Gabriel Roulleau: un communiste interné à Aincourt
Le 5 octobre 1940, Max Chevalier, préfet pétainiste de Seine-et-Oise, réquisitionne le sanatorium d'Aincourt, vidé de ses malades et soignants devant l'offensive allemande en région parisienne. Sans que les autorités hitlériennes n'en fassent la demande, il va transformer cet établissement sanitaire le plus moderne en Europe en sinistre lieu d'internement et en antichambre de la mort. La collaboration active avec l'Allemagne nazie débute, quand Pétain, Chef de l'Etat français, n'a pas encore rencontré Hitler à Montoire pour collaborer effectivement avec le régime nazi, le 24 octobre 1940.
Chaque premier samedi d'octobre, une commémoration patriotique se déroule à Aincourt, maintenant dans le Val-d'Oise, en limites avec les Yvelines.
Le camp d'internement, dit "centre de séjour surveillé", par les autorités vichyssoise, est le premier à s'ouvrir en France occupée. Sous la férule du préfet de Seine-et-Oise, il est dirigé par le commissaire Andrew, des Renseignements généraux, et gardé exclusivement par des gendarmes français dont l'armement a été fourni par l'armée allemande.
Lorsque j'ai entrepris des recherches aux AD des Yvelines pour écrire Aincourt le camp oublié paru aux Temps des cerises, je pensais que des gaullistes avaient été internés de prime abord dans ce camp, puisque l'Appel du général de Gaulle contre l'Allemagne nazie et la collaboration pétainiste datait du 18 juin 1940. Or Aincourt ne va emprisonner que des communistes ou supposés l'être, en fonction des fiches émises par les Renseignements généraux d'avant-guerre.
Voici l'histoire de Gabriel Roulleau, habitant Mantes-la-Jolie, père de trois enfants, métallo de métier qui y fut emprisonné derrière des barbelés. Démobilisé après l'armistice du 22 juin 1940, il a rejoint sa famille. Malgré qu'il fut soldat, il est toujours fiché comme dirigeant communiste.
Juste avant la déclaration de guerre de la France contre l'Allemagne, il a été déchu de son titre de président du Conseil de prud'hommes de Mantes par la IIIe République. L'Union locale CGT a été également dissoute par les mêmes autorités. Il en était le secrétaire général. Toujours par ce même gouvernement, puisque fidèle au PCF devenu interdit, il se retrouve assigné à résidence après sa démobilisation dans son appartement. De ce fait, il ne retrouve plus son emploi. Mais quel patron du cru aurait embauché un ouvrier aussi marqué politiquement en ces années noires qui débutent pour notre pays?
Gabriel Roulleau, devant la Bourse du Travail en 1937 (assis, 2e à partir de la droite) au sein du bureau de l'Union locale CGT composé de 5 ex-unitaires et de 4 ex-confédérés,quant la CGT s'était réunifiée en 1936.
Mais le 30 septembre 1938, les accords de Munich donnent toute satisfaction à Hitler, ce que seuls réprouvent le PCF et les communistes de la CGT. La fracture s'agrandit au sein de la confédération. Et en novembre 1938, à son congrès national, l'on s'en prend ouvertement aux cégétistes communistes, cela avec l'appui de dirigeants nationaux.
Divisée, la CGT lance une grève générale de 24 heures contre les décrets-lois Daladier. Mais sans manifestation ni rassemblement ni occupation d'usines, dit le communiqué confédéral. La grève est un échec retentissant et la police arrête Gabriel Roulleau pour l'interroger sévèrement.
1939, la guerre approche. Ultime tentative contre les forces de l'Axe (Allemagne-Italie et bientôt Japon) qui veulent agrandir leur "espace vital", une alliance militaire avec l'URSS que soutient le PCF. Mais les discussions engagées lanternent et rien de concret à l'été 1939. L'Union soviétique est attaquée par le Japon sur sa frontière orientale. Alors, en août 1939, c'est le traité de non-agression germano-soviétque qui induit un tollé général à l'encontre du PCF; Il va être interdit en septembre, bien que ses parlementaires aient voté la rallonge de 60 milliards de francs au budget militaire.
Un métallo résistant.
Après l'armistice en juin 1940, Gabriel Roulleau n'est pas le seul à être rendu à la vie civile. Louis Racaud revient aussi dans sa ville natale, après avoir été prisonnier de guerre en Allemagne. Les nazis ont besoin des chemins de fer pour faire circuler leurs troupes, transporter les matériaux nécessaires à leur économie de guerre, avant d'entamer la déportation d'êtres humains par le rail. Louis Racaud, ajusteur au dépôt de Mantes, embarque donc à bord des locomotives.
Louis Racaud et Gabriel Roulleau se connaissent. Communistes, ils étaient aussi adhérents de la CGTU. Ils se rencontrent discrètement le 26 août 1940 avec Robert Dubois et Robert Le Maoût, eux aussi anciens de la CGTU et adhérents du PCF. C'est le premier embryon de résistance dans la région mantaise. Pas d'arme à leur disposition, que de l'outillage pour saboter quelques lignes téléphoniques, mais surtout la Ronéo et du papier subtilisés dans la Bourse du travail avant qu'elle ne soit dissoute et chassée de ses locaux; un policier sympathisant avait prévenu Gabriel Roulleau de l'imminence de la chose.
A cette époque le PCF est clandestin, éclaté, quand certains ne l'ont pas quitté aux lendemains du pacte germano-soviétique. Les quatre Mantais n'ont rien renié; ils ont une double foi: combattre l'occupant nazi et garder confiance en l'URSS, la patrie qui construit le socialisme. Des premiers tracts circulent dans la région; des meules de foin pour l'armée allemande flambent en campagne et 600 quintaux de farine brûlent dans les Moulins de Mantes; des lignes téléphoniques sont aussi sabotées. Un rapport de police à l'été 1940, conservé aux Archives départementales de l'ex-Seine-et-Oise, atteste que de la propagande communiste a été découverte à Limay. Et suite aux cisaillement de lignes téléphoniques, la Feldkommandantur de Seine-et-Oise ordonne à la mairie de Mantes de faire paraître un avis à la population condamnant ces actes de sabotages.
A l'occasion du 14 juillet 1941, un nouveau tract est découvert dans Mantes. Aussitôt, le décret du préfet s'applique de droit sur les communistes fichés antérieurement par la police. Déjà en résidence surveillé, Gabriel roulleau rejoint le camp de séjour surveillé d'Aincourt à l'usage exclusif des communistes de la région parisienne. Aincourt, centre de tri vers d'autres prisons, le peloton d'exécution ou la déportation dont peu survécurent. Aincourt, camp oublié de la mémoire collective. Des internés y furent pourtant désignés comme otages par l'administration française et remis aux Allemands: 7 furent fusillés au Mont-Valérien, de nombreux autres envoyés dans les camps de la mort nazis.
Ils sont 670 hommes à s'entasser dans une surface habitable prévue pour 200 malades; le réfectoire sert de dortoir aux moins de 25 ans; les autres occupent à plusieurs les chambres de l'ancien établissement sanitaire. Jour et nuit, ils sont derrière des barbelés sous la surveillance de 12 guérites et de miradors armés de fusils-mitrailleurs points vers l'intérieur du camp; au départ, les gendarmes français ne détenaient que des revolvers, mais le préfet de Seine-et-Oise a obtenu des Allemands tout l'armement et les munitions nécessaires. Le règlement du camp et les sanctions sont plus sévères que dans une prison normale, révèle un rapport.
Dans le camp, Gabriel Roulleau ne renie pas son engagement politique. Les enquêtes diligentées fréquemment par le directeur sur les internés le dénombrent comme "communiste dangereux". En effet, le PCF se réorganise dans le centre d'internement et agit: journal clandestin écrit à la main; mouvements de grève; action à des dates spécifiques comme la célébration du 1er mai ou l'anniversaire de la Commune de Paris. Pour briser cela, l'administration transfère les internés qu'elle juge dangereux vers d'autres camps: Châteaubriant, Voves, Rouillé, Compiègne, Fontevrault...
Gabriel Roulleau est du transfert pour Rouillé le 6 septembre 1941. La fiche de police qui l'accompagne dit: "interné en vertu d'un arrêté du préfet de Seine-et-Oise en date du 7 août 1941. Secrétaire appointé de l'Union locale des Syndicats de la région mantaise. Secrétaire du Syndicat des métaux et propagandiste communiste. Était considéré comme le chef du mouvement communiste de la région de Mantes. Avant son internement, avait été astreint à la résidence obligatoire dans sa localité. Au camp d'Aincourt, ne s'est pas désolidarisé des doctrines moscoutaires".
Les 150 internés ont été réveillés individuellement à 3h 30 du matin pour ne pas fomenter une quelconque révolte. On les fouille au corps et on dérange leurs maigres affaires avant le départ. Dans ce transfert, il y a un gendarme pour trois internés.
Camp de Rouillé dans lequel est conduit Gabriel Roulleau
Il en repart pour celui de Pithivers, car l'administration pénitentiaire veut briser cette résistance à Vichy et aux Allemands que s'y fait jour aussi. L'ouvrier en fonderie tombe gravement malade dans ce dernier camp. A l'infirmerie, il est tabassé à mort par la Milice et laissé pour tel sur un grabat. il échappe ainsi au dernier convoi de la mort pour l'enfer concentrationnaire nazi.
Nous sommes en 1944 et le camp est libéré par la Résistance Française et des soldats alliés qui étaient tous proches. Gabriel Roulleau retrouve sa femme et ses trois enfants à Mantes, ainsi que Louis Racaud devenu l'un des responsables régionaux de la Résistance communiste.
En septembre, sous la signature de Gabriel Roulleau, l'Union locale CGT avise dans la presse libre qu'elle a repris ses activités à la Bourse du travail. Elle demande aux autorités de la Libération l'application stricte des conventions collectives établies en 1936, la défense des salaires et le paiement des journées insurrectionnelles de grève.
Gabriel Roulleau est élu conseiller municipal communiste aux élections de 1946 et retrouve son siège de conseiller prud'homme.
Lire également dans mon blog:
Le camp d'internement d'Aincourt - Le blog de Roger Colombier
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