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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Une petite histoire pour mes amis

Ecoutez cette histoire que je vais vous conter. C'est la mienne et jusqu'au plus loin de mes recherches généalogiques, aucun notable dans le plus petit des bourgs en Espagne ou en France parmi mes ancêtres.

Journaliers agricoles analphabètes jusqu'au début du 20e siècle, puis chassés du labeur des champs par la mécanisation, pour beaucoup, ils endossèrent le bleu de travail de la classe ouvrière.

Je suis donc né en 1950 à Narbonne, de mon père ouvrier tonnelier et de ma mère femme au foyer. En vérité, ma génitrice s'escrimait au noir dans les maisons bourgeoises du quartier ou comme saisonnière dans les propriétés agricoles du Narbonnais. Mon père arrondissait également les fins de mois toujours difficiles en pêchant, pour remplir notre garde-manger, surtout pour revendre ses poissons à des restaurateurs du cru, toujours sous le manteau.

Je suis né au premier étage dans une ancienne maison de maître, rue Viollet-le-Duc, que ses propriétaires avaient découpé en logements ouvriers sur trois étages. A cette époque, les femmes enfantaient chez elles, l'hôpital considéré comme un mouroir pour indigents ou vieillards et la clinique privée narbonnaise réservée aux parturientes de la bourgeoisie.

Pas d'eau chaude sur la pierre grise de l'évier et une bassine pour la toilette. Pas de chauffage central non plus. L'hiver, dans les chambres glacées, on enflammait de l'alcool à brûler dans des assiettes en ferraille, avant de se coucher avec nos chemises et nos chaussettes pour ne pas s'écorcher les pieds sur la brique réchauffée sur le fourneau de notre cuisinière antédiluvienne, éteinte chaque soir pour ne pas risquer l'asphyxie. Et des WC à la turque au rez-de-chaussée pour tout l'immeuble. Deux maladies infectieuses durant mon enfance dont la typhoïde, mortelle à cette époque et dont j'ai réchappé.

Je suis allé à l'école publique Elisée Reclus, le fils de nos propriétaires à celle élitiste des curés, parce que chacun ne nait pas égal en droit avec son voisin.

Mon père n'exerça pas longtemps son métier de tonnelier. La tonnellerie le licencia, pour se délocaliser en Roussillon plus prolifique pour le profit de son patron. Alors, s'ensuivirent des périodes de chômage, entrecoupées de petits boulots, toujours dangereux et mal-rémunérés. Jusqu'à dénicher un cdi comme ouvrier posté en 3x8 dans une usine chimique à Port-la-Nouvelle. Il décéda en 1981, à la porte de son entreprise, ce que personne ne reconnaitra en accident du travail.

Après mon service militaire dans les Vosges, puis dans les Alpes, entre de petits boulots et le chômage endémique dans l'Aude, je me résolus à m'exiler en région parisienne, pour le dépôt SNCF de Mantes-la-Jolie. On était toujours dans ces années dites des "30 glorieuses" tant chantées par les zélateurs du capitalisme et aussi par quelques autres. Dans le dépôt, peu de cheminots du cru, mais une très forte proportion d'expatriés du Midi ou de Bretagne. Et 96 repos par an, pas toujours un dimanche, alors qu'une année dénombre 52 samedis et 52 dimanches. Et des périodes de travail parfois de 7 jours.

Mon grand-père maternel, qui franchit les Pyrénées, pour être exploité comme ouvrier viticole à Narbonne, me disait qu'un immigré meurt plusieurs fois dans sa vie: lorsqu'il quitte sa terre natale; en rêvant chaque nuit d'y revenir pour reconstruire sa vie; enfin, parce qu'il n'y retournera jamais plus.

J'arrête-là ma prose.

Pour autant, je remercie Emmanuel Macron. Jusqu'à ce jour, je n'avais pas compris que j'avais vécu dans une ère d'abondance et d'insouciance.

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