Notre ami le Roi prédateur
Dernièrement, je vous ai informés* de la fortune personnelle de Mohammed Vi roi du Maroc, de sa position prédominante dans les affaires juteuses de son pays, comme des liens privilégiés d'entreprises et de particuliers gaulois à l'aise dans ce paradis fiscal. Un livre vient de sortir, écrit par Catherine Graciet et Eric Laurent, paru au Seuil. Le journal Le Monde en fait le résumé ci-dessous
Cet ouvrage est à mettre en parallèle avec la répression exercée par la monarchie marocaine contre ses opposants. Je ne parle pas là de ceux qui se sont institutionnalisés ainsi et qui siègent au Parlement ou au gouvernement sans jamais remettre en cause la royauté de droit divin étouffant le pays.
L'Humanité met en ligne la lettre émouvante d'Ezedine Erroussi, jeune étudiant actuellement en grève de la faim, incarcéré à la terrible prison de Taza (numéro d'écrou 7000096) pour avoir souhaité de meilleures études. Allez la lire sur humanité.fr. Il y a des silences complices en France (et pas seulement du côté de l'Elysée et du patronat français) sur la réalité que vit le peuple marocain.
*: mon article "Nos chers amis Abdallah et Mohammed" paru le 9 mars 2012.
Couverture de l'ouvrage de Catherine Graciet et Eric Laurent, "Le Roi prédateur" (Seuil).SEUIL
Page après page, les auteurs décrivent un souverain allié de la France devenu "le premier banquier, le premier assureur, le premier agriculteur" de son pays, et un homme d'affaires de premier plan dans "l'agroalimentaire, l'immobilier, la grande distribution, l'énergie, les télécoms"... Un roi "Midas", écrivent-ils, classé au 7e rang en 2009 des monarques les plus riches par le magazine américain Forbes, et dont la fortune aurait doublé en cinq ans. Celui qui s'était vu attribuer l'étiquette de "roi des pauvres" lorsqu'il succéda à son père, Hassan II, en 1999, n'a plus rien à voir avec le roi des affaires dont il est question ici.
Prédation économique.
A travers les holdings royales, les prises de participation dans des domaines aussi variés que le sucre, le foncier, les terres agricoles, le BTP, l'électricité ou même la culture, c'est une véritable mise en coupe réglée de l'économie marocaine que dénoncent les deux journalistes. Tout ou presque, affirment-ils, remonte aux caisses royales. Au point que le Maroc constitue à leurs yeux "un cas unique".
"La plupart des dirigeants pillent leur pays en confisquant à leur peuple les richesses. Au Maroc, c'est le peuple qui, chaque jour que Dieu fait, enrichit le roi en achetant les produits de ses entreprises", assurent Catherine Graciet (coauteur de La Régente de Carthage- La Découverte, 2009), qui dénonça l'emprise mafieuse de Leila Trabelsi l'épouse de l'ex-président Ben Ali de Tunisie et Eric Laurent (auteur de nombreux ouvrages, dont La Mémoire d'un roi - Plon, 1993 -, tiré de ses entretiens avec Hassan II). Dernier "Eldorado" en date : le développement des énergies renouvelables, avec la création de la dernière-née des entreprises royales, Nareva, déjà dotée d'importants contrats dans le domaine éolien. Mais muette quant à ses objectifs.
Deux hommes, proches de Mohammed VI, sont particulièrement visés par ce brûlot : Mounir Majid, secrétaire particulier du roi et grand argentier du palais, et Fouad Ali El Himma, ministre délégué à l'intérieur de 1999 à 2007. Les deux hommes, rivaux, sont toujours décrits à la manoeuvre pour imposer, souvent de façon brutale, les vues du palais dans le domaine des affaires comme dans celui de la sécurité. Lors des manifestations du Mouvement du 20 février, qui réclame à intervalles réguliers dans les rues de villes marocaines plus de justice sociale et la fin de la corruption, leurs noms seront systématiquement dénoncés.
A travers ces deux personnages, qui ont connu le roi dans sa jeunesse, l'un par le truchement d'un cousin, l'autre en partageant la même formation au Collège royal, les intrigues de cour, les nominations et les disgrâces peuplent l'univers royal et le docile Makhzen, selon cette expression typique qui désigne les institutions marocaines. Malheur à ceux qui tentent de s'opposer ! Ceux-là se voient écartés sans ménagement, étranglés financièrement et parfois condamnés à de lourdes peines de prison comme en témoigne Khalid Oudgiri ancien patron de la puissante banque Attijariwafa Bank, déchu, humilié et pour finir condamné par contumace - il vit en France - à vingt ans de prison. L'homme livre ici les pressions, témoignages à charge et accusations extorquées dont il fut l'objet. Tous ses biens, au Maroc, seront saisis.
Certes, le réquisitoire de ce livre est brut, les témoignages souvent anonymes, et les faits parfois approximatifs faute d'accès direct aux sources. Mais l'ampleur de la prédation économique ainsi décrite, dans un pays où 15 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté fixé à 2 dollars par jour, ne peut que choquer.