Les femmes durant la Première Guerre mondiale N°4
Aujourd'hui: Les « munitionnettes »
Ainsi sont dénommées les ouvrières des arsenaux et de l’industrie de l’armement. C’est dans ses secteurs que l’embauche des femmes se fait en priorité. Au début de la guerre,
Albert Thomas, tout en poussant la production à ses limites, par décret du 21 avril 1916, instaure un Comité de Travail féminin, auquel participent médecins, inspecteurs du travail, personnalités publiques et politiques de tous bords et cinq femmes sur la quarantaine de participants. Jusqu’à sa sortie du gouvernement en fin de l’année 1917, quand le Parti socialiste dénonce l’Union sacrée, il va s’attacher à organiser le travail des femmes dans les industries travaillant pour l’armement. Il pense améliorer leur situation matérielle et morale ; une circulaire du 3 juillet 1916 interdit le travail de nuit pour les jeunes filles de moins de 18 ans dans les usines de guerre et limite la durée du travail à 10h pour celles de 18 à 21 ans, celles-ci ne travaillant plus dans les poudreries. Les circulaires d’Albert Thomas recommandent de respecter le principe « à travail égal, salaire égal ». Or, lors d’un Comité du travail féminin, il déclare convenable de déduire du salaire des ouvrières « le coût de revient de toutes les nouvelles modifications à l’outillage, à l’organisation du travail, à la surveillance et, de façon générale, la part des frais supplémentaires entraînés par la substitution de la main-d’œuvre féminine à la main d’œuvre masculine. »
Sous son égide, se construisent à Paris, en 1915 les usines Citroën, un ensemble industriel comprenant un réfectoire, une pouponnière avec une chambre d’allaitement. Clotilde Mulon, médecin du travail, décrit cette usine de façon dithyrambique : « Tout d’abord celui où se fait l’emboutissage des obus. C’est un énorme hall dans lequel 24 presses sont entourées chacune de démons noirs mâles et femelles qui manient dans la flamme des obus d’acier incandescents. Dans une atmosphère de four, un homme sort du feu la barre rougie, la porte sur un étau où, grâce aux gestes d’une femme, un puissant poinçon s’enfonce comme le ferait le doigt dans de la glaise. Des étincelles jaillissent captées par des écrans. Trois secondes s’écoulent. L’obus tombe, creusé, embouti comme on dit. Un homme le prend dans de longues pinces. Il est prêt pour la trempe. On le place sur un trottoir roulant qui le conduit à un autre atelier. Vingt-quatre équipes font le même mouvement autour de vingt-quatre machines. Des tâches de feu s’allument et circulent dans tout l’immense hall. Vision de guerre. […] Déjà notre groupe arrive dans un autre atelier. […] Quatre mille ouvrières travaillent dans ce phénoménal atelier construit en six semaines sur l’emplacement de trente-huit maisons. Dans le fracas, mais dans l’ordre et la propreté, on fait ici tout l’ogivage, le filetage de pas de vis, le ceinturage etc. […] Ces colossales dimensions, ces travées sans fin, ce bruit, cet ordre, ces chars électriques adroits et rapides montées par des femmes blanches, tout cela accroît l’idée de prodige et de féerie. »
Naturellement, cette usine répond à l’idéal que veut impulser Albert Thomas dans les industries de l’armement. Mais peu de patrons le suivent. Laura Lee Downs cite les conditions de travail des munitionnettes des usines Renault : « […] si la commande d’obus arrivait, les ouvriers, les ouvrières étaient censés rester à l’usine pendant 24 heures voire 36 heures comme ça, jusqu’au moment où la commande était honorée. Il n’était pas rare de travailler pendant 24 heures ou même 36 heures. Une femme rapporte que pendant les services de nuit aux usines Renault, certaines dorment dans les WC. S’il n’y avait pas eu de dimanche, les trois quarts de ces femmes seraient morts. Certaines sont décédées d’ailleurs comme le rapporte le témoignage d’une autre ouvrière sur ses conditions de travail durant la guerre ».
De plus, explique l’historienne, les chambres d’allaitement ne sont pas un franc succès. Les mères préfèrent confier leurs nourrissons chez une voisine ou la concierge : quitter son domicile à cinq heures du matin, surtout l’hiver, pour rejoindre l’usine en métro, son enfant dans les bras, est rejeté par nombre d’ouvrières. Par contre, celles-ci optent pour le congé de maternité mis en place par le sous-secrétaire d’État aux Munitions.
Ces ouvrières sont assignées aux travaux de nettoyage et de manutention, ou à la chaîne pour la soudure, ou le polissage. Si elles sont sur des machines mécaniques perfectionnées, le réglage est effectué par un homme et elles sont surveillées par un contremaître (un pour 10 ouvrières).
En effet, il sera exceptionnel de donner à une femme les connaissances techniques qui lui manquent. On ne relève que quelques cas dans lesquels des ouvrières vont devenir qualifiées. Encore ont-elles subi une sélection draconienne et reçu une formation accélérée. Contrairement à une idée reçue,
Marcelle Capy, journaliste libertaire, travaille incognito dans une usine d’armement. Elle livre son témoignage dans
Chaque obus pèse sept kilos. En temps de production normale, 2 500 obus passent en 11 heures entre ses mains. Comme elle doit soulever deux fois chaque engin, elle soupèse en un jour
Au bout de3/4 d’heure, je me suis avouée vaincue.
J’ai vu ma compagne toute frêle, toute gentille dans son grand tablier noir, poursuivre sa besogne. Elle est à la cloche depuis un an. 900 000 obus sont passés entre ses doigts. Elle a donc soulevé un fardeau de 7 millions de kilos.
Arrivée fraîche et forte à l’usine, elle a perdu ses belles couleurs et n’est plus qu’une mince fillette épuisée. Je la regarde avec stupeur et ces mots résonnent dans la tête :
Les munitionnettes sont plus de 430 000 à la fin de la guerre. Le maréchal Joffre dit : « Si les femmes, qui travaillent dans les usines, s’arrêtaient vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre. »
Les archives de
A suivre: les grèves de 1917 parmi les ouvrières