Naufrage du Costa Concordia, le patron ne sera pas jugé
Voilà, si l'on en croit les médias, on va enfin juger Francesco Schettino, le commandant du Costa Concordia dont le naufrage a fait 32 morts, le 13 janvier 2012, sur les côtes italiennes. "L'homme le plus détesté d'Italie", nous passe-t-on, à croire que les titulaires d'une carte de presse copient le fax de la même agence de presse, sans se poser plus de questions.
Mais comment dit-on en italien "selon que vous serez puissant ou misérable, la justice vous rendra noir ou blanc"? En effet, s'il est normal de juger le capitaine d'un paquebot naufragé qui a coûté la vie à 32 personnes et fait de nombreux blessés, n'était-il pas juste de joindre dans ce procès les patrons du bateau, la société Costa Croisières.
Oui, mais non, elle ne peut pas y être. Comme elle est riche à millions, il a transigé un accord financier. Et zou, pas de procès! Elle n'est pas belle la vie pour les riches armateurs, les mêmes qui mettent en jeu la vie des passagers dans ce mode opaque des croisières pour tous où toutes les dérives sociales ont cours pour faire du profit.
Ah, encore la faute au capitalisme, pourraient s'écrier ceux qui ne me lisent pas, on en a marre de cette litanie!
Pour les autres, ce qui ne sera pas jugé en Italie:
40 nationalités peuplaient le Costa Concordia, pour la plupart des pays les plus pauvres de la planète. 1023 membres d'équipages étaient à bord de ce géant des mers. Et pour accueillir le plus de clients, pas de miracle, il faut réduire la masse salariale à son extrême.
De ce fait, les minima internationaux concernent les marins brevetés maritimes, ceux qui travaillent à la passerelle et à la machine. Le personnel hôtelier n’est lui soumis à aucune norme. Sur les 1 023 membres d’équipage, au moins les deux tiers avaient vocation à distraire ou prendre soin des passagers. Le salaire moyen de ce personnel de bord serait de 600 euros par mois. "Ce ne sont pas des galériens pour autant, dit Arnaud de Boissieu, aumônier des marins au port de Marseille-Fos. Ils ont des contrats qu’ils sont libres de résilier." Comme si tout contrat de travail n'était pas la subordination du salarié à l'égard de son patron!
De plus, depuis 1998, sous couvert de la concurrence libre et non faussée chère à l'Ue, l'Italie peut employer sur le même navire des officiers italiens rémunérés aux normes européennes et des marins extracommunautaires sous-payés. En prime, l’armateur est totalement exonéré de charges sociales.
Les conséquences de cette déréglementation planétaire : en trente ans, le transport maritime a augmenté de 400 % et en même temps son coût social a baissé de pratiquement 40 % et sur les 1,8 million de marins dans le monde, les quatre cinquièmes viendraient des pays pauvres.
Un bateau est une usine fonctionnant 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le rythme de travail est soutenu, stressant. "Les cadences sont énormes, explique Véronique Aubert, de l’Observatoire des droits des marins. L’armateur met la pression pour que le navire passe peu de temps en escale, afin de payer moins de droits de port. La logique économique prime sur l’humain. "
Il existe au sein de l’équipage de ces paquebots une vraie hiérarchie, liée à l’origine géographique. Européens, les marins de navigation représentent l’aristocratie. Plus les tâches sont dures et ingrates, plus les employés viennent des pays pauvres. Philippins et Pakistanais sont ainsi surreprésentés chez les marmitons et les femmes de ménage.
Les conditions de travail à bord de ces paquebots de croisière peuvent-elles avoir des incidences sur la sécurité des passagers ? « Je vous mets au défi de bosser quinze heures par jour, dans des conditions difficiles, en étant payé au lance-pierres et d’être intéressé par votre travail ! » dit Michel Le Cavorzin, secrétaire général du syndicat CGT des marins. Épuisés, sous tension, ces travailleurs sont aussi moins bien formés que leurs collègues européens. Pourtant, une formation continue est indispensable pour acquérir les bons gestes en cas d’urgence. « Si vous n’avez pas une équipe super-entraînée, ça conduit au désastre. Tous les gestes doivent être automatiques », poursuit Michel Le Cavorzin.
Deuxième problème : la multinationalité, jugée dangereuse par les spécialistes. Costa croisières se défend en expliquant que ses équipages parlent obligatoirement anglais. Mais toutes les études du Bureau enquêtes analyses prouvent que le premier réflexe en cas d’accident est le retour à la langue maternelle.
Dérégulé au plus haut point, le marché du transport de passagers est très peu contrôlé. " On ne visite pas les bateaux de croisière", témoigne ainsi Laure Talonneau, inspecteur à l’ITF. "On ne monte à bord que si on a une plainte, sinon c’est impossible de contrôler 1 000 membres d’équipage avec des temps d’escale aussi courts. "
Oui, la loi italienne autorise les transactions financières, exonérant ainsi Costa Croisières d'un procès juste et équitable. Mais dans la mauvaise société où nous vivons, selon que vous serez puissant ou misérable. Bon, vous connaissez la chanson...