La colonisation française du Niger
Tirés du livre Les fils des rois de Jean-Claude Simoën, qui a fait des recherches dans les archives militaires, ces extraits montrent que la colonisation française n'a pas été les bienfaits de la civilisation "blanche" apportés aux peuples d'Afrique, mais le pire qu'ils eurent à endurer. Une histoire qui hélas n'est pas enseignée.
Ouagadougou
En juillet 1898, le capitaine Voulet, chef du détachement chargé de marcher sur le Tchad, a prévenu par écrit ses supérieurs : « Il serait présomptueux de ma part de prendre quant aux régions à l’Est de Say d’autres engagements que celui d’assurer le succés ». Voulet, comme son second Chanoine, tiennent des raisonnements sur les avantages de la terreur, prétextant que la guerre la plus « humanitaire », est la plus courte, donc la plus impitoyable. Ils avaient tous deux la prétention de gagner le cœur de leurs soldats en laissant libre cours à leurs plus bas instincts.
Fin octobre 1898, en zone déjà colonisée, la troupe Voulet Chanoine stationne « à Ségou. Aucun nouveau commandant de région n’aurait cru bon de déroger aux coutumes de ses prédécesseurs. L’un d’eux eut six femmes attitrées dont cinq avaient de dix à quinze ans ». Comment les soldats se répartissaient-ils les femmes ? « La sélection s’effectuait ainsi : les femmes étaient rassemblées sur la place d’appel et, suivant son grade et son ancienneté, en commençant par les Européens, chacun choisissait la « moussa » qui lui plaisait... »
« Le 12 novembre, à 9 heures, le détachement entra dans Ouagadougou. Le retour de l’ancien conquérant pétrifia les indigènes... ». En 1896, « il faisait achever ses porteurs trop fatigués pour pouvoir aller plus loin. Blancs et Noirs de sa mission étaient tous des voleurs : les céréales et le bétail les attiraient. En plein jour, sur les grands chemins, dans les marchés et aux marigots, les uns après les autres, en riant, ils violaient toutes les femmes jeunes et gardaient les plus belles... Le jeune officier à la recherche de l’empereur Mog’Naba ... faisait décapiter les vaincus quand il ne maniait pas la lame lui-même : les vaincus s’allongeaient devant lui et tendaient le cou, faute d’avoir su répondre. Partout, villages dévastés et incendiés signalaient son passage... Voulet avait fait tuer et éventrer des femmes enceintes dont il avait examiné, disait-on, à l’aide de sa canne ou de sa cravache, le contenu palpitant des entrailles. A Lergo... il avait fait décapiter quarante innocents ». [...]
Sansanné Haoussa
Le 5 janvier 1899, la colonne Voulet Chanoine campa à Sansanné Haoussa. A l’intérieur du campement, sur une île malsaine, « se trouvait le plus extraordinaire ramassis d’êtres humains : tout d’abord huit cents porteurs mossis parqués dans un espace entouré d’une haie d’épines. Puis les prisonniers capturés en cours de route, de Say à Sansanné Haoussa, ou lors des reconnaissances, entassés dans une autre enceinte ».
« La dysenterie rongeait les porteurs. Depuis qu’ils étaient sur ce tas de sable au bord du fleuve, ils avaient passé leurs nuits à trembler de détresse et de froid, nus, sans abri, sans même une couverture... Ils étaient, cela va sans dire sous-alimentés... Le docteur Henric les maintenait en quarantaine, car ils répandaient une odeur infecte ».
« Qu’on me foute la paix avec cette négraille ! hurlait le capitaine Chanoine... des porteurs ? Je vais vous en trouver, moi, des porteurs ! Il était aussitôt parti avec ses cavaliers. Quand ils étaient rentrés, ils ramenaient une centaine de gaillards hébétés. Ils avaient aussi pris quelques femmes, comme ça, pour se changer les idées ».
« Les razzias opérées dans les villages pour se procurer des porteurs se multiplièrent. A ses tirailleurs, Voulet avait appris à mettre un point d’honneur à rapporter le plus gros butin possible, le plus grand nombre de femmes, et surtout de réserve de mil ou de riz. .. quatre vingt prisonniers furent attachés au moyen de lanières qui les étranglaient presque. Ceux qui faiblissaient ou refusaient d’avancer étaient abattus. ».
« Le 9 janvier, le chef des Kourteï contemplait, impuissant, les cadavres de cent un hommes, femmes, enfants percés de coups de lance et de baïonnette... Sur les ordres de Voulet, les tirailleurs avaient rapporté les mains ou les têtes des ennemis, afin que l’on puisse contrôler, preuves à l’appui, les chiffres qu’ils avançaient ». [...]
« Le sort de Sansanné Haoussa fut décidé. On commença par s’y fournir régulièrement et gratuitement, en légumes, en mil, en volailles et en poissons. Ensuite, quand les greniers et les jardins furent vides, que l’or se fit plus rare, on s’en prit aux jardiniers, à leurs enfants et, bien évidemment aux femmes. Celles-ci payèrent un lourd tribut. On en pendit quelques-unes, puis d’autres encore, enfin quelques dizaines après en avoir largement usé par escouades entières ».
La colonne en marche
« Le vendredi 13 janvier, la saison sèche commencée, l’armée passa de l’autre côté du fleuve pour marcher au Nord-Est. L’immense caravane occupait un front de plusieurs kilomètres... au centre du dispositif avançait le convoi des animaux de bât ainsi que le gros des porteurs... à droite marchaient les femmes ; elles allaient pour la plupart dans le plus simple appareil, portant sur la tête les ustensiles de cuisine et la vaisselle... A gauche, les troupeaux piétinaient ; des bergers foulbés, enlevés avec leurs bêtes, menaient bœufs, vaches, veaux et quelques chèvres... »
« Derrière la colonne, le long du Niger, de grands bâtons étaient plantés dans le sol. Des pécheurs, autrefois, y auraient mis leurs filets à sécher. Désormais, fichées au sommet de ces pieux, c’étaient des têtes qui pourrissaient au soleil, dévorées par les mouches... Liboré dut fournir chevaux, moutons et bœufs, ses habitants avaient été massacrés et les hameaux alentour incendiés ». [...]
Les autorités françaises informées par plusieurs rapports
En avril 1899, la colonne Voulet Chanoine ravageait le centre du continent depuis déjà 6 mois. Des rapports en informaient les autorités françaises comme celui du commandant Crave le 19 mars ou de « Monsieur Peteau » début avril. Le 17 avril, un rapport de Melle Corvin parvint au ministère des Colonies. Jusqu’à présent, le gouverneur du Soudan temporisait : « la prudence conseillait d’attendre les révélations verbales du commandant Crave, de faire la part des inexactitudes, des témoignages de deuxième main, de ne pas accuser Voulet à la légère ». Le 18 avril, il reçut un deuxième rapport du capitaine Granderye. Il affirmait que Voulet justifiait les représailles par l’action de Touaregs belliqueux ; or, il n’y avait aucun Touareg dans cette région. Prétexte. [...]
Les autorités françaises décidèrent alors d’envoyer une deuxième colonne dirigée par le colonel Klobb pour faire un constat sur l’action de la mission Voulet Chanoine. Cette unité aussi, va avoir besoin de porteurs et de nourriture. [...]
Le 22 avril 1900, la prise de Rabah (six kilomètres au nord de l’actuel N’Djamena) terminait la conquête du Tchad. « Un des tirailleurs de Joalland abattit le sultan dont la tête fut tranchée pour être exhibée aux vaincus. Meynier reçut une nouvelle blessure aux jambes ».
Le 7 décembre 1900, la Chambre des députés enterra l’affaire Voulet Chanoine. Une écrasante majorité de quatre cent neuf voix s’éleva contre la constitution d’une commission d’enquête.
"L'oeuvre civilisatrice" de la France en Afrique fut partout la même. En fait de civilisation, de richesse et de paix pour les peuples colonisés, ce fut le pillage en règle des ressources et les inégalités criantes entre indigènes et européens civilisés.
Le Parti communiste français, à son époque révolutionnaire, fut le seul à combattre le colonialisme et à défendre l'indépendance des peuples de notre empire colonial.