J'en perds mon cassoulet de Castelnaudary
Enfin, celui que ma grand-mère nous faisait déguster le dernier jour de nos vendanges familiales. Le vrai de vrai, disait cette originaire de l'Aude, la patrie éternelle du cassoulet de Castelnaudary, elle qui n'avait jamais dépassé les bornes de Port-la-Nouvelle, son petit bourg natal coincé entre la mer et la garrigue. Justement, les vignes, les anciens les avaient gagnées, en suant sang et eau, entre la Méditerranée et le maquis des Corbières. Et leurs cabanons, pas plus grands qu'un mouchoir de poche, étaient autant de bastides pour arrondir les fins de mois difficiles d'ouvriers qu'ils étaient tous.
Le cassoulet était donc l'affaire de ma grand-mère. Elle avait acheté ses haricots blancs secs sur le marché, directement au petit producteur. Elle les faisait cuire dans une grande cassolette en terre cuite dans le four de sa cuisinière, après qu'ils aient trempés dans de l'eau de pluie. La saucisse, le jarret, la couenne et autres bonnes cochonnailles, c'était aussi sur le marché qu'on les achetait en ce temps-là. On réchauffait le tout sous la braise d'un feu de sarments dans la cheminée de notre cabanon. Oui, pas question d'ouvrir une seule boîte de conserve à cette époque. On croyait vraiment que ce temps serait immémorial.
Et puis, paf, comme un bonne beigne en pleine poire pour se réveiller, voilà qu'à Castelnaudary arrive de la bidoche de boeuf qui n'en est pas, pour fabriquer un plat à la sauce italienne sans être passé par la péninsule des Romains, mais à travers toute une flopée de marchands de soupe et du temple, à seule fin de faire sonner leurs tiroirs-caisse.
Le plus fort est que cette escroquerie européenne sur la marchandise et sur le prix a éclaté en Grande-Bretagne. Pas parce que les canassons sont là-bas des dieux qu'on ne mange pas. Non, mais la Grande-Bretagne a défendu une réduction des crédits pour les contrôles sanitaires dans le Budget européen 2014-2020 que toute l'UE a adopté.
Ah, le cassoulet de Castelnaudary de ma grand-mère, en ce Midi rouge depuis la Commune de Narbonne en 1871, la petite soeur de celle de Paris, où les poings se dressaient aussi volontiers pour vivre et puis rêver.
Attention, à cette époque, on ne vivait pas sûrement mieux. Mais je crois que, tout simplement, nous étions moins cons.
Auguste Fourès, poète occitan, fait connaître en 1911 la chanson du Cassoulet datant de 1876.
Les paroles en langue d'Oïl:
Chaque endroit à ses gourmandises
Et vante ses bons morceaux;
Lagrasse a ses perdrix grises,
Le Villassary suce ces melons,
Albi dore ses gimblettes,
Partout on connaît l'estouffat,
Limoux fait mousser sa blanquette,
Castelnaudary seul a le cassoulet.
Il y en a qui le font avec des lentilles,
D'autres prennent riz et pois chiches,
Vous y trouverez toujours quelques grains de sable,
Il sera aqueux ou trop essuyé!
Bonjour! Ce n'est pas ma méthode,
Il faut un lièvre pour faire un civet,
Castelnaudary ne change pas la mode,
Il met des haricots pour un cassoulet.
ll faut les choisir blancs, sans tare,
Les nôtres ont trop de fumet,
Les meilleurs sont de Mazeres,
De Pamiers ou de Lavelanet;
En haut, ils ont le haricot goulu,
Gonfle-bougres et flageolet,
Le rougeatre et l'oblong.
Qui s'en moque! Ils n'ont pas le cassoulet.
Les haricots sont prêts, Madeleine,
Vite la cassole d'Issel,
Le lard, le jarret, la couenne,
Le saucisson le plus beau!
Maintenant, tout y est, une heure sonne.
Au fournier je ferai un baiser,
S'il s'acquitte de sa besogne,
En bien soignant le cassoulet.
Allez, le Temps des vendanges, lo temps de vendemias de Claude Marti, chanteur rouge d'aujourd'hui: