Le travail des femmes durant la Grande Guerre
Les femmes dans les transports
Au début de la guerre, le syndicat des transports parisiens s’est opposé à l’embauche des femmes. Mais la revendication sexiste avait été de pure forme, la CGT étant engagée dans l’Union sacrée et des centaines de milliers de parisiens devaient être transportés chaque jour. Aussi, avant fin août 1914, un décret du préfet de police de Paris autorise du personnel féminin pour remplacer les receveurs dans les tramways. En 1915, les femmes sont 2 670 et 5 800 en 1917, pour 8 000 hommes. La presse les décrit « vêtues d’un uniforme sombre et d’un calot, la sacoche en bandoulière, la planche à ticket d’une main. Les receveuses circulent entre la foule des voyageurs pour percevoir le prix des trajets. Elles sautent en marche à chaque changement de direction, pour manier la lourde barre de fer qui fait basculer l’aiguillage ; elles manoeuvrent la perche d’alimentation en fin de course ».
Ce travail, autrefois exclusivement masculin, s'exerce aussi dans les grandes villes du pays.
Les quolibets masculins pleuvent au moindre incident sur ces conductrices de tranways. Or, elles ne sont pas plus maladroites que les hommes. Au grand dam de ces derniers, le directeur de la compagnie des omnibus leur reconnaît maîtrise et sang-froid, le 3 septembre 1917, dans le Petit journal illustré : « Malgré leurs connaissances, on pouvait redouter que l’insuffisance de leurs moyens physiques, la faiblesse certaine de leurs nerfs ne vinssent en des conjonctures soudaines et critiques leur enlever tout ou partie de leur libre-arbitre. Il n’en a rien été. Nos conductrices sont sûres d’elles-mêmes, calmes en présence de l’obstacle inattendu, promptes et précises en leurs décisions. Le pourcentage des accidents n’a pas augmenté depuis que nous les employons. » Il oublie d’évoquer des journées de repos non rémunérées, contrairement aux hommes ; en fait, certaines pour ne pas perdre de salaire, ne les prennent pas.
Par contre, dans le métro parisien, les femmes ne sont pas admises à conduire les rames. On argue que c’est à cause de la compréhension des signaux et des dépannages à effectuer en ligne. Elles sont donc affectées au nettoyage des voitures, à la vente ou au poinçonnage des billets. La direction en a commis aussi au contrôle ; elles perçoivent 1F de moins que les hommes, car, dit-on, moins productives.
Le chemin de fer embauchent aussi des femmes et pour le même poste, les hommes sont toujours plus rémunérés.
Les femmes dans l’industrie
Par millions, les hommes endossent l’uniforme. Mais la France, assurée d’une guerre courte et victorieuse, sa priorité a été de soutenir l’agriculture, mère nourricière des armées et de la nation.
Or, dès fin 1914, la guerre se prolongeant, les ennemis sont sur le sol de la patrie et la victoire est incertaine : l’urgence commande de rouvrir les établissements industriels et d’intensifier la production de l’armement.
Et voilà l’État qui rappelle du front 400 000 ouvriers spécialisés et chefs d’équipes. En 1918, les arsenaux en recensent 1 700 000, contre 50 000 au début de la guerre. Au mois de mai 1917, 680 000 femmes, 200 000 travailleurs venus des colonies, 80 000 étrangers et 300 000 prisonniers allemands sont employés dans l’industrie de guerre.
Partout, le nombre des femmes au travail est fulgurant, comme le démontre les effectifs des usines Renault de Billancourt : Janvier 1914, 4 970 salariés, 190 ouvrières, soit 3,8% du personnel. Décembre 1916, 20 157 salariés, 3 654 ouvrières, soit 18,1%. Mars 1918, 21 400 salariés, 6 770 ouvrières, soit 31,6%.
Dans le département de la Seine, les effectifs ouvriers féminins s’accroissent de 23,3% entre 1915 et janvier 1919, le taux féminin de la population industrielle française passant de 27,8 à 32,2%. Le socialiste Albert Thomas, sous-secrétaire d’État à l’Artillerie, en est le maître d’œuvre ; par ses circulaires du 16 novembre et du 15 décembre 1915, et du 8 janvier 1916, il incite les industriels à employer des femmes pour libérer des hommes pour le front. Le 20 juillet 1916, il dresse la liste précise des travaux réservées aux femmes et celles-ci, sauf exeption, ne sont pas utilisées dans des emplois qualifiés.
Cette productivité accrue s’accompagne de dérogations à la législation du travail. Mais le repos hebdomadaire revient en 1917, à cause des grèves ou des nombreux accidents de travail. Or le travail de nuit n’est interdit, le 1er juillet 1917, que pour les femmes âgées de moins de 18 ans.
En fin d’année 1917, le personnel féminin dans l’industrie et le commerce dépasse de 20% son niveau d’avant-guerre.
Souvent, l’hébergement des femmes célibataires est rudimentaire : cloisons de bois inefficaces contre le froid et l’humidité, châssis de lit à même le sol, plusieurs occupantes par paillasse, pas d’armoire pour les vêtements ni d’eau courante ni de toilettes. L’inspection de ces cantonnements par les services de l’État n’intervient que mi 1916. De plus, les salaires sont bas et toujours inférieurs aux hommes pour la même utilisation, les journées de travail s’allongent. Toutes les protections envers la maternité n’existent plus. « Il n’y a plus de droits ouvriers, plus de lois sociales, il n’y a plus que la guerre », déclare Alexandre Millerand, ancien socialiste et ministre de la Guerre, le 13 janvier 1915, à une délégation des métaux CGT.
ouvrières et leur chef d'équipe
Une allocation est versée aux femmes de soldats, mais cela ne suffit pas pour augmenter les salaires. Par exemple, le Pas-de-Calais a fixé une somme de 6 millions de francs entre le 2 août 1914 et le 21 juillet 1918. Mais plus de 115 000 bénéficiaires se la partagent, soit 1F, 25 par jour en 1914, porté à 1F, 50 en 1917 ; s’y ajoute une majoration de 50 centimes pour charge de famille en 1914, un franc en 1917.
Extraits de mon ouvrage Le travail des femmes autrefois aux éditions l'Harmattan.