L'indifférence de la France au sort des Tsiganes français
Le président de la République a tenu dernièrement à reconnaître la responsabilité de la France dans l'internement de milliers de Tsiganes, femmes, hommes et enfants, dans des camps, gardés par des gendarmes français, durant l'occupation nazie et sous le régime pétainiste de Vichy. Sauf que les persécutions à leur encontre ne datent pas de cette période noire et que sous certaines formes, elles demeurent encore de nos jours, notamment avec le livret de circulation, obligation légale à laquelle sont assujettis ceux dénommés "Gens du voyage".
Leur présence attestée dans notre pays remonte au 15e siècle. On les dénomme "Egyptiens" pour leur signifier qu'ils sont à part, marginaux et étrangers. Le premier document répertorié faisant état de "Tsiganes" date de 1419 et provient de la ville de Chatillon sur Chalaronne. Dans un premier temps, ils sont acceptés par les autorités et la population. Certains se mettent au service de la noblesse pour leurs talents militaires ou artistiques. Mais dès le 16e siècle, les rois cherchent à les contrôler, ou à les assimiler de force, ou à les expulser.
À partir des années 1600, mais surtout de la deuxième moitié du 17e siècle, le destin de la diffuse "nation bohémienne" bascule carrément. On assiste à une montée des comportements hostiles et, avec elle, à l’établissement rigoureux et constant de sanctions effectives. L'ordonnance royale de juillet 1682, voulue par Colbert et signée de Louis XIV, s'élève "contre les Bohèmes et ceux qui leur donnent retraite": les hommes sont arrêtés et conduits aux galères en dehors de tout délit de leur part; les femmes sont séparées de leurs maris et tondues et si elles continuent leur vie de bohémienne, bannies; les enfants sont conduits dans les Hôtels-Dieu pour y recevoir une éducation catholique.
Au 18e siècle, ils sont assimilés aux vagabonds et autres mendiants. L'ordonnance de 1764 leur impose de se "choisir un domicile fixe et certain et de s’y occuper de quelque métier ou travail". Un certain nombre se sédentarise, au moins une partie de l’année, ou adoptent des occupations tels que forains, bateleurs, maquignons ou travailleurs saisonniers.
Le 19e siècle ne leur sera pas plus favorable. Bonaparte, premier Consul, fait rafler les Tsiganes des Hautes-Pyrénées dans la nuit du 6 au 7 décembre 1802: Femmes et enfants sont dirigés vers différents dépôts de mendicité partout en France, jeunes gens et hommes employés à de grands travaux pour les canaux d’Arles et d’Aigues-Mortes et pour la confection des routes dans les départements des Hautes-Alpes et de Savoie.
La République française n'est pas pour autant plus fraternelle. Arrive "la surveillance et le fichage des nomades" par les Brigades régionales de police mobile, créées en 1907 à l’initiative de Georges Clemenceau. S'ensuit la loi du 16 juillet 1912 et le port obligatoire du carnet anthropométrique d’identité, à partir de 13 ans, à faire viser à l'arrivée et au départ de chaque commune, sous peine de prison.
Ci-dessus enfants "nomades" de 13 ans révolus.
En date du 3 août 1908, Le Petit Parisien, qualifiait les Tsiganes de "peuple néfaste". Il suggère qu’on sévisse contre ces "parasites outrecuidants", ces "rongeurs" qui "infectent notre territoire".
Durant la Première Guerre mondiale, Les "Romanichels" français d'Alsace et de Lorraine sont déportés dans 75 camps spécialement créés, le plus souvent dans le sud de la France. Familles séparées, nourriture rationnée, pas de carreau aux fenêtres des baraquements, l'enfer ne cesse qu'avec le traité de paix signé à Versailles en 1919.
Dès le mois de septembre 1939, les Tsiganes subissent les conséquences de la guerre. Alors que certains d’entre eux ont été mobilisés et envoyés sur le front, les "nomades", définis par la loi de 1912, sont interdits de séjour en Indre-et-Loire et ne peuvent plus circuler librement dans l’ouest de la France.
Le 6 avril 1940, Albert Lebrun, président de la 3e République, promulgue ces dispositions à l’ensemble du territoire métropolitain. Est interdite la circulation des nomades pendant toute la durée de la guerre au motif suivant : "Les incessants déplacements des nomades leur permettent de surprendre des mouvements de troupes, des stationnements d’unités, des emplacements de dispositifs de défense, renseignement, importants qu’ils sont susceptibles de communiquer à des agents ennemis. " En outre, ils sont astreints à résidence sous la surveillance de la police.
Après la défaite, les Allemands ordonnent début octobre 1940 que les nomades de la zone occupée soient internés dans des camps. Les nomades vivant en zone libre restent assignés à résidence ou internés dans plusieurs camps. Ce sont les autorités françaises qui administrent les trente camps où séjournent plus de 6 000 Tsiganes, internés par familles entières. Les enfants représentent 30 à 40 % de la population internée. Camps toujours insalubres, non chauffés, à la nourriture rationnée et manquant de couvertures et de vêtements. A partir de 13 ans, les hommes sont astreints au travail forcé chez les paysans ou les industriels du coin. Les enfants reçoivent une éducation catholique, toujours dans le sens de leur imposer une société sédentaire. Certains Tsiganes sont déportés vers les camps nazis de la mort comme à Poitiers.
Bien que la France soit libérée de l'occupation nazie et du gouvernement collaborationniste pétainiste à l'automne 1944, ce n'est que le 1er juin 1946 qu'advient la fermeture du camp des Alliers en Charente. Les derniers Tsiganes internés en France sont renvoyés dans la nature. En effet, l'ensemble des Tsiganes a été dépossédé de ses biens et jusqu'à ce jour, sans aucune indemnisation de l'Etat.
Pire, une circulaire du 24 juillet 1946 invite les communes à séparer les "bons" Tsiganes, sédentarisés, des "mauvais" qui ne le sont pas.
En France, encore aujourd'hui, les nomades sont tenus de posséder un livret de circulation pour les plus de 16 ans. Et combien de collectivités territoriales respectent la réglementation pour les aires dites d'accueil qui leur sont réservés?
Si le Parlement européen commémore le "génocide des Roms par les nazis", le 2 février 2011, ces populations sont ouvertement persécutés dans des états de l'UE, comme en Hongrie ou en Roumanie.
En septembre 2013, Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur de François Hollande, considère que "seule une minorité" a vocation pour s'intégrer, parce que ces popultations ont "des modes de vie extrêmement différents des nôtres et sont évidemment en contradiction."
De toute cela, François Hollande, président de la République, n'en a pas parlé dernièrement sur les lieux où se tenait le camp de Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire. Si cela vous étonne, écrivez-moi.