La CGT et la guerre d'Algérie
Ces lignes sont tirées de Mémoires Vives, revue de l'Institut CGT d'histoire sociale de l'Île-de-France: résumé sans doute incomplet des 84 pages écrites sous la direction de Gilbert Dubant, rédacteur en chef de Mémoires Vives, et de Joël Biard, président de l'IHS-CGT d'IDF.
L'Algérie
Premier territoire colonial conquis par la France en 1830, elle accède à l'indépendance six ans après le Maroc et la Tunisie, et deux ans après les colonies d'Afrique orientale et occidentale. Elle ne devient état indépendant qu'après une guerre qui a duré de 1954 à 1962.
Partagé en deux départements français, cas unique dans tout l'empire colonial de la France, le pays est divisé en deux communautés distinctes aux droits inégaux: les "Français Musulmans" (90%) et les "Citoyens français" d'origine européenne (10%).
Le recensement de 1954 dénombre 8 318 000 Arabo-Berbères et 1 052 400 habitants d'origine européenne. Le revenu moyen algérien est de 54 000F de l'époque, contre 240 000F en France métropolitaine. Mais plus de 6 millions de Français Musulmans vivent de l'agriculture avec un revenu moyen de 20 000F. Parmi les ouvriers, 167 778 Arabo-Berbères sont des manoeuvres pour 23 187 d'origine européenne. A l'autre bout de l'échelle, 46 220 sont cadres d'origine européenne, pour 9 759 Français Musulmans.
En 1956, la mortalité infantile d'origine européenne est de 40/1000, celle des Arabo-Berbères de 167/1000. En 1960, par manque d'enseignants et de moyens, plus de 80% de la population musulmane est analphabète. A cette époque, les Arabo-Berbères peuvent opter pour la nationalité française; or en 1962, seuls 10% ont été naturalisés.
Le syndicalisme algérien
En décembre 1954, la CGT d'Algérie se transforme en Union Générale des Syndicats Algériens, l'UGSA, affiliée à la FSM (Fédération syndicale mondiale), comme la CGT. André Ruiz, son secrétaire général, d'origine européenne, écrit dans Le Peuple, le journal de la CGT, le 15 décembre 1954: "C'est contre ce régime colonial que se dresse l'immense majorité du peuple algérien, organisé dans les différents partis du mouvement national, qui lutte pour le respect de la personnalité algérienne et le droit du peuple algérien de disposer librement de lui-même".
En Algérie, le FLN (Front de libération nationale), qui conduit le soulèvement armé contre la France, fonde l'UGTA (Union générale des travailleurs algériens) affilié à la CISL, fédération mondiale d'obédience américaine opposée à la FSM. Ce syndicat ne regroupe que des Arabo-Berbères.
En 1956, le FLN assure ne pas vouloir "jeter à la mer les Algériens d'origine européenne", de "détruire le joug colonial inhumain" et de "conquérir l'indépendance nationale". Or, l'idée que l'Algérie est la France reste profondément ancrée dans l'opinion métropolitaine au début de la guerre. Et le PCF ne milite que pour une autonomie de l'Algérie dans le cadre de l'Union française adoptée en 1946, mais sans prôner son rattachement à la France. Tous les autres partis politiques de la métropoles sont partisans d'un retour à l'ordre par la force.
Côté syndical, seule la CGT, par son Comité confédéral national, se prononce le 17 juin 1954 pour "un soutien aux aspirations nationales du peuple algérien". Le 3 novembre 1954, le Bureau confédéral, s’élève contre la répression en Algérie et soutient "les revendications des Algériens et leurs aspirations nationales". La lutte armée en Algérie pour son indépendance débute le Le 1er novembre 1954.
En Algérie, l'administration coloniale va saisir la presse syndicale de l'UGTA et de l'UGSA. Elle procède à de nombreuses arrestations de syndicalistes. Le décret du 27 novembre 1956 prive tous les élus UGSA de leurs mandats (CA-DP-CE). En janvier 1957, des camps d'internements sont ouverts et la mort frappe parfois les syndicalistes algériens. Rappel: le gouvernement socialiste de Guy Mollet avait obtenu pourtant le 12 mars 1956 les "pouvoirs spéciaux" pour la paix en Algérie d'une majorité des députés dont les 152 députés communistes.
Les "règlements de compte" au sein des partisans de l'indépendance algérienne tournent à l'avantage du FLN. Celui-ci fait assassiner en Algérie et en France une grande partie de l'UGSA. En deux mois, celle-ci est décapitée: ne reste plus dans le paysage syndical algérien que l'UGTA. Après la proclamation du GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne), en septembre 1956, en France, la grande majorité des travailleurs algériens se rallient au FLN. Des militants, demeurés à la CGT, sont arrêtés par la police française. En France, le FLN devient nationaliste et entre en guerre dans la métropole. il n'y a plus de lien organique entre lui et les mouvements français partisans de la lutte anticolonialiste dont la CGT.
L'opinion politique française
De 1954 à 1956, la métropole considère cette guerre comme des "évènements". La dénonciation du colonialisme français n'est le fait principalement que des directions de la CGT, du PCF et de quelques chrétiens humanistes. Or, quand le socialiste Guy Mollet, premier ministre de l'époque, envoie les appelés "pacifier l'Algérie" et rappelle des classes d'âge pour aller y combattre, l'opinion française commence à s'émouvoir. Elle se durcit avec l'arrivée des premiers cercueils des appelés tués au combat.
Contre le coup de force des ultras européens en Algérie, en 1958, les cheminots ont débrayé à l'appel de la CGT. La répression, qui s'ensuit, accentue la prise de conscience de la population. Désormais, la CGT s'engage pour "l'affirmation du droit des peuples et des travailleurs algériens à ses libertés, à sa patrie, à son indépendance". Elle est soutenue par le PCF, le Secours populaire, des mouvements chrétiens comme la Jeunesse ouvrière chrétienne, par des intellectuels et des dissidents du PS qui ont formé le PSU.
Les appels de la CGT à la grève pour "la Paix en Algérie" sont de plus en plus entendus. La dénonciation de la torture en Algérie, par Henri Alleg, La Question, aux éditions de Minuit, dès le 7 mars 1958, circule sous le manteau. Les drames, de plus en plus nombreux, du rapatriement de soldats morts au combat, dans une guerre où ils se sentaient entraînés malgré eux, accélèrent le basculement de l'opinion française en faveur de la paix.
La fin de la Guerre d'Algérie
Le 22 avril 1961, les généraux à la retraite, Salan, Jouhaux, Challe et Zeller, tentent de soulever l'Algérie contre la République par un putsch militaire. Alger passe sous leur contrôle armé. En Corse, des régiments de parachutistes s'agitent. Mais le contingent et les officiers républicains refusent de suivre les factieux. En France, la CGT appelle à la grève et à manifester: le coup d'état échoue. L'extrême-droite était favorable au putsch. L'aventure terminée en Algérie, depuis l'Espagne franquiste, l'OAS, dirigée par Salan, (organisation armée secrète) va ensanglanter la France et l'Algérie.
En Algérie, le quotidien est tragiquement secoué par les attentats urbains du FLN, de l'OAS et les "ratonnades" contre les musulmans. Les opérations militaires françaises ravagent les campagnes; des villages entiers sont enfermés dans des camps; les Français d'origine algérienne quittent le bled. Il n'y a plus de réconciliation possible entre Algériens d'origine européenne et Algériens musulmans.
La tuerie de la police française du 17 octobre 1961, à Paris, contre la manifestation pacifique d'Algériens opposés au couvre-feu, ordonné par Maurice Papon, le massacre de Charonne du 8 février 1962, dirigé par le même préfet de police, sont deux évènements marquants dans cette période.
Le 19 mars 1962 considéré comme la date de la fin de la guerre
C'est en fait la signature du cessez-le-feu à Evian entre le GPRA et la France. En vérité, jusqu'au 5 juillet 1962, les attentats OAS des deux bords de la Méditerranée et ceux du FLN en Algérie ne cessent pas.
C'est toutefois en Algérie que l'OAS abat ses dernières cartes, dans un crescendo de rage et de terre brûlée. Si gros colons et affairistes ont mis déjà fortunes et familles à l'abri en Europe, la majorité du peuple Pieds-Noirs, désespérée, se jette dans les bras des factieux. Le 22 mars, l'OAS abat 6 jeunes français appelés du contingent à Bab-el-Oued. Le 23, elle prend le contrôle de ce quartier d'Alger et appelle à la grève générale. L'armée a ordre de tirer pour ne pas céder à l'émeute. Qui fait feu le premier dans la rue d'Isly? Bilan: 46 morts et 150 blessés, tous Européens, mais la réalité est sans doute supérieure. Le 2 mai 1962, l'OAS commet un attentat à la voiture piégée sur le port d'Alger: 110 morts et 150 blessés, tous musulmans. Le FLN se venge, des Français sont enlevés, on les retrouve égorgés, on perd la trace de beaucoup d'autres. Les musulmans subissent ratonnades et mitraillages. Le président de la République, Charles de Gaulle, demande alors d'approuver l'autodétermination de l'Algérie, par référendum.
Au printemps et à l'été 1962, c'est l'exode pour plus d'un million de citoyens français d'origine européenne et des Harkis, supplétifs engagés dans l'armée française. Tous arrivent en France dans un pays que l'immense majorité ne connaît pas. Une autre histoire tragique va s'écrire en Algérie pour les Harkis. Sur le territoire de la République française, ils sont internés dans des camps et des hameaux forestiers, considérés en réfugiés et non en rapatriés comme les Pieds-noirs européens.
De toutes les luttes anticolonialistes qu'elle mena, la Guerre d'Algérie fut celle qui mit la CGT en grandes difficultés: contre l'opinion publique française en général, mais aussi dans ses rangs au départ de l'insurrection armée.
Pour autant, la CGT ne se départira pas de sa solidarité envers le peuple algérien en lutte pour son indépendance. Envers et souvent contre tous, et jusqu'à la Paix en Algérie.
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