L'interview secrète
On m'avait contacté par signaux de fumée afin que nul ne sache et ce jour-là, avec un diable de vent, ce ne fut pas facile de les déchiffrer. Mais tout ceci n'avait qu'un but, une rencontre secrète de la plus haute importance.
je suis donc allé au rendez-vous fixé, incognito. C'était le Fouquet's à Paris. Le lieu était absolument vide, dehors trois rangées de CRS (pas moins), sans doute pour écarter quelque manifestation que la CGT organise de plus en plus souvent, comme si elle n'avait que ça à foutre en cette période de crise que les grands de ce monde s'évertuent à régler. Sur les toits du Fouquet's, le GIGN (pas moins non plus). Celui-ci, sans doute, pour éviter que les pigeons parisiens viennent nous faire dessus. Ah, la capitale était plus nette avec monsieur Chirac, maire de Paris.
Il est arrivé, grosses lunettes noires sur les yeux et une belle montre en acier au poignet. Je crois bien que c'était la même que monsieur Takieddine avait offerte à monsieur Copé pour son anniversaire et qu'il a perdu depuis. J'espère que celui qui se tient en face de moi ne l'a pas ramassée pour sa pomme. Non, il a l'air honnête, bien mis sur lui et tout et tout et à qui l'on donne le bon Dieu sans confession. Bon, ils m'ont fouillé au corps, pris ma salive pour mes empreintes génétiques et menotté dans le dos. C'est normal à cette époque où la racaille et les cégétistes courent les rues.
Mais qui est-il? Ce n'est pas le gardien de mon immeuble, celui-ci est vachement plus grand et puis c'est un Africain. Peut-être l'épicier du coin. Non, mon épicier ne bouge pas sans arrêt, comme s'il avait des fourmis partout sur lui.
- Appelez-moi monsieur Z, m'a-t-il intimé, du ton supérieur qui fait la force des élites de ce monde. Voilà, je vais me présenter à ma réélection.
- D'habitude-fis-je sans cerner toujours pas mon personnage, ce genre de chose se fait en direct à la télé, non?
- Oui, mais ils ne se trompent dans les questions que je leur demande de me poser. Tandis que vous, la DCRI (ex-Rg) me l'a dit, vous êtes plus fortiche qu'eux dans votre blog.
Je me suis rengorgé: qu'un homme de cette qualité apprécie mon humble prose, c'est peut être les Palmes académiques assurées. Faudra que je fasse gaffe à ne plus attaquer le pouvoir en place, ai-je pensé.
- Voilà, a-t-il repris, un peu sur l'air de celui qui passe de plus en plus sur les ondes pour sauver le monde chaque jour que le bon Dieu fait, et même que dernièrement il a parlé d'un TVA sociale qu'il ne faudrait plus dénommer comme ça, pour ne pas prendre une raclée d'enfer aux élections du printemps. Voilà, je me représente et avec une équipe gouvernementale resserrée. D'abord pour faire des économies, deuxio, il y avait autour de la table du conseil plus de zéros que dans mille milliards d'euros.
J'ai cherché dans ma petite tête le nombre qu'il allongeait, vu que j'étais encore à compter avec le franc gaulois, qu'il a repris; "Comme porte-parole du gouvernement et ministre des bons mots, Nadine Morano. Je lui avais donné le portefeuille de l'Apprentissage, exprès pour la former. Ensuite ministre de la police, de l'instruction civique et des sports, Claude Guéant. Pour les finances et la santé, j'ai pensé à Claude Trichet, l'ex-boss de la BCE. Il y avait aussi un ancien du FMI, mais je n'ai plus son adresse. Aux affaires françaises et à l'immigration, Thierry Mariani, parce que j'ai apprécié qu'il écrive dans Minute le canard des faschos. Ministre de la Guerre, le porte-avion Clémenceau pour caser les rafales de mon copain Dassault. Enfin aux affaires étrangères, Angela Merkel.
- Mais n'est-elle pas Allemande dis-je à mi-voix pour ne pas paraître inconvenant.
- Justement, c'est dans le cadre de notre prochaine réunification avec ce pays. Comme ça nous ferons la nique à tous ces pelés d'Europe qui bouffent notre énergie et notre patience. Voilà, écrivez cela à vos lecteurs. Au revoir, on ne s'est pas vu.
- Mais comment vous vous appelez, je me suis écrié, alors qu'il tournait des talonnettes.
- Marquez Nicolas, pauvre çon et cassez-vous, m'a-t-il rétorqué avant de partir entre deux douzaines de motards de la garde républicaine.
Je suis resté les mains menottées jusqu'au lendemain matin, où le concierge du Fouquet's m'a surpris ainsi. Il a prévenu les flics qui m'ont fouillé au corps, pris ma salive et amené au poste pour être gardé à vue plusieurs jours. Par mesure de sécurité sans doute, il y a tant de racailles et aussi d'assistés qui courent dans les rues de Paris.
Bon j'ai été libéré, sans excuse. Normal, ce n'est pas prévu dans la loi. Mais vais-je écrire un papier sur cette rencontre secrète? J'en doute, car je ne sais pas à qui j'ai eu affaire.