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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Conte des Corbières: Celui qui revenait

Lorsque le vent de la nuit eut happé l'ultime frange du jour, il quitta l'ombre de la frondaison d'où il épiait les siens. Il descendit alors vers l'oeil allumé de la maison ancestrale. Il aurait pu marcher au grand jour vers la demeure ancienne: il y était né.

Il aurait pu s'avancer vers le banc de pierre, à la clarté vive du soleil, et étreindre son père qui s'y reposait, chaque jour moins dans le couchant de sa vie. Il aurait pu embrasser tendrement sa mère lorsqu'elle vint, à quelques pas de lui, quérir l'eau de l'existence dans le ru. Il ne fit rien de tout cela.

Depuis quand s'était-il enfui d'ici?

Durant un été rouillé qui asséchait souvent le vieux paysage et son coeur? A moins que ce ne fut dès cette tombée terrible de gel qui avait racorni la vigne? Mais combien de tourbillons d'années, de rondes de saisons s'étaient effacées du cadran du temps, depuis son exil dans les brumes de l'inconnu?

Alors non, il ne pouvait pas revenir vers ses vieux parents, lui endimanché dans son costume de citadin. Dans la lumière du jour, ils en auraient été éblouis et rendus plus humbles encore.

Alors, le bagage de cadeaux qu'il leur ramenait, il les offrirait lorsque la lampe n'est plus qu'une veilleuse que l'on va éteindre avant de se coucher jusqu'au lendemain.

Les Corbières plongèrent dans le silence et l'obscurité. Et les arbres retinrent dans leurs bras les oiseaux qu'ils relâcheraient dès la pointe du jour. Alors, sans aucun bruit, comme un animal en maraude, il vint à pas comptés vers la porte d'entrée.

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Dans la nuit, il en palpa longuement sa vieille chair, retint son souffle en collant son visage sur le bois.

Le chien de sa famille gronda à l'intérieur. Mais lui, au lieu de pousser la porte comme il était en droit de le faire, caressa toujours la vieille carapace de bois.

Soudain, celle-ci s'entrebâillant, il aperçut dans l'embrasure un coin de l'âtre qui flamboyait.

Puis, tout aussitôt, une langue de feu, jaillissant dans les airs, transperça son coeur. Et les étoiles du foyer familial et le grand rêve dans ses yeux s'éteignirent d'un coup.

Sur le sol, sa main droite desserra le petit couteau qu'un père offrit à son fils, autrefois dans ces Corbières, à sa douzième année.

- L'ai agut del primier cop*, résonna une voix enfantine.

- Oc, segur, un de mens per prendre nostre païs **, reprit le ton ferme d'un adulte.

Et la langue de la vieille province se poursuivit dans la bouche d'un père

- Déshabille-le, mon fils. Nous en revêtirons l'épouvantail pour chasser les grives de notre muscat. On aurait bonne mine, attifé de la sorte, pour travailler notre terre. Allez, drôle, tu as bien mérité ton couteau d'homme. Prends celui de ce vaurien.

Dans coin, une mère n'avait pas cillé.

Chaque soir, à cette heure, elle se tournait vers la fenêtre à l'opposé du levant. Elle priait pour que son aîné revienne. Son grand était parti de ces Corbières quand les palombes palpitaient au plus haut des nues dans le soleil de ce Midi éternel.

L'ai aigut del primier cop*: Je l'ai eu du premier coup.

Oc, segur, un de mens**: Oui, sûr, un de moins pour prendre notre pays

 

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J
merveilleux conte mais si poignant qu'il m'a rendu malade de douleur et de regret sur des sentiments trop profonds
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