de son instruction militaire, il apprend chaque jour davantage la langue officielle de la patrie en danger : rassemblements et corvées, apprentissage pour monter à cheval, tirs à blanc pour manier le canon de 75mm. Le 216e régiment d'artillerie de campagne s'est formé en avril 1917.
Le 11 novembre 1918 retrouve mon grand-père sur le front de l'Est, à Lunéville, décoré de la croix de guerre avec palme et de la médaille des blessés de guerre. Comme beaucoup, il imagine regagner la vie civile en son Languedoc natal, surtout que le 216e RAC commence à se démembrer. Or, les plus âgées partent bien au repos à l’arrière, mais les plus jeunes, dont mon grand-père, sont versés dans le 16e régiment d'artillerie pour s’enfoncer en Allemagne tant que le traité de paix n’est pas signé. Dès le 1er décembre 1918, les Français s'enfoncent donc en Rhénanie dont la capitale est Mayence.
La batterie de mon grand-père pénètre si profondément en Allemagne qu'elle se coupe de l'intendance du régiment. Pour l'anecdote, Auguste Colombier abat du gibier au fusil de guerre pour nourrir ses copains. Une photographie l’immortalise devant son tableau de chasse.
Traité de Versailles paraphé par l’Allemagne en juin 1919, retour vers la frontière française en train, debout en 4e classe allemande, dans le cadre des dommages de guerre cédés à la France. Cette classe était réservée aux permissionnaires allemands,toujours encombrée avec un banc en bois à chaque extrémité.
Mon grand-père assis à gauche avant son départ vers la mère patrie
Gare de l'Est-Gare de Paris-Lyon, puis long cheminement jusqu'à la gare de Marseille Saint-Charles, toujours en 3e classe.
Marseille, encore encaserné pour l'ancien combattant. Le service militaire étant toujours de 3 ans, Auguste Colombier, de la classe d'âge 17, conservera son uniforme jusqu'en 1920.
A Marseille, versement dans l'infanterie coloniale. Longue traversée de la Méditerranée en suivant les côtes sur un vieux cargo, prise de guerre aux Allemands, jusqu'à Alger. Ensuite, des camions brinquebalant sur 50 km de piste pour la frontière marocaine. Puis, Bouârfa au Maroc sous protectorat français. Les poilus gardiennent l'industrie minière de manganèse et le chemin de fer appartenant au capitalisme français. Dans le Nord du pays, sous domination espagnole, la République du Rif combat la monarchie ibérique colonialiste. Mais le commandant écourte la parenthèse coloniale de cette jeunesse qui a combattu durant la guerre.
Interminable trajet inverse pour regagner le port de Marseille. Mon grand-père n'est toujours pas démobilisé. A Marseille, train militaire en 3e classe, casqué et armé comme pour reprendre la guerre. Pas contre les Allemands, mais contre les cheminots français grévistes.
Mon grand-père se retrouve, baïonnette au canon, devant le tunnel de Saint-Roch à Castelnaudary, sous-préfecture de l’Aude, dont les voies conduisent dans l'Aveyron ou dans le Tarn. Ce boyau d’une centaine de mètres est stratégique : en cas d’un sabotage, coupure de la voie ferrée et du canal du Midi qui passe au-dessus. L’ancien combattant fraternise avec des grévistes et échange du tabac contre du vin.
La grève des cheminots stoppée par le gouvernement, en mai 1920, Auguste Colombier est définitivement démobilisé.
Retour toujours en 3e classe, dans le rapide express qui s'arrête dans toutes les gares, jusqu'à Narbonne. Correspondance pour l'omnibus vers le port de la Nouvelle, toujours sur les bancs en bois de cette 3e classe dans laquelle il a tant pérégriné sur les rails durant la Grande Guerre.