Une cité oubliée, celle des cheminots à Gassicourt
En ces journées du patrimoine, permettez-moi d'évoquer la cité Buddicom qui va s'élever sur le bourg de Gassicourt en Seine-et-Oise, dès 1856.
Le chemin de fer va bouleverser l’existence de ce petit village, près de Mantes-la-Jolie. En 1840, il ne se peuple que d’agriculteurs et d’artisans : 292 habitants regroupés autour de leur église sur 10 hectares seulement, avec tout autour 733 autres hectares de labours, de vignes, de jardins et de prairies, de forêts et de bois.
Le chemin de fer dans Gassicourt.
Depuis le 3 mai 1843, il traverse son territoire pour relier Paris à la Normandie. Dès 1855, s’y établissent une gare avec son triage, puis un dépôt et ses ateliers ; et débute la construction d’une cité des cheminots en 1856.
Les prémices d’une cité de cheminots.
Les compagnies ferroviaires sont peu exigeantes dans le recrutement du personnel. Un examen médical est formalisé prouvant la robustesse du futur agent; il faut aussi qu'il ait des antécédents civiques et professionnels irréprochables. Les compagnies ont aussi obligation d’embaucher d’anciens militaires qu’elles affectent à des postes « exigeant autorité et respectabilité ». Or, elles ont besoin aussi d’ouvriers qualifiés pour conduire les trains et travailler dans les ateliers.
Pour stabiliser ses agents, qui pourraient partir vers des emplois industriels plus lucratifs, la Compagnie de l’Ouest fait édifier une cité pour les loger dans Gassicourt, dès 1856.
Cette année, le recensement indique un bourg de 75 maisons pour 270 habitants et, à plus d’un kilomètre, de 3 habitations logeant 24 personnes. Ce lieudit est dénommé le Hameau de la station.
Les quatre hommes de cette petite communauté répondent aux priorités économiques de la Compagnie : exploitation de la ligne, production d’un profit par le biais du buffet de la gare et formation des recrues pour le dépôt :
- Louis Duval, marié avec des enfants. Chef de gare, il a en charge l’organisation du trafic voyageurs et marchandises dans le Mantois.
- François Grandjean, marié avec des enfants, Romain Brulet, célibataire, respectivement restaurateur et cuisinier du buffet de la gare. La Compagnie a passé une convention, contre un loyer et une part sur les bénéfices de l’établissement. Celui-ci occupe toute l’aile droite de la gare et accueille aussi bien les voyageurs qu’une clientèle extérieure au chemin de fer.
- William Wilson, britannique, marié avec des enfants, maître de forge.
La formation des agents du dépôt lui est dévolue. Lui et sa petite famille n’apparaissent plus dans le recensement de 1861.
Par contre à cette date, le lieudit est dénommé hameau de la cité Buddicom, fort de 18 maisons et de 74 habitants. Parmi eux, on dénombre des ouvriers du dépôt et des mécaniciens, terme pour désigner les conducteurs. Au chef de gare, se sont adjoints un chef de bureau, un chef de dépôt et son sous-chef. Une jeune femme célibataire est dénombrée comme domestique. Est-elle au service d’un des cadres dirigeants ? L’effectif du buffet de la gare s’est renforcé d’un second cuisinier, d’un cafetier et de quatre garçons de salle, preuve de sa notoriété.
Une cité ouvrière constituée.
Le hameau va devenir la cité Buddicom au recensement suivant. Cela n'honore pas le constructeur anglais qui fournit au chemin de fer ses locomotives et son matériel roulant, depuis ses ateliers de Sotteville-lès-Rouen. Mais William Buddicom est tout simplement le propriétaire du terrain sur lequel s’agrandit la cité.
Et de faire prospérer son bien, en sollicitant le conseil municipal, pour faire élargir les sentes en voies carrossables larges de cinq mètres. L’industriel britannique vend ses ateliers et toutes ses propriétés immobilières à la Compagnie de l’Ouest, dont il est actionnaire, en 1860.
Au fil des recensements, les cheminots vont déborder la cité primitive jusqu’à la place de la gare et dans le prolongement de la voie ferrée. En 1896, 376 habitants sont ainsi recensés. Mais en 1901, plus aucun recensement particulier n’est organisé. Gassicourt est alors d’un seul tenant depuis la mairie jusqu’à la voie ferrée.
Quelle est l’existence de ses habitants ? Aucune chronique pour la décrire, si ce n’est la ville de Mantes pestant contre des logements insalubres qui « font baisser le prix de l’immobilier » dans la région. En effet, la cité subit l’outrage du temps, la Compagnie de l’Ouest étant fortement endettée à la fin du 19e siècle. Et une délibération municipale l’exhorte à construire un réseau d’assainissement dans sa propriété. Le village en appelle au préfet, en 1890, l’ingénieur en chef des chemins de fer ne répondant jamais à ses courriers, car « la fontaine, établie par la Compagnie pour donner de l’eau à ses locataires, a un égout dont les eaux stagnent sous des émanations infectes, ce qui peut produire des épidémies ».
Autre visage, la description faite en 1899 par l'instituteur des garçons fréquentant l’école publique. Il divise ses élèves en trois tiers : les fils des agriculteurs sont « dociles, bien élevés, d’intelligence moyenne et d’une bonne fréquentation ; ceux des papetiers sont « toujours abandonnés à eux-mêmes, souvent sans direction, peu travailleurs et pour la plupart indociles ; les enfants de cheminots sont « plus vifs et plus intelligents ; mais ceux-ci et la catégorie précédente« forment une population très flottante, fort nuisible à la marche des classes ».
En 1930, les Chemins de fer de l’Etat rénovent de fond en comble la vieille cité et les lotissements attenants. L’ensemble est dénommé les Cités normandes.
Elles ne survivent pas, jouxtant les emprises ferroviaires, aux bombardements de l’aviation alliée intervenus du 20 avril au 8 août 1944.
Sources : Archives municipales de Mantes-la-Jolie, délibérations de la ville de Mantes et de Gassicourt, journaux de l’époque. Mantes, Mantes-la-Ville, de 1789 à nos jours, tome 2, GREM.