Paris, le Premier mai 1906 pour la journée de 8 heures de travail
Emmanuel Macron, son gouvernement et ses parlementaires, n'ont de cesse de fracasser les droits conquis par les travailleurs. En ce premier mai 2019, un rappel sur l'une de ces luttes victorieuses, la journée de 8 heures de travail, revendication historique du mouvement ouvrier.
La loi est finalement votée le 23 avril 1919. Mais le texte contient des restrictions et dérogations propres à susciter l’inquiétude de la CGT. Cette affiche ci-dessus, éditée pour le premier mai 1919, incite donc les travailleurs à poursuivre la lutte.
Avant 1919, la journée de travail pouvait aller de 5 heures 30 du matin à 20 heures 30, soit une amplitude de 15 heures, avec 1 heure 30 pour le repas. Les adolescents de 13 à 18 ans, travaillaient en moyenne 11 heures 30 minutes par jour, soit 69 heures par semaine. Les enfants de 9 à 12 ans travaillaient environ 8 heures par jour, soit 48 heures par semaine.
Mais dès 1866, sous l'impulsion de Karl Marx, la 1ère Internationale ouvrière inscrivait dans ses statuts : "Nous déclarons que la limitation de la journée de travail est la condition préalable sans laquelle tous les efforts en vue de l’émancipation doivent échouer. […] Nous proposons huit heures pour limite légale de la journée de travail. "
Le 1er Mai 1906, la CGT organise une grande manifestation pour la journée de huit heures. A Paris, les heurts entre la police et les manifestants sont tels que plus de 800 personnes sont arrêtées dont le secrétaire général et le trésorier de la CGT. Deux morts sont enregistrés par la Préfecture de police de Paris. Mais de nombreux blessés encombrent les hôpitaux parisiens.
La CGT a décidé de faire cette année 1906 un 1er mai "pas comme les autres" et de "canaliser tout effort syndical vers une seule revendication": la journée de huit heures de travail.
Au temps du travail, à celui du repos s'accole, notion neuve pour la classe ouvrière, celui du loisir. Un dessin de Grandjouan, publié dans l'Assiette au beurre du 1er mai, symbolise le rythme ternaire des prémices des lendemains qui chanteront pour les travailleurs. Cette revendication, la CGT l'entreprend depuis son congrès de Bourges en 1904, pour la faire pénétrer dans la conscience de millions d'êtres humains
“Le jour tant attendu, Paris s’éveilla par un beau soleil. Vers huit heures du matin, quand la brigade de réserve de l’officier de paix Jean fit son apparition sur la place de la République, le grand centre de polarisation des grévistes à cause de la proximité de la Bourse du Travail, beaucoup de boutiques restaient fermées. Un certain nombre s’entrouvrait avec les précautions d’usage pour fermer à la moindre alerte, Bientôt les agents patrouillent par groupes de deux ou trois. Défense expresse de stationner. Interpellations, brutalités.
A huit heures et demie, il y a déjà 146 arrestations. A neuf heures arrivent les cuirassiers, à neuf heures et demie les dragons, à dix heures les chasseurs à cheval. Les agents en civil, massés un moment à 150 devant la caserne du Château-d’Eau, se mettent de la partie. Des accrochages, des charges ont lieu. Cependant, toute la matinée, les réunions syndicales prévues se tiennent un peu partout, quelques unes à la Bourse du Travail où l’on commente le geste de libération de conscience accompli la veille au meeting de la salle des grèves par le lieutenant Tisserand-Delange, du 5e d’Infanterie.
L’après-midi, les choses prennent une tournure plus grave. Dès une heure, la circulation est impossible dans un rayon de cinq cents mètres autour de la Bourse du Travail. A deux heures, le préfet de police Lépine, promu au grade de généralissime du service d’ordre, fait son apparition. Les bagarres se multiplient et le fameux “manège Mouquin”, imaginé par un policier tristement célèbre, entre en action. Il consiste à faire tourner sans arrêt en ordre serré les gardes républicains à cheval ou les cuirassiers. On ne peut traverser la place qu’au prix de mille difficultés, en risquant les ruades ou le piétinement. Dès lors, c’est dans les artères avoisinantes que les manifestations se déroulent. Des batailles se livrent sur les quais du canal Saint-Martin, sur le boulevard du même nom, faubourg du Temple, rue de la Douane. Le funiculaire est renversé. Des barricades surgissent. Les policiers cognent et expédient aux petits bonheurs passants inoffensifs aussi bien que manifestants sur la caserne voisine transformée en prison depuis le matin et où une vingtaine d’enfants ont été traînés.
Au total, la journée se soldera par plus de 800 arrestations, dont 173 maintenues, des blessés nombreux encombrant les hôpitaux. Il y aurait même eu deux morts. Les libérés du Château d’Eau gagnèrent la sortie le soir en courbant le dos sous les coups des agents faisant la haie.” – Maurice Dommanget extrait de l’histoire du 1er Mai
Dans L'Echo de Paris, journal réactionnaire et du patronat, on se félicite des méthodes du gouvernement pour briser ce premier mai 1906. Et la parole est donnée à la préfecture de police de Paris, dirigée par Louis Lépine sous les ordres de Georges Clemenceau, ministre de l'Intérieur se définissant comme "le premier flic de France": "Nous nous trouvons en présence d’une agitation de groupements ou de syndicats ouvriers, appuyés et encouragés par la Confédération du Travail, qui ne se sont nullement organisés en vue de ce qu’ils méditent. Et que méditent-ils ? Primitivement, c’était l’obtention de la journée de huit heures par un chômage de toutes les corporations ouvrières. Depuis deux ans, une pancarte de toile, dont M. Lépine, entre parenthèses, malgré tous ses efforts, n’a pu obtenir l’enlèvement de la façade de la Bourse du Travail où elle est exposée aux yeux de tous, annonce qu’à partir du 1er mai 1906 les ouvriers ne travailleront que huit heures par jour. […] M. Lépine connaît les points stratégiques de Paris qu’il faut occuper pour rendre impossible tout mouvement insurrectionnel : sur une centaine de points, d’accord avec l’autorité militaire qui va disposer, en dehors de la garnison ordinaire, de 20 000 soldats, dont 5000 cavaliers pris dans les corps d’armée environnant Paris, nous répartirons une force de police et de sécurité de 36 000 hommes, tout compris. […] Vous supposez bien que si nous laissons dans la rue 500 manifestants déambulant au chant de L’Internationale, ce groupe sera bientôt grossi et fera la boule de neige, au point de former 1000, 2000, 10,000, 50,000… Ça, non. Ce pourrait être l’émeute, et nous devrions nous résigner à faire donner l’artillerie. Eh bien ! On n’en arrivera pas là. Les manifestants, les chômeurs ne circuleront, à aucun prix, en dehors du rayon que nous leur assignons. "