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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Amis lecteurs, cette histoire n’a rien à voir avec celle, célèbre, du curé de Cucugnan qu’Alphonse Daudet a consacré dans ses Lettres de mon moulin et qui se situe en Provence, au pays dit-on des santons.

En effet, si un moulin, le Moulin d'Omer, surplombe bien Cucugnan depuis des temps immémoriaux, ce petit village s'érige dans les Corbières. Ce n'est pas non plus le Mistral de la Provence qui fait tourner les ailes de ce moulin toujours en activité, mais le Cers, en Occitanie, ce vent du Nord-Ouest qu'en pays catalan voisin on dénomme Tramontane.

Le Moulin d'Omer capture d'écran sur Wikipédia

Le Moulin d'Omer capture d'écran sur Wikipédia

Voici donc la rencontre du curé de Cucugnan, dans les Corbières, et celle du père Noël qui, chacun le sait, est au plus haut des cieux.

Cela se passa autrefois. Il neigeait très fort sur le petit village de Cucugnan en cette nuit du 24 décembre et les bourrasques du Cers avaient d’autant plus désorienté le père Noël.

Il faut dire qu’une telle inclémence du temps en pareille époque n’avait jamais encore existé dans ces Corbières, de mémoire de vieux villageois. Si bien, lors de sa tournée pour apporter des joujoux par milliers, le père Noël s’égara dans le ciel sans étoile ni lune. Il prit le clocher de l’église Saint-Julien et Sainte-Basilisse pour une cheminée. Voilà pourquoi il déboucha au milieu des cloches. Puis s’apercevant de sa bévue, il redescendit aussitôt tout en bas, par l’une des cordes.

Il atterrit pile devant monsieur le curé en train d’apprêter l’autel pour la messe de minuit. Enfin, celle de 10h du soir.

En effet, si le prêtre avait maintenu l'office en l'honneur de la nativité du divin enfant à 0h 00, il se serait retrouvé tout seul, comme un âme en peine, dans son église. A cette heure-ci, ses paroissiens, même les grenouilles de bénitier, festoyaient chez eux depuis longtemps. Et sans manger maigre comme le prescrivait un dogme de l'église catholique, la veille de Noël.

L’abbé s’interloqua donc à cette surprenante apparition dans un édifice consacré exclusivement à Dieu. Tout d’abord, le prêtre crut à l’un de ces désordres fomentés dans le village pour fêter la venue de l'an nouveau. Chaque fin d’année voyait mener grand tapage aux portes et aux volets de la commune. On perpétuait le temps révolu des mœurs païennes afin de chasser les mauvais esprits jusqu’à l’an neuf, comme si les dévotions chrétiennes ne suffisaient pas.

Mais non, ce vieux bonhomme placide et souriant, avec sa barbe blanche, sa hotte sur le dos et sa houppelande rouge, n’était en rien l’instrument du tintamarre hérétique coutumier. Et notre bon curé sursauta lorsque ce visiteur insolite lui affirma, le plus naturellement du monde, être le père Noël en chair et en os.

« Mon Dieu », s’exclama l’homme d’église en se signant. Il avait suivi le petit séminaire à Narbonne et le grand séminaire  à Carcassonne, il lisait en latin les dogmes, il savait donc pertinemment que le père Noël n’était que pure imagination, pire, un culte mercantile pour vendre des jouets, au lieu de célébrer la Nativité.

Le père Noël remarqua ce franc désarroi. Il en rit gentiment, puis décida de sortir de l’église. Il n’aurait jamais assez d’arguments pour convaincre l’ecclésiastique et trop de cheminées l’espéraient avant qu’il ne regagne les nuages où il logeait le reste de l’année. Toutefois, avant de franchir le perron, il cligna de l’œil au prêtre toujours éberlué en lui disant : « En cette nuit, j’apporte des présents aux petits enfants et aussi aux plus grands qui ont du cœur à revendre ! »

Plus tard et à l’heure dite de 10h du soir, la messe de minuit se déroula sans anicroche et son officiant ne songea plus à ces élucubrations.

Il ne neigeait plus lorsqu’il repartit vers le presbytère. Les Cers s’était aussi endormi dans le Nord-ouest et avant cela, avait découvert tous les astres du ciel. Le prêtre regarda les cieux étoilés et, nouvelle stupéfaction, il sembla qu’une comète lui adressait une bonne nuit. Il ferma ses yeux brusquement et secoua plusieurs fois sa tête en signe de dénégation. Quand il les rouvrit, ce fatras avait disparu entièrement de la constellation et cette nuit de Noël restait scintillante sur la terre comme au ciel.

Le curé rentra chez lui, son cœur soulagé. Après les fêtes, il consulterait son médecin sur ses hallucinations. Bon pour l’instant, il avait placé deux souliers devant sa cheminée, comme autrefois quand il était tout petit. Certes, chaque veille de Noël, il battait sa coulpe en accomplissant cette pure sottise ; or il renouvelait la même stupidité toutes les fois.

Mais en cette très chrétienne nuit, quelque chose attira son regard. Une chaussure contenait un enfant Jésus en sucre rose, l’autre, un père Noël en chocolat. Alors les croqua-t-il à petits bouts, ses yeux clos de ravissement, sans penser commettre un péché. Et provenant de son cœur, dans sa tête, retentirent les cloches de Noël de sa tendre enfance, à cet âge où l'on croit encore à des rêves merveilleux. Et ce fut bien.

J'ai cru bon de tirer ceci de mon livre Contes et légendes du Pays des Corbières, que les éditions régionalistes Lacour-Ollé ont publié en 2015.

En attendant, que ce Noël vous apporte un pleine hotte de luttes et de courage. En ces temps mauvais, cela ne peut que servir.

Mais en plus de cette histoire, l'église de Cucugnan recèle une particularité: une statue de la Vierge enceinte. Comme quoi, dans les Corbières, le rêve tutoie toujours la réalité. Ou l'inverse.

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