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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Gilbert Dubant, rédacteur en chef de Mémoires Vives et spécialiste du continent africain, m'adresse son propos sur les Touareg. Je vous le transmets. Pour la compréhension et le débat.

 

Touareg compliqués et Français simplistes

 

L’article paru samedi 19 janvier 2013 sur « le-blog-de-roger-colombier » concernant « Les Touareg et le Mali » a le mérite d’évoquer des questions que l’actualité militaire occulte en grande partie. Il mérite aussi quelques précisions, car si une partie des questions d’aujourd’hui sont largement dues aux frontières coloniales, l’histoire compliquée de la zone du Sahel qui va du Maroc au Tchad explique en grande partie la situation actuelle.

Touareg2.jpg

Femme Targuia jouant de l'imzad dans les anées 1950

 

Comme les Berbères et les Kabyles, les Touareg (singulier Targui, au féminin Targuia) sont les descendants des habitants pré-islamiques du Sahara. En témoignent leur langue d’origine, le tamasheq (ou tamahaq), qui a son propre alphabet (tifinagh) et leur organisation sociale en tribus confédérées à géométrie variable. Les plus étudiés ont été les habitants du Hoggar algérien (Tamanrasset) et du Niger (Agadez).

 

LA TRADITION NOMADE

 

Les Touareg ont résisté jusqu’en 1902 (bataille du Tit) à la colonisation française en Algérie. Mais jusqu’en 1962, leur situation est différente des Arabes et des Kabyles du Nord. Les raisons sont simples : leur connaissance du pays les rend indispensables à la maîtrise du terrain (et plus tard des hydrocarbures) par les Français et les territoires sont si vastes qu’il est impossible, par compagnies méharistes ou convois automobiles, de surveiller de telles étendues transfrontalières, où les Touareg se livraient aux activités ancestrales : le commerce caravanier du sel, de l’or, des épices, des esclaves. Les trafics de cigarettes, de cocaïne, d’armes et de migrants d’aujourd’hui en sont la suite logique, et les 4x4 Toyota ont amélioré la vie professionnelle. L’élevage nomade du dromadaire et de la chèvre, en forte diminution, était le pendant du commerce et des « rezzous » (pillages des sédentaires non Touareg).

Touareg1.jpgDromadaires et pétrole dans les années 1980

 

LE PASSÉ ESCLAVAGISTE

 

L’organisation sociale avant et après la colonisation française est comparable à celle de leurs cousins Reguibat de Mauritanie, que l’on retrouve d’ailleurs sur le  front Nord-Ouest  des « terroristes » du Mali aujourd’hui. La plupart des analyses françaises considèrent ethniquement homogène le prétendu territoire de l’Azawad malien, donnant son nom au MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad, acronyme « françaoui »). « Azawad » signifie « pâturage », ce qui exclut par définition la majorité de la zone. Le Mali du Nord-Est (Tombouctou, Gao, Kidal) est une mosaïque de populations dans laquelle les Touareg ne sont pas partout majoritaires, mêlés aux Songhaï, Soninkés, Peuls, Bambaras, etc. En revanche, le sentiment de supériorité est fortement ancré chez les Touareg, pour une raison simple : jusque dans les années 70 (et c’est une simple estimation), l’esclavage est une donnée sociale où ils sont dominants, tout comme chez les Reguibat qui, avec les Harratine, font de la Mauritanie actuelle un des seuls pays à label ONU qui tolère l’esclavage.

 

LA LÉGENDE DU FANATISME

 

Dans tous les cas, les esclaves ont un point commun : ils sont noirs. Il serait donc étonnant que les relations au Nord-Mali entre Touareg et Songhaï ou Soninkés, tout comme celles entre le MNLA et le gouvernement de Bamako, à majorité noire, soient sereines. On ne se débarrasse pas plus vite de l’empreinte coloniale que de celles des empires africains pré-coloniaux. Le Soudan français, fixant les frontières du Mali, a largement contribué à renforcer la subordination des « Nègres » aux Européens et à leurs collaborateurs locaux, Touareg inclus.

Certaines analyses françaises se plaisent à introduire des différences de conception et de pratique de l’Islam entre les différentes populations. On se demande pourquoi. Les Touareg, comme leurs voisins du Sud au Niger, Mali, ou Tchad, n’ont jamais manifesté un fanatisme wahabiste particulier. La lutte contre le « maraboutisme », considéré comme une superstition par les sunnites d’Arabie saoudite et du Qatar, a entraîné la destruction de tombeaux de saints musulmans au Nord-Mali, mais c’est le fait de quelques excités. C’est à peu près comme si le Vatican interdisait de rendre grâces aux saints patrons bretons ad majorem Dei gloriam. Les Touareg y sont dans leur majorité indifférents. Ils travaillent pour qui les paie, en gardant un maximum d’autonomie.

 

UNE QUESTION DE SYSTÈME

 

Si Tombouctou a été interdite aux infidèles chrétiens jusqu’à la visite clandestine de René Caillé en 1828, l’Islam sahélien n’est pas wahabiste, donc chimiquement pur d’après AQMI. Il est largement mélangé à des croyances pré-islamiques, animistes pour la plupart, et perclus de superstitions. Jusqu’à maintenant, l’Afrique noire francophone n’a jamais édicté de lois sur l’alcool et le port du voile, le français est langue officielle, le franc CFA n’a pas été remplacé par les monnaies du Maghreb ou le dollar (reste à savoir dans l’intérêt de qui).

Ces quelques points précisés, la France et l’Europe n’ont aucune chance de contenir durablement la poussée salafisto-mafieuse si une politique de développement ne prend pas place au Sahel. Les trafics et les pillages font partie de l’histoire targuia, mais l’activité actuelle des Touareg est dictée par la nécessité de pallier le sous-développement économique de leur(s) région(s). Toutes les populations africaines sont à peu près dans le même cas. Elles sont victimes de la mondialisation venue de Washington, Pékin, Paris et Brasilia. Les oppresseurs ne sont plus des nations colonialistes, mais des systèmes. Celui qui prévaut à New York, Shanghaï, Ryad ou Jérusalem ne gêne en rien AQMI, Ansar-ed-Dine et le Mujao. Ce système vend des armes, du pétrole ou du football à qui peut les payer et s’alimente d’une organisation sociale qui considère les droits de la femme et des salariés comme des freins au profit.

 

 

CHANGER DE LOGICIEL

 

Le changement de pied dans la politique internationale en Afrique ne passe pas par une improbable prise de conscience des dirigeants mondialistes. Il nécessite un effort (djihad en arabe) des opinions publiques occidentales dans trois directions. D’abord sortir des idées reçues sur l’Afrique en deux points : cesser de penser que le logiciel intellectuel européen est le seul existant ; préférer la coopération fructueuse à la repentance stérile. Ensuite établir des partenariats économiques et sociaux avec les pays africains concernés, alliant la formation in situ des cadres locaux et l’investissement dans des projets territoriaux sans passer par des filtres cupides. Enfin cesser de soutenir les supplétifs corrompus de la World Company, les soi-disant chefs du peuple qui pompent en famille les subventions européennes et les rétro-commissions des marchés d’armement. 

L’intervention française au Mali a réagi à une situation insupportable et contagieuse. Mais le seul moyen d’en sortir est d’aider vraiment les Maliens, économiquement et socialement, en les aidant à se débarrasser des pillards à masque salafiste du Nord-Est et des crétins véreux de Bamako.

Sans plan de développement économique et démocratique immédiat, cette guerre serait une simple aventure militaire destinée à recommencer.


Gilbert Dubant

 

 

Note de ma pomme: Conséquences de la guerre en Lybie, réelle question touareg, zones de non-droits livrées aux mafias et au fascisme vert, situation chaotique à Bamako et pillages en tout genre de l'économie, un océan de misères submerge le Mali.

Le Mali, c'est un territoire dont les 2/3 sont une zone majoritairement désertique. C'est aussi plus de 16 millions d'habitants dont 91% survivent avec 1,50 euro par jour. C'est également une population composée en majorité de jeunes de moins de 25 ans. C'est un pays dont les ressources minières sont, comme jadis, aux mains des sociétés étrangères. Dans le Sud, l'avenir des jeunes est dans l'exil pour ceux qui y parviennent (plus d'un tiers du revenu national provient des fonds envoyés par l'immigration malienne). Dans le Nord, zone majoritairement désertique et marginalisée depuis l'indépendance du pays en 1960, le fascisme vert et les mafias, sinon les deux à la fois, sont comme comme un phare pour une partie de la jeunesse.


Or, pour l'heure, on n'entend au Mali que le bruit des armes.

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É
Bon article et bon débat pour la suite
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