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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

27 mai,Journée Nationale de la Résistance: Marie Couette, féministe, syndicaliste, communiste et résistante

Dans mon ouvrage Le travail des femmes autrefois jusqu'aux années 1960, paru chez L'Harmattan, j'ai développé tout un chapitre sur Marie Couette, née Bluet, à la fois syndicaliste, féministe et résistante. Quelques extraits.

De conviction féministe et syndicaliste dans les PTT, obstinée à défendre ses idées dans une société qui ne veut pas les entendre, résistante pourchassée, Marie Couette (1898-1974) devient secrétaire confédérale de la CGT en mars 1946.

Son enfance 

Son père est facteur, lorsque vient au monde Marie Bluet, le 14 juillet 1898, à Onzain, commune de 2 300 habitants dans le Loir-et-Cher. En 1907, sa mère décède et la fillette est recueillie chez un oncle, receveur des Postes. (...)

l'oncle pousse sa nièce à apprendre à lire, écrire et compter à l’école communale, à une époque où l’instruction des filles n’est pas toujours une priorité dans les milieux populaires, car elles ne seront jamais chefs de famille. Marie Bluet obtient son certificat d’études. Mais c’est le temps d’entrer dans le monde du travail, en attendant d’être épousée.

Voilà Marie apprentie gantière, puis ouvrière. Rude métier et longues amplitudes de travail pour un salaire de misère, avec des dermites pour tout aggraver. Elle est rémunérée moins qu’un ouvrier. Il est d’usage que le salaire d’une jeune fille ne serve qu’à préparer son trousseau de mariage ou à compléter la paye du mari, si la femme retourne au travail après son mariage.

Mais voilà l’oncle revient sur l’éducation de sa nièce, la poussant dans des cours du soir. Au début, la jeune fille est revêche à cette idée qui empiète sur ses loisirs et son repos. Or bien vite, dans les livres, Marie Bluet ouvre son esprit à la connaissance et au rêve. Et la jeune gantière obtient son brevet, ce sésame vers les concours administratifs. Avec un père et un oncle dans les PTT, comment ne pas suivre alors la voie familiale ?

Celle qui sera Marie Couette, avec son mariage, réussit celui de dame-employée. La voilà qui débarque à Paris à 19 ans. (...) Marie goûte à la liberté par le travail et devenir la meilleure des mères de famille au foyer n’est pas du tout son idéal.

Admise aux PTT 

Elle s’implique dans son poste aux Chèques postaux. Mais elle s’offusque aussi qu’un commis homme, pour un même emploi, ait un meilleur salaire et un concours moins restrictif pour accéder à cette qualification.

En 1921, la CGT de Jouhaux est majoritaire dans cette administration. Et comme la société, le syndicat se désintéresse du sort des femmes. En 1924, Marie Couette adhère à la CGTU et au PCF prônant l’émancipation de la femme. Elle lit L’École émancipée et sa tribune féministe sous la plume de Marie Guillot. Quelquefois, des institutrices, syndiquées CGTU, tentent de convaincre les dames-employées à la sortie des centraux ; si Marie Couette est de tout cœur avec ces militantes, ses collègues ignorent ces « rouges ». Et la CGTU est bien minoritaire au sein du personnel féminin des PTT. En revanche, la fédération postale confédérée, dans la négociation sur le reclassement, en janvier 1926, perpétue le déclassement des dames-employées par rapport aux commis de sexe masculin.(...)

Tout en militant au sein de la commission féminine de la CGTU, Marie Couette intègre le bureau de la fédération postale unitaire, lors de son congrès du 29 mai au 1er juin 1930. Elle devient ainsi secrétaire nationale, responsable des sections techniques des dames-employées. Elle est la première femme à accéder à une telle responsabilité. (...)

Or, poussées par les évènements internationaux et le fascisme en France, les fédérations postales CGT et CGTU se réunissent dans une organisation unique, au congrès des 10-14 décembre 1935. (...)

Puis vient le Front populaire, ses conquêtes sociales importantes après les grèves de mai-juin 1936, auxquelles postiers, fonctionnaires et cheminots ne participent pas. Certes, on ne parle plus de confédérés et d’unitaires dans la CGT, mais les fédérations de ces corporations, tenues par les amis de Léon Jouhaux ont prôné l’apaisement plutôt que la lutte.

En 1937, c’est la « pause sociale » décrétée par le gouvernement de Léon Blum, puis la non-intervention en Espagne victime d’un coup d’état fasciste.  Dans la fédération des PTT,  René Belin en prend le contrôle, puis devient numéro 2 de la CGT. Avant d’être ministre de Pétain, lui et les siens n’ont de cesse de combattre les postiers communistes. Au congrès fédéral de 1938, Marie Couette et d’anciens unitaires sont éliminés de la Commission administrative.

En septembre 1939, les communistes sont chassés de la CGT, la cause : le pacte de non-agression germano-soviétique.

Le 17 novembre 1939, Jules Julien, ministre des PTT de la 3e République, dans une circulaire, organise la chasse aux communistes ou considérés comme tels. Il s’adresse ainsi aux chefs de service : « Pour être efficace, votre surveillance devra être plus subtile encore que les mauvais agents qu’il s’agit de démasquer. Vous exercerez votre action de concert avec le Préfet qui possède, à l’extérieur de l’Administration, des moyens précieux d’information et de détection ».

Mais dès le 20 octobre 1939, Marie Couette est envoyée en résidence surveillée à Clermont-Ferrand. On la soupçonne d’être la responsable d’un « comité de bureau » clandestin dans lequel « les propagandistes unitaires cherchent à exploiter le mécontentement du personnel qui les entoure, en particulier où les agents sont surchargés de besogne, sans pouvoir jouir des repos dont ils bénéficiaient avant l’ouverture des hostilités ».

A Clermont-Ferrand, son chef de service la surveille rigoureusement. Deux fois par mois, il adresse un rapport circonstancié à l’administration. Le courrier personnel de Marie Couette est lu et les enveloppes grossièrement recollées après avoir été décachetées.

Mais elle inquiète toujours les autorités. Elle est déplacée à Châteauroux, le 24 juin 1940 : le gouvernement pétainiste installant son gouvernement à Clermont-Ferrand, avant de rejoindre Vichy, capitale de l’État français. Dans ce nouveau poste et toujours en résidence surveillée, Marie Couette est encore plus traquée. Finalement, elle est révoquée le 30 octobre 1940, vu la loi du 17 juillet permettant de relever tout fonctionnaire « sur le seul rapport du Ministre compétent et sans autres formalités ». 

Elle est immédiatement recherchée par la police française. Marie Couette est parfaitement et notoirement connue de deux dignitaires du régime de Vichy, anciens dirigeants de la fédération des PTT : René Belin, ministre du Travail de Pétain, et Albert Perrot, ex-secrétaire général de la fédération des PTT, chef de cabinet du premier nommé.

Dans la Résistance 

Elle échappe à une arrestation par la police française et entre dans la clandestinité. Elle monte à Paris, le 15 décembre 1940 et intègre la direction du premier groupe de résistants des PTT. Cette organisation va s’élargir à tous les départements et prendre le nom de « Libération Nationale PTT ». (...)

La répression nazie et la police française procèdent à de nombreuses arrestations dans le groupe des résistants des PTT.  Marie Couette, rendue à Muides, dans le Loir-et-Cher, pour des affaires familiales, échappe de peu à la Gestapo, le 16 août 1942. Elle se réfugie chez des amis, près de Blois, le temps que l’étau se desserre, puis remonte à Paris.

Le 1er mars 1943, la police française arrête Marcel Gouzien, important résistant des PTT. Il est torturé à la Préfecture de Police de Paris.  Comme il ne parle pas, il est transféré à l’hôpital Rothschild, pour être rétabli en vue d’une nouvelle séance de tortures. Ses tortionnaires ont jusqu’au 15 mai, où il sera fusillé au Mont-Valérien. Marie Couette se charge de le faire évader. La femme veut être l’égale de l’homme, hier dans le travail, aujourd’hui dans les combats de la Résistance ; elle ne laisse à personne la décision de ses choix dans l’existence.

L’opération est couronnée de succès, grâce à la complicité du personnel soignant et l’aide de Libération Nationale P.T.T. Marcel Gouzien est rendu à la liberté. Soigné en province, il va reprendre ses activités résistantes.

Le 1er juin 1943, Marie Couette est arrêtée. Elle avait décidé de visiter une camarade blessée à l’hôpital Saint-Antoine, pour repérer les lieux et fomenter son évasion. Battue férocement, ses bourreaux ne soupçonnent pas son rôle éminent dans la lutte clandestine. Elle est incarcérée à la prison de la Roquette. Elle ne sait pas que la CGT vient de se réunifier. Tout juste perçoit-elle le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie. En août, Paris se dresse de barricades et la 2ème DB fonce sur la capitale. Après les cheminots en grève insurrectionnelle, les PTT de la région parisienne sont immobilisées et gardés par des résistants armés.

Ce même jour, Marie Couette et 34 autres résistantes sont libérées par un groupe FTPF du 11ème arrondissement. La libération de Paris n’est pas achevée et Marie Couette est chargée de la responsabilité de la rive gauche, dans la grève insurrectionnelle des PTT. Le 21 août, elle prononce un discours devant les grévistes de Paris-Chèques, son ancienne résidence d’emploi avant le 20 octobre 1939 ; elle fait voter le rejet de la trêve que certains résistants gaullistes voudraient signer avec l’occupant. Le 24 août, le premier char de la France libre pénètre dans Paris.

A l’Assemblée consultative provisoire 

Le 17 septembre 1943, une Assemblée consultative est instituée à Alger. Elle est chargée de représenter « une expression aussi large que possible » des partis politiques et syndicats luttant pour la libération du pays. Parlement de la France libre, elle sera dissoute après avoir préparé les élections à l’Assemblée constituante du 2I octobre 1945.

Elle siège, dans Paris libéré, du 7 novembre 1944 au 3 août 1945. 248 délégués la composent. 12 délégués sont dévolus à la CGT, dont Marie Couette. Au total, 13 femmes sont présentes dans les rangs de l’Assemblée consultative provisoire.

Jusqu’au 3 août 1945, Marie Couette est secrétaire de la commission du Travail et des Affaires sociales, présidée par le communiste Ambroise Croizat.

D’entrée, elle intervient sur les droits des femmes au travail et dans la société. Le 28 décembre 1945, elle déclare devant cette assemblée à majorité masculine : « Vous avez fait des femmes citoyennes, vous devez continuer ce que vous avez commencé, en apportant une légère modification à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui devrait s’exprimer ainsi : les hommes et les femmes naissent libres et égaux en droit, tant sur le plan travail que dans la vie familiale et sociale. […] Il faut maintenant donner aux femmes les droits et les libertés que possèdent les hommes. Qu’on leur ouvre plus grandes les portes de tous les emplois. Qu’on leur fasse largement confiance. »Et dès que le gouvernement provisoire institue une commission sur les salaires pour les réexaminer, elle déclare : « Les femmes qui ont lutté à côté des hommes, par tous les moyens en leur possession, pour la libération du territoire, n’acceptent plus d’être des travailleuses au rabais, des citoyennes diminuées. […] Les salaires spécifiquement féminins doivent disparaître des conventions collectives pour être intégrés dans l’échelle générale des salaires, établis selon la seule qualification du travailleur. »

Demain, la suite de cette chronique sur Marie Couette.

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