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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Marie Couette, syndicaliste et féministe (suite)

Suite de mon article du 24 mai 2023 et extraits de mon ouvrage Le travail des femmes autrefois jusque dans les années 1960

Marie Couette est l’unique femme à intervenir de la sorte dans l'Assemblée consultative. Or, si les délégués masculins l’applaudissent, aucune résolution n’est déposée en ce sens ; pire, une commission travaille pour augmenter les salaires, mais un abattement de 10% sur celui des femmes est adopté. Tollé de Marie Couette et des militantes de la CGT.

A l’Assemblée consultative, en commission du Travail et des Affaires sociales, le 8 février 1945, présidée par le ministre du Travail, elle réitère le principe d’un salaire égal pour un même travail entre homme et femme. Mais le ministre Alexandre Parodi (1901-1979) annonce que « l’ordre du jour ne retient pas la proposition de madame Marie Couette ». (...)

L’abrogation de l’abattement sur les salaires féminins 

A la Libération, l’écart entre les salaires féminins et masculins est de 20 à 30%, avec un minimum autorisé de 15% pour deux postes identiques. Les accords Matignon de 1936 n’ont pas gommé cette inégalité. Et dans les discussions autour de conventions collectives, du moins à celles auxquelles les femmes participent, ces dernières n’ont pas protesté ; dans leur majorité, elles ont craint, avec des salaires équivalents, être moins concurrentielles sur le marché du travail face aux hommes.

A la Libération, les mentalités féminines ont changé, du moins du côté des femmes qui ont participé à la Résistance. Les anciennes de la CGTU souhaitent prendre toute leur place dans la CGT, comme dans la société. Marie Couette est à la tête de ce courant trempé dans les combats clandestins contre l’occupant et Vichy et dans les épreuves de la déportation. Dès l’automne 1944, elle participe à la rédaction de la Vie Ouvrière, qui fait paraître « Le coin de la Femme », le 5 octobre, et onze mois plus tard, « La Page de la femme ».

Cette rubrique s’inscrit dans 2/3 d’une page, dans un journal qui n’en compte que huit. Le fond est l’expression d’une volonté syndicale et féministe, avec des reportages sur le travail des femmes, des articles sur leurs revendications. Les questions pratiques n’occupent qu’une sous rubrique.(...)

Dans la Vie Ouvrière, dès la Libération, sous le titre « Toutes au syndicat », elle écrit : « Au moment où, lors de l’insurrection de Paris, des femmes se sont engagées pour les soins aux blessés, le ravitaillement des FFI, les liaisons, on voit la prime insurrectionnelle réduite de 10% pour les femmes. Camarades ouvrières, soyez vigilantes. C’est dans la mesure où les femmes seront nombreuses dans les syndicats et dans les postes de responsabilités, qu’elles pourront faire entendre utilement leur voix et contribuer à un mouvement syndicaliste fort, constructif et inspiré ».

Le 22 octobre 1945, l’Assemblée constituante dissoute, les élections législatives donnent le PCF, premier parti de France avec 148 députés. Le général de Gaulle forme un gouvernement en fonction des résultats électoraux, mais en minorant la force des communistes.

Tout à son devoir de relever la France, le PCF accepte cette façon de faire et Marie Couette tout autant. Cependant, Ambroise Croizat, dont elle fut secrétaire, devient ministre du Travail. Et Jeannette Vermeesch (1910-2001) est députée communiste de la Seine et compagne de Maurice Thorez (1900-1964), secrétaire général du PCF et ministre d’État.

Une délégation, Marie Couette, Georgette Bodineau et Alice Brisset, anciennes de la CGTU, sollicite cette dernière afin de rencontrer le ministre du Travail sur l’abrogation de l’abattement salarial féminin. « Lorsque les circonstances le permettront, nous ferons en sorte de réparer l’injustice », dit Ambroise Croizat, ce qui, solidarité gouvernementale oblige, va satisfaire Jeannette Vermeesch et la CGT, mais pas Marie Couette.

Le contexte politique et syndical, dans cet après-guerre, est un compromis permanent. Le refus de la SFIO de gouverner seulement avec le PCF, premier parti de France, induit une alliance tripartite qui comprend le MRP, formation qui n’est pas de gauche. (...) Et toute la CGT s’engage dans « la bataille de la Production » pour relever le pays.

Entrée à la Commission administrative de la CGT en mars 1945 -3 femmes sur 44-, Marie Couette n’est pas opposée à cela. Elle le dit au CCN du 4 septembre 1945 : « Benoît Frachon a précisé l’importance que nous devons attachés à l’effort de productivité. […] Mais ce n’est pas tout de fixer des tâches, il faut savoir les réaliser ». Et elle rajoute : « Pour intéresser les femmes (au mot d’ordre confédéral), il faut que nous nous intéressions nous-mêmes à leurs revendications ».

Au 26ème congrès confédéral, du 8 au 12 avril 1946, Marie Couette est élue secrétaire confédérale et la Commission administrative de la CGT compte 6 femmes sur 35 membres, soit 17,14% contre 6,5% en 1945. Même si le congrès ne dénombre que 37 femmes sur 1 100 délégués, Marie Couette présente une résolution sur l’égalité salariale entre hommes et femmes et la suppression de l’abattement de 10% sur les salaires féminins.

Une conférence nationale de la main d’œuvre féminine va se tenir le 14 avril.  Elle élit une direction de 8 membres dont Marie Couette est la secrétaire.

Mais dès le 19 novembre 1945, elle a adressé à toutes les unions départementales une circulaire demandant la création d’une commission féminine. (...) Elle est soutenue par Benoît Frachon qui  insistait en septembre 1945 : « Pourquoi la famille envisagerait qu’une de ses composantes fut, en quelque sorte, exclue d’une partie de la vie collective et astreinte uniquement aux travaux domestiques, impropres à l’évolution de la femme. »

Or, la situation se tend politiquement et à l’intérieur de la CGT.

En janvier 1946, le général de Gaulle a démissionné de la présidence du gouvernement et le socialiste Félix Gouin (1884-1977) le remplace. Un projet de Constitution est soumis au suffrage universel, pour une Assemblée nationale unique et la suppression du Sénat. Elle a l’aval du PCF et de la CGT. Or, au référendum du 5 mai 1946, elle est rejetée. le MRP devient le premier parti et Georges Bidault (1889-1983) président du gouvernement provisoire MRP- PCF-SFIO.

Dans la CGT, l’unité se craquelle. entre anciens de la CGT et de la CGTU. Dans le syndicat, les ex-CGTU sont devenus majoritaires. La scission approche avec le journal Force ouvrière de la tendance ex-confédérée.(...) .

Le PCF est entravé dans son action par le gouvernement dirigé par le MRP. Toutefois, Ambroise Croizat, ministre communiste du Travail, signe un décret abolissant l’abattement de 20% sur les salaires féminins, revendication première de Marie Couette, le 30 juillet 1946. Cela va être la dernière action ministérielle d’ordre salarial d'Ambroise Croizat. A l’automne, il est placé sous la tutelle du ministre MRP des Finances en matière de salaires.

Les femmes dans la CGT 

Elles ne sont pas toutes favorables aux idées de Marie Couette.

Le congrès des Métaux, la plus puissante fédération pourtant acquise à la majorité confédérale, en est un exemple en mars 1946. Une déléguée dit que « le salaire de la femme est une part prise sur celui de l’homme » ; elle s’oppose à l’égalité salariale entre homme et femme pour ne pas diminuer le salaire du chef de famille. (...)

 Le congrès de la CGT, en octobre 1948, tire un bilan sur la main d’œuvre féminine et à ce congrès, elles sont 81 sur 1 147 délégués , soit le double par rapport à celui de 1946.

Concernant le travail des femmes, l’égalité des salaires a été obtenue avec les hommes, depuis le décret du 30 juillet 1946 ; pour autant, les ouvrières de l’agriculture en sont exclues et par le déclassement du travail féminin dans certaines industries, reviennent des abattements de 5 à 10% à l’encontre des femmes, par manque de mobilisation des travailleurs, femmes et hommes, pour obtenir cette égalité ou la faire respecter. Il est aussi constaté l’inégalité des femmes devant la formation professionnelle, quand elles ne subissent pas une « opposition ironique de la part des hommes, lors de leur prise de fonction à l’entreprise ». (...) Le tableau est plus désastreux pour l’accès à la maîtrise, même dans les entreprises où les femmes sont majoritaires.

Au niveau confédéral,  seules 8 fédérations ont une femme dans leur direction. Aussi, le congrès s’engage à ce que les femmes puissent accéder à « toutes les formes de l’activité nationale (manuelle et intellectuelle), aussi bien dans la vie du pays que dans celle de nos organisations syndicales ».

Or, la situation politique et sociale a ébranlé l'audience de la CGT dans le pays. En mai 1947, les ministres communistes ont été chassés du gouvernement ; des grèves ont été un échec ; en décembre 1947, Léon Jouhaux et 4 dirigeants nationaux forment la CGTFO en avril 1948 ;  les élections d’avril 1947 pour les représentants ouvriers à la Sécurité sociale n’ont pas eu le succès escompté : caisses primaires, 59,22% pour la CGT, mais 26,37% à la CFTC, 5,18% aux associations familiales et 9,23% pour les mutualistes ; caisses allocations familiales, 67,2% pour la CGT, 24,2% pour la CFTC, 5,4% pour les associations familiales et 3,2% au titre des divers. (...) Et la CGT a semble-t-il d'autres chats à fouetter en ce qui concerne les femmes.

Marie Couette est réélue comme secrétaire confédérale, chargée du travail des femmes en particulier et mandatée au Bureau international du travail.  Or, elle démissionne en cours de mandat, ses forces et sa santé ne lui permettant pas d’assumer toute son envie et ses fonctions. (...) Elle se retire dans son Indre natale, où elle décède le 5 octobre 1974.

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