Au temps de la coloniale au Mali
Francis Simonis, maître de conférences Hitoire de l'Afrique, écrit sur Rue89 Quand le Mali était la pépinière à décoration des officiers médiocres:
« La mort ou l’épaulette, l’anémie et la fièvre, parfois la gloire », voilà ce que le lieutenant de spahis [unité de cavalerie de l’Armée d’Afrique, ndlr] Gaston Lautour comptait trouver au Mali, qui s’appelait alors le Soudan français, à la fin du XIXe siècle.
Pour lui, qui n’avait pu intégrer Sain-Cyr, le départ aux colonies était l’occasion « de sortir de l’ornière autrement que par ces éternels examens, toujours les mêmes et devenus presque inaccessibles par l’affluence énorme de concurrents ».
De solides travaux ont fait judicieusement remarquer que l’affectation outre-mer résultait plus d’une contrainte que d’une volonté délibérée pour la plupart des officiers français. Le départ aux colonies était ainsi la sanction d’études médiocres, le dernier quart des promotions de Saint-Cyr étant systématiquement versé dans l’infanterie de marine.
Il en était de même à l’Ecole Polytechnique : le futur général Archinard, qui mena trois campagnes au Soudan, fut affecté dans l’artillerie de marine comme tous ses camarades aussi mal classés que lui, après être sorti 137e sur 141 de sa promotion…
Un formidable coup d’accélérateur pour leur carrière
La participation aux conquêtes coloniales offrait alors aux officiers à l’avenir mal engagé l’occasion unique de surmonter leur mauvais classement initial. Des combats où ils espéraient se mettre en valeur, ils attendaient un formidable coup d’accélérateur pour leur carrière. Les récits militaires illustrent à l’envi cette soif de gloire et de promotion.
Le lieutenant Lecerf, par exemple, ne voyait dans les colonies qu’un moyen de gagner des galons. Pour lui qui détestait le Soudan, « un sale pays à tous les points de vue », le départ pour l’Afrique était « une veine à exploiter ». La conquête de Koundian, au Mali, par Archinard en 1889 n’avait d’autre intérêt que de lui permettre de faire la preuve de ses qualités militaires et d’être inscrit au tableau d’avancement pour le grade de lieutenant-colonel.
La prise de Bandiagara, au Mali, lors de la campagne de 1892-1893, relevait du même processus. Madame Paul Bonnetain en a laissé un vibrant témoignage dans « Une française au Soudan », récit de voyage publié en 1894. Alors que des instructions ministérielles enjoignaient fermement à Archinard de ne plus faire de conquête, il choisit de « gagner ses étoiles de général en détrônant un souverain quelconque » et « en faisant tuer inutilement un certain nombre de troupiers ».
Il aurait pu alors rentrer victorieusement dans Tombouctou, mais ayant appris la prise d’Abomey, au Bénin, par le colonel Doods promu général, il aurait reporté son projet à la campagne suivante. Destitué à son retour en France, il n’eut jamais l’occasion de prendre la cité mystérieuse, pour le plus grand malheur du colonel Bonnier.
Le général Mangin, « boucher des Noirs »
L’itinéraire du général Mangin, dont les « Lettres du Soudan » seront publiées post mortem, illustre jusqu’à la caricature le comportement des officiers français. Au fil de sa correspondance, on découvre un officier ambitieux et impatient, supputant ses chances de promotion, s’enthousiasmant, perdant espoir, se morfondant, puis croyant de nouveau à une récompense prochaine.
On suit avec effarement les calculs savants d’un homme qui voit en 1894 un fait capital pour sa carrière dans son inscription au tableau de novembre pour le grade de capitaine, et note cyniquement que sur les quatre officiers de sa promotion qui se trouvaient au Soudan, les trois autres avaient été tués à l’ennemi.
De fait, la vie humaine comptait peu pour celui qui sera plus tard à l’origine de l’emploi massif des soldats africains lors de la Première Guerre mondiale, et se taillera une solide réputation de « boucher des Noirs » en les faisant massacrer par milliers au Chemin des Dames en 1917.
Se plaindre de ne pas avoir été blessé
Pourtant, les espoirs des officiers ne furent que rarement satisfaits. Les récits militaires montrent une recherche générale de l’action d’éclat, du fait d’arme porteur de promotion et de décoration. La maladie, l’ennui et le désenchantement furent plus souvent au rendez-vous que la gloire dans cette « pépinière à décoration » dénoncée par le député anticolonialiste Paul Vigné d’Octon.
Pour être promu ou médaillé, en effet, mieux valait avoir été blessé au combat, ce qui n’était pas une mince affaire. La situation défiait alors la raison, puisqu’on pouvait voir des soldats, comme Anthelme Orsat, se plaindre avec désolation, après un engagement, de n’avoir pas été blessé.
Mais ce n’était que partie remise, et notre brillant marsouin, qui se lamentait sur son propre sort, y réussit un jour au-delà de toutes ses espérances, puisqu’il finit par se faire tuer aux environs de Bissandougou en 1891 !