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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Le petit oiseau de toutes les couleurs

L'aucelon de totis las colors

Le vieux Gaspard se gratta la gorge. C'était l'heure de la veillée et chacun vint se rassembler devant l'imposante cuisinière. Les anciens avaient pris goût à ce charbon qui remplaçait les ceps de vigne. Certes, on ne respirait plus les senteurs du bois noueux qui flambait en crépitant. Mais plus de corvée à charrier sur le dos, depuis la vigne, des stères et des stères de vieilles souches dans une hotte. On ne les gardait que pour se faire une bonne grillade d'escargots aux herbes de la garrigue, sur un coin de l'âtre resté libre à cet effet: la cagarolade (de cagaraul, escargot en occitan), et aussi les châtaignes dans la poêle percée, ou bien le cassoulet; en ces occasions, le roi n'était le cousin de personne dans ce foyer de vignerons.

On se rassembla donc devant la cheminée, comme hier lors de son âtre rayonnant, mais toujours serrés les uns contre les autres, pour ne pas que le Diable ne s'infiltre dans la communauté.

- Lo foc (le feu), voilà comment il arriva sur notre terre. C'est du moins ainsi que les anciens me le contèrent, dit le vieux Gaspard en occitan et tous opinèrent du bonnet.

 

Autrefois, ne vivaient que des oiseaux dans ces Corbières, des grands et des petits, des paresseux et des vaillants, des voyageurs et des casaniers attachés à la même branche. Mais quand il gelait à pierre fendre et que les aiguilles du Cers transperçaient les plumages, beaucoup trépassaient. Ils se pressaient les uns contre les autres, pour être plus forts. Or cela ne suffisait pas toujours.

Un jour de plus grand froid encore, le plus petit des oiseaux, pas plus haut qu'un dé à coudre et au plumage insignifiant, dit à tout ce monde: "Et si on allait dérober un bout de soleil. Nous le ramènerions sur terre et cela nous réchaufferait."

Chacun regarda ce misérable avorton, puis la pie orgueilleuse reprit: "Il n'y a que mon intelligence pour aller détrousser le maître des cieux".

Mais le soleil entendit le claquement de bec vaniteux montant vers lui. Il demanda à son frère le Cers tempêtueux de faire redescendre aussitôt sur terre l'agaça (pie en occitan).

- Pouh, de mon vol véloce, je peux affronter la pire des tempêtes, prétendit le col-vert cravaté comme les gens importants.

Mais le soleil ne l'entendit pas de cette oreille. Il sollicita sa soeur la pluie pour qu'elle fasse tomber sur le palmipède des grêlons plus gros que des tomates. Et le col-vert redesendit à son tour sur terre.

- Moi, dit le tout petit oiseau de tout à l'heure, je ne pourrai jamais égaler la force de l'un d'entre vous et ne peux atteindre l'astre royal du jour. Cependant, niché sur mon camarade l'aigle des Pyrénées, je peux presque gagner le zénith. Et avant que le soleil ne réagisse, je me faufile jusqu'à lui, moi qui suis la dernière des insignifiantes créatures.

Et ainsi dit, fut fait.

Lorsque l'aigle revint sur terre, un jour passa, puis un autre, et encore un troisième, puis toute une semaine. On oublia l'oiselet à son triste sort. Pourtant, un jour, il revint, complètement épuisé, mais un brandon enflammé dans son minuscule bec dont on se saisit pour allumer un grand feu.

Mais le petit oiseau avait eu tout son plumage roussi. Alors chacun de ses congénères lui offrit une plume, la plus belle qu'il eut sur lui. Même le vautour, qui nétait pas prêteur, en tira une toute immaculée de son cou. Et voici comment naquit le petit oiseau de toutes les couleurs.

Vautour des Corbières

Un jour d'hiver, l'homme de Néandertal passa près du foyer des oiseaux. Et, avant qu'il ne regagne sa grotte de l'Arago dans les Corbières, l'oiseau lui confia un bout de feu pour les siens.

 

Si vous apercevez ce tout petit oiseau multicolore dans la garrigue, n'essayez pas de le mettre dans une cage. On a toujours besoin d'une flamme dans la vie pour avancer, comme dans son coeur pour rêver.

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S
on a toujours besoin d'une flamme pour avancer dans la vie, c'est vrai, mais on a aussi besoin de poésie pour rêver, créer et avancer, grâce à toi, on avance
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C
Bonjour Roger,<br /> <br /> Comme j'aime ton histoire !!<br /> Elle dit tout simplement dans ta langue des troubadours ce que je ressens chaque jour et que j'essaie de faire passer en messages avec mon aigle et tous mes zoziaux qui envahissent chaque jour mon espace. Le petit oiseau de toute les couleurs de mon côté plus exotique il s'appelle quetzal et même s'il n'a pas rapporté le feu sacré il a inspiré des civilisations (le serpent à plume c'est lui).<br /> Et l'aigle toujours est le messager des petites gens, ça j'en suis bien persuadée.<br /> Merci beaucoup pour cette page de soleil et d'éclat.<br /> <br /> Amitiés de caro
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