La CGT, les syndicats réformistes français et la non moins réformiste DGB allemande
Le 9 novembre 2018, la CGT a signé un communiqué commun avec l'Unsa, Fo, la Cfdt, la Cftc et la Dgb dans le cadre des 100 ans après la fin de la Première Guerre mondiale.
Si l'unité syndicale à la base dans les entreprises est nécessaire pour conquérir des droits nouveaux, de meilleurs conditions de travail et l'augmentation des salaires, pourquoi signer entre confédérations un communiqué commun et faire croire au père Noël avant l'heure, avec un meilleur avenir pour les travailleurs européens dans l'UE du capital et qui le restera? "Le travail est en passe de devenir une marchandise", dit entre autre chose le communiqué commun. Mais depuis que l'exploitation capitaliste existe, le travail n'était-il pas une marchandise?
Le communiqué est sur le site officiel de la CGT. Pour ma part, je le relate dans le cadre de la préparation du congrès confédéral de la CGT qui se tiendra du 13 au 17 mai 2019.
Cent ans après la fin de la première guerre mondiale, qui a amené à la création de l’OIT et au constat qu’« une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale », et que le travail n’est pas une marchandise, nous faisons face à une crise grave de notre projet commun : une Europe de prospérité, de sérénité, accueillante, ouverte, démocratique et qui offre une perspective à ses citoyens. Cette crise démocratique et de confiance, couplée à la montée des populismes, a des causes multiples dont notamment le trop grand mépris des aspirations sociales et démocratiques. Le travail est en passe de devenir une marchandise – à cause de la dérive ultralibérale de l’Union européenne sous l’impulsion des États-membres. Le dumping social et la mise en concurrence des travailleurs identifient, aujourd’hui, davantage l’Europe dans l’esprit des Européens que la paix, la prospérité et les libertés. Les politiques économiques aujourd’hui mises en œuvre dans l’Union européenne menacent les acquis en matière de droits sociaux et environnementaux et de démocratie sociale dans les États-membres. Demain, si elle veut exister, l’Europe doit redevenir celle qui rapproche les peuples et crée un marché intérieur au service de l’amélioration des conditions de vie et de travail et qui promeut ces droits, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau de l’Union : mettre en œuvre l’égalisation dans le progrès des conditions de vie et de travail, ce qui était le fondement de la construction européenne.
Nous sommes attachés à un cadre multilatéral fort et étroit sur notre continent. Pour pouvoir exister, il devra répondre aux attentes des citoyens et travailleurs européens. L’histoire nous rappelle la responsabilité qui doit être celle de nos deux pays dans le maintien de la paix sociale en Europe[1].
Dans ce contexte, l’Allemagne et la France ont une responsabilité particulière en tant que force motrice pour la cohésion économique, sociale et culturelle en Europe. Nos deux pays ne sont pas seulement des concepteurs déterminants du processus d’unification européenne, ils profitent également, dans une proportion considérable, de l’Union Européenne. Nous demandons que nos gouvernements apportent des réponses pour le futur de l’UE et son architecture, et qu’ils contribuent ainsi à la solidarité et à la convergence vers le haut en Europe.
Pour cette raison, nous attendons spécialement des gouvernements français et allemand qu’ils œuvrent dans ce sens. Ainsi, la signature prochaine d’un nouveau Traité de l’Élysée nous paraît un nouveau signal fort car le « moteur franco-allemand » est déterminant pour trouver des solutions aux multiples défis auxquels l’Union européenne est confrontée. Cela implique une profonde transformation sociale de l’Union européenne – qui peut être suscitée et soutenue par une initiative bilatérale de l’Allemagne et de la France. Le rapprochement dans le progrès des conditions sociales dans nos deux pays doit constituer un signal précurseur en ce sens.
L’Europe soutenue et acceptée par les peuples, c’est une Europe qui donne la priorité à la justice sociale. C’est une Europe des solidarités à laquelle aspirent les travailleurs. La concurrence sans entrave et les égoïsmes entre États-membres comme principes de fonctionnement sont en échec. Bien entendu, cette Europe-là implique des transferts ; ce qui est le propre de la solidarité. L’Union économique et monétaire est déjà de fait une union de transfert : elle renforce les États-membres performants au détriment des autres – notamment en attirant les jeunes travailleurs vers l’Europe de l’ouest où ils contribuent aux systèmes de protection sociale, tout en faisant défaut à leurs pays d’origine. Ce sont en particulier nos deux pays qui en profitent. Cela n’est pas durable. Les pays riches ne peuvent continuer à refuser la solidarité à ceux qui ont encore du chemin à parcourir.
La réalisation de l’Europe Sociale requiert avant tout une réforme de la gouvernance économique et sociale de la zone euro. La monnaie unique dépourvue d’instruments communs de politique économique transfère forcément sur le dos des travailleurs le poids de l’adaptation dans les États-membres. Ce sont eux qui souffrent le plus des conséquences de la politique de dévaluation interne. Pour cette raison, nos organisations demandent un meilleur gouvernement économique et social sur au moins ces trois éléments :
- La création d’un fonds monétaire européen placé sous le contrôle du parlement européen, pour éviter à l’avenir les crises de la balance de paiement desquelles peuvent découler des crises budgétaires d’un État-membre ;
- Un budget commun suffisant pour la zone euro afin de moderniser les infrastructures dans le sens d’une transition juste, de rediriger les investissements vers le développement durable et d’organiser la convergence économique et sociale ;
- Un stabilisateur automatique pour atténuer les chocs asymétriques dans la zone euro, qui pourrait prendre la forme d’une re-assurance chômage européenne. Une destruction de la protection sociale, comme elle a déjà eu lieu en Grèce, ne doit plus jamais se répéter.
Nous demandons des institutions européennes équipées pour combattre de manière efficace le dumping social, fiscal et de salaire tant répandu en Europe. Une autorité du travail européenne, associant les interlocuteurs sociaux devra notamment pouvoir intervenir et empêcher la compétition déloyale et contribuer à résoudre des conflits transfrontaliers impliquant les autorités nationales.
Nos organisations réclament un renforcement de l’agenda social et du modèle social européen. En tant qu’États sociaux hautement développés, l’Allemagne et la France devraient s’investir pour une convergence vers le haut à l’échelon européen ; cela nécessite avant tout l’introduction de normes minimales harmonisées dans l’UE, basée sur le principe du « gold plating » : ceux qui souhaitent des normes d’un niveau supérieur doivent pouvoir les appliquer. Garantir les progrès ascendants de l’Europe sociale, passe par l’obligation de respecter un principe de non-régression, c’est la condition pour que l’acquis communautaire ne soit pas remis en question.
À l’approche de nombreuses échéances cruciales pour l’avenir de l’Europe, notamment les élections au parlement européen en mai 2019, nous appelons les deux gouvernements, allemand et français, à peser dans le débat pour changer enfin de voie pour notre continent. Le progrès social doit désormais devenir prioritaire par rapport à toute autre considération.
Le couple franco-allemand, avec tous les Européens, doit montrer le chemin vers une Europe des citoyens et des travailleurs qui les protège et leur garantit des droits indépendamment de leur lieu d’activité, ce qui écarte toute velléité de mise en concurrence des travailleurs d’origines différentes. Leur droit à la démocratie sociale, la négociation collective et la garantie des droits collectifs sont essentiels à cet égard. La fiscalité doit permettre de financer des services publics de qualité pour tout le territoire, d’assurer une redistribution pour lutter contre les inégalités et être harmonisée pour empêcher l’évasion fiscale.
Depuis la crise de 2008, et les politiques d’austérité en Europe, ce sont les travailleurs qui supportent le fardeau de la dérive de la financiarisation de l’économie et du sauvetage des banques. Leurs salaires stagnent, et leur pouvoir d’achat recule. L’écart de niveau de vie dans les différentes régions de l’Europe est loin de se réduire. Les écarts de salaire effectif et de salaire minimum entre nos deux pays sont importants.
Nous avons besoin de mieux garantir à notre jeunesse un avenir professionnel en Europe et de lutter contre la précarisation croissante du travail, du fait de la déréglementation dans nos pays.
Nous récusons l’idée d’une Europe forteresse. Nos traditions et nos valeurs nous demandent d’accueillir et d’offrir hospitalité à tous ceux qui cherchent refuge chez nous. Bien entendu, cet accueil doit être solidaire, notamment avec les pays frontaliers du pourtour méditerranéen où les migrants mettent pied pour la première fois en Europe. Leur intégration sur le marché du travail est nécessaire, et doit se faire aux mêmes conditions que celles offertes aux travailleurs nationaux. Ceux qui viennent en aide aux réfugiés, sur notre territoire ou à bord des navires en Méditerranée doivent être soutenus et protégés. Le sauvetage en mer est une obligation du droit international. Nous demandons à nos gouvernements de faciliter l’attribution de pavillons aux navires qui s’engagent dans une démarche humanitaire. Nous sommes attachés à la réalisation d’une société ouverte, démocratique et tolérante. Nos organisations rejettent les tendances xénophobes, l’extrême droite et les jeux populistes qui remettent en question nos libertés fondamentales.
L’Accord de Paris de 2015 reste pour nous une référence importante pour notre modèle de développement. Seule la transition juste vers une économie bas carbone nous offre une perspective pérenne pour une Europe prospère. Bien entendu, cette transformation ne doit pas se faire dans une logique de concurrence débridée, mais de coopération entre nos pays.
Dans la même logique, la politique commerciale de notre continent a besoin d’intégrer de plein droit la protection sociale et les droits des travailleurs dans les matières obligatoires des règles convenues entre pays. Une quelconque différence du « coût du travail » ne doit en aucun cas être un avantage compétitif légitime dans le commerce entre pays. Des violations de ces règles doivent être soumises à des règlements contraignants. Les firmes transnationales et leurs filières internationales doivent être soumises à une responsabilité du donneur d’ordre. Un mécanisme contraignant de recours pour les personnes lésées doit être instauré.
Le socle européen des droits sociaux, proclamé en 2017 à Göteborg, est un signe de bonne volonté. Désormais, les États-Membres doivent prendre leur responsabilité et mettre en œuvre concrètement leurs engagements. C’est pourquoi, nos organisations plaident en faveur d’une convergence sociale renforcée entre nos deux pays et considèrent que l’approfondissement de la coopération entre la France et l’Allemagne constitue un atout majeur pour une Europe sociale et des solidarités renforcées.