La réunification de la CGT dans la Résistance (3)
Après la débâcle de son armée, l'armistice et l'occupation nazie, la France voit en un vieux maréchal de 84 ans, héros de la dernière guerre, son salut. Le ralliement au régime de Vichy de certaines personnalités de gauche et de cadres syndicaux accentue cette image. Dans ce brouillard des consciences, l'appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle, depuis Londres, représente une première lueur, même si son écho est très faible dans l'hexagone. L'appel du 19 juillet 1940 du Parti communiste résonne davantage dans notre pays. Dès ce mois, des Comités populaires se crèent dans les entreprises à l'initiative des ex-unitaires. Selon la Vie Ouvrière clandestine, il s'en dénombre 70 en août et 100 pour la seule métallurgie en région parisienne. Certes, d'autres que les communistes sont entrés en résistance. Or, il revient incontestablement aux dirigeants du courant révolutionnaire (le plus souvent militants du PCF) d'impulser les bases d'une résistance ouvrière de masse.
Les bases de la résistance ouvrière
Les Comités populaires sont des organismes clandestins chargés de fomenter des revendications dans les entreprises et de gangrener les syndicats officiels vychistes. Ils collectent aussi des fonds pour secourir les militants de l'ex-CGTU internés par la police française et leurs familles.
Benoît Franchon, André Tollet, Eugène Hénaff, anciens unitaires, sont les instigateurs de cette action clandestine. C'est de là, que va être créée l'Organisation spéciale, structure de résistance pour le sabotage, la lutte armée et des actions de propagande et de manifestation. Le 15 mai 1941, le PCF clandestin fonde le Front national pour l'indépendance et la libération de la France, étendu à tous les résistants mais dont l'ossature provient de l'Organisation spéciale.
Le gouvernement de Pétain et son allié allemand mesurent bien l'importance du mouvement qui se développe. Dès lors, son premier objectif n'est pas de réduire les minces réseaux gaullistes, mais d'annihiler l'influence du PCF. Le 5 octobre 1940, à cette fin, le préfet de Seine-et-Oise réquisitionne le sanatorium d'Aincourt, près de Mantes-la-jolie. Vont y être emprisonnés, derrière des barbelés et gardés par des gendarmes français, des dirigeants syndicaux unitaires et des militants communistes raflés en région parisienne par la police de Pétain. Ils sont plus de 600 internés en décembre 1940. Beaucoup d'entre eux, désignés comme otages par l'Etat français, seront fusillés par les allemands ou périront en déportation.
Mais malgré la répression et les dénonciations, les Comités populaires s'étoffent et la résistance ouvrière grandit dans les entreprises. Son vecteur de propagande est la Vie ouvrière clandestine qui écrit en décembre 1940:"On mesurera bientôt la colère qui s'accumule dans l'esprit des millions de travailleurs de toutes industries".
Même dans le camp d'Aincourt, la résistance s'organise avec diverses manifestations et l'édition d'un journal clandestin écrit à la main. Les "communistes les plus dangereux" sont transférés dans d'autres lieux de détention.
Parmi eux et qui réchappera à la mort: Gabriel Roulleau. Président du Conseil de prud'hommes de Mantes déchu de son mandat, parce que communiste, par le dernier gouvernement de la 3e République, secrétaire général de l'Union locale CGT dissoute pour les mêmes raisons, il se retrouve toutefois soldat dans l'armée française. Démobilisé sur les bords de la Loire, il revient à Mantes-la-Jolie. Il fait partie de ces quatre premiers résistants qui, dès août 1940, se réunissent dans la clandestinité. Si ces trois camarades, moins connus avant-guerre échappent à la vindicte de la police française, Gabriel Roulleau est placé en résidence surveillé. Puis, dès qu'on découvre un tract communiste dans la région, il est interné à Aincourt. Il fait partie de ces "communistes dangereux" classés ainsi par le commissaire de police Andrew, directeur du camp. Cela lui vaut d'être transféré à Rouillé le 6 septembre 1941. La fiche de police qui l'accompagne indique "interné en vertu d'un arrêté du préfet de Seine-et-Oise en date du 7 août 1941. Secrétaire appointé de l'Union locale des Syndicats de la région mantaise. Secrétaire du Syndicat des métaux et propagandiste communiste. Était considéré comme le chef du mouvement communiste de la région de Mantes. Avant son internement, avait été astreint à la résidence obligatoire dans sa localité. Au camp d'Aincourt, ne s'est pas désolidarisé des doctrines moscoutaires". (Voir la page Gabriel Roulleau, un métallo résistant)
Plus tard, tabassé par la Milice et laissé pour mort sur sa paillasse, il échappe ainsi au dernier convoi de déportation pour l'enfer concentrationnaire nazi. Il est libéré par la Résistance et des éléments de l'armée américaine. Il rentre à Mantes-la-jolie, retrouve sa famille et rouvre l'Union Locale CGT. Il retrouvera son mandat de conseiller prud'hommes et sera élu conseiller municipal dans la liste conduite par celui qui deviendra maire PCF de Mantes-la-Jolie.
Bien avant que l'Allemagne n'attaque l'Union soviétique, à l'initiative des Comités populaires, deux grandes grèves: celles des 3 000 ouvrières de l'usine de filets de camouflage d'Issy-les-Moulineaux en avril 1941, pour une augmentation de salaire; celles du 26 mai au 10 juin 1941, par 100 000 milles mineurs du Nord et de Pas-de-Calais, la première grande lutte de masse de l'occupation dont la répression fut impitoyable (9 exécutions, 284 déportés dont 126 ne revinrent pas, 94 internés et 40 femmes de mineurs prises comme otages).
Oui, comme l'a écrit ultérieurement François Mauriac: "Seule dans sa masse, la classe ouvrière est restée fidèle à la patrie profanée".
A suivre "s'unir et combattre" et "l'influence de la CGT dans le Conseil
national de la Résistance".