Mantes-la-Jolie, 20 février 1943: Moszek Zolty, Polonais et Juif, est arrêté par la police française
27 janvier 2017: journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste et à la prévention des crimes contre l'humanité. Le 27 janvier 1945 est le jour de la libération par l'Armée rouge d'Auschwitz, camp de concentration et d'extermination nazi. A cette occasion, ces lignes sur cet ouvrier-sellier immigré et les siens, dans cette époque noire où le nazisme et la collaboration flétrissaient la patrie des droits de l'homme.
Moszek Zolty partira dans le convoi n° 49 de Drancy, le 2 mars 1943, pour Auschwitz. Il ne reviendra pas de la déportation
Moszek et Chaja Zolty se marient le 7 octobre 1923 à Lodz, en Pologne. C'est la ville où la population juive est la plus importante en Europe à cette époque. Mais à chaque crise dans ce pays, les boucs-émissaires sont les Juifs. Pogroms et exactions de toutes sortes font que les époux Zolty se réfugient à Strasbourg où naissent leurs deux enfants: Sarah en 1925 et Bernard en 1927."La Pologne avant la guerre était une économie complètement, totalement archaïque, à plus de 80 % agricole. Elle était moyenâgeuse et le mot n’est pas trop fort. Et des mentalités complètement arriérées. Alors les Juifs… On leur racontait depuis leur naissance que les Juifs avaient tué le Christ. Ils ne savaient même pas ce qu’était un juif. Alors, pour un Polonais plus ou moins normal, se faire un Juif, comme on dit vulgairement, c’était une bonne action", écrit Alban Perrin dans Comment devient-on Français quand on est Juif et Polonais?
Moszek Zolty trouve un emploi d'ouvrier-sellier à Strasbourg. Il appartient à la tradition juive communiste, idéal commun à beaucoup de Juifs d'Europe de l'Est. Pour mémoire: l'Affiche rouge, éditée par la propagande nazie en France, sur ces combattants de la Résistance, juifs et immigrés pour la plupart.
Moszek Zolty et sa famille vivent à la Krutenau, quartier pauvre d'immigration où les Juifs polonais de langue yiddish se sont regroupés. Ils y organisent leurs propres réseaux de solidarité et colonies de vacances juives, distincts de ceux des Juifs alsaciens, plus religieux et moins politisés. L'ouvrier est parfaitement informé de ce qui se trame en Europe, notamment depuis qu'Hitler a été désigné chancelier d'Allemagne en 1933.
Lors de la mobilisation générale précédant la Deuxième Guerre mondiale, les Strasbourgeois sont évacués en Dordogne. Les Zolty se retrouvent dans une ferme, à Creyssensac-et-Puissot, un petit village de 208 habitants, à 20 kilomètres de Périgueux. "L'accueil est cordial. Le yiddish que nous parlions, c'était pour eux de l'alsacien, ils n'avaient jamais rencontré de Juifs", raconte Bernard Zolty.
Après l'Armistice du 22 juin 1940 entre Hitler et le gouvernement de Philippe Pétain, dernier gouvernement de la 3ème République, celui-ci la renverse, s'arroge tous les pouvoirs et devient Chef de l'Etat français. A Montoire, rencontrant Hitler, il s'engage dans la collaboration avec l'Allemagne nazie. L'Alsace et donc Strasbourg sont annexés au 3ème Reich, gouvernés par un gauleiter nazi. Si les Alsaciens sont ordonnés de revenir chez eux, les Juifs en sont exclus.
Les Zolty sont déjà au Havre à cette époque, Moszek Zolty y est concierge pour la Costimex, entreprise qui l'employait à Strasbourg. Au Havre, les deux époux sont recensés comme Juifs à la date du 5 décembre 1940. La famille échappe à l'internement décrété en 1941, découlant de ce recensement et initié par le préfet de Seine-Maritime. Les Zolty ont pris le train vers Paris et juge plus prudent de descendre à la dernière gare avant la capitale.
Les voici à Mantes-la-Jolie fin décembre 1940, commune de Seine-et-Oise, où Moszek Zolty est embauché comme ouvrier-sellier et son fils comme apprenti-géomètre. Leurs employeurs les gardent à leur service lorsque est imposé aux Juifs de porter l'étoile jaune sur leurs habits.
Les lois antisémites, prises par les Allemands ou promulguées par l'Etat français, n'avaient pas particulièrement ému la population. Mais l'opinion publique évolue avec le port de l'étoile jaune à dater du 25 mai 1942. Le préfet de Seine-et-Oise en rend compte ainsi aux autorités de Vichy dans sa lettre du 31 juillet 1942: "Les mesures prises contre les Juifs ont reçu un accueil assez défavorable : elles choquent une population qui connaît mal la question juive et apparaissent comme d’inutiles brimades. L’effet en a été d’autant plus mauvais qu’elles ont atteint des familles depuis longtemps connues et estimées de l’ensemble des habitants dans les localités où elles résident. L’Étoile jaune notamment attire à ceux qui la portent plus de pitié que de répulsion. "
De fait, va exister bientôt un réseau clandestin, composé de résistants, de personnels municipaux et de prêtres catholiques, qui va soustraire juifs et réfractaires au STO, en leur fournissant caches, faux papiers d'identité et cartes d'alimentations. Pour les Juifs qui seront cachés, cela va du simple forain, acheteur de ferrailles et de peaux de lapin dans les rues et places de Mantes à la famille de commerçants ayant pignon sur rue. Les témoignages de cette époque révèlent aussi des complicités dans les services de police, la gendarmerie, jusqu'au gardien-chef de la maison d'arrêt de la ville.
Malgré cela, Moszek Zolty est hélas arrêté à 5h du matin à son domicile, le 20 février 1943 par la police française, et déporté à Auschwitz.
Mais son épouse reste sur ses gardes. Et lorsqu'elle est informée de sa prochaine arrestation, le 20 mars 1944, elle alerte ses enfants Sarah 19 ans et Bernard 17 ans, et ledit réseau clandestin se met en branle. Chaja Zolty et sa fille Sarah sont cachées dans les environs, munies de faux papiers. Pourvu également de faux papiers par l'entremise du prêtre de Guerville, Bernard Zolty se voit affecter à un "camp de jeunesse" dans le château voisin de Rosny-sur-Seine. Il deviendra ensuite aide-cuisinier au sanatorium de Magnanville et ne retrouvera sa mère et sa soeur qu'à la libération de la région en août 1944, sans avoir aucune nouvelle d'elles jusqu'à ce jour.
Oui, en ces années noires, des femmes et des hommes de coeur, malgré le péril de mort qui pesait sur eux, à cette époque où la délation et l'occupation nazie n'étaient pas de vains mots, des femmes et des hommes sauvèrent la vie d'êtres humains proscrits par le régime nazi. Il faut s'en souvenir.
Et j'écris aussi ces lignes en songeant à tous ces réfugiés qui ne trouvent pas asile aujourd'hui dans notre patrie des droits de l'homme.
Sources: Témoignages de Bernard Zolty et de sa fille Muriel; témoignage de Louis Racaud, responsable de la CGT clandestine au dépôt SNCF de Mantes, responsable régional de la résistance communiste et vice-président du Comité clandestin de libération ; Archives municipales de Mantes-la-Jolie; Archives de la Seine-et-Oise AD 78; Mémorial de la Shoah.