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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Dans Rue89 du 16 juin 2014: Hanine Zoabi, députée palestinienne à la Knesset, le Parlement israélien, représentant le parti arabe Balad, était de passage à Bordeaux pour une conférence sur la Palestine. Quatre ans après l’épisode du Mavi Marmara, le bateau turc de la flottille qui a voulu briser le blocus de Gaza en 2010, elle n’a rien perdu de son engagement pour la cause palestinienne.

Il a fallu lui demandé plusieurs fois de parler moins fort dans ce café de Bordeaux où les clients étaient surpris, agacés même, de voir cette petite femme s’emporter. « Vos questions abordent mes raisons de vivre ! » dit-elle avec un sourire apaisant qui efface le regard noir qui accompagne parfois ses inquiétudes.

Hanine Zoabi était à bord du Mavi Marmara. Abordé le 31 mai 2010 par l’assaut des commandos israéliens, l’opération a coûté la vie à dix militants (le dernier vient de décéder récemment de ses blessures).

La droite et l’extrême droite israéliennes ont voulu la juger pour « terrorisme », pour « trahison », et ont multiplié à son encontre motions, votes, recours en justice, violences verbale et physique, menaces de mort…

« Casse-toi d’ici ! Va à Gaza, sale traître, et là-bas tu verras ce qu’ils font d’une célibataire de 38 ans ! » C’est avec un arabe approximatif que Miri Reguev, députée d’extrême droite, insulte Hanine Zoabi dans l’enceinte de la Knesset. Anastassia Michaeli, une députée d’extrême droite immigrée d’origine russe s’en prend physiquement à la députée arabe qui, imperturbable, poursuivit son intervention à la tribune parlementaire.

Quatre plus tard, nous avons voulu savoir quelle était la situation de la député palestinienne à peine quarantenaire. Entretien (la rencontre a eu lieu avant l’annonce du kidnapping de trois adolescents israéliens en Cisjordanie, qui crée une nouvelle situation de crise entre Israël et l’Autorité palestinienne).

Rue89 : Quelle est votre situation aujourd’hui ?

Hanine Zoabi : La Cour suprême a invalidé l’interdiction de me présenter aux élections de janvier 2013, donc me revoilà élue. J’ai récupéré mon passeport diplomatique, ce qui me permet d’être aujourd’hui en France.

Mais il reste une rancœur que je rencontre au quotidien, dans les restaurants et les magasins où les Israéliens s’offusquent de me voir, m’agressent et demandent à ce que je ne sois pas servie par exemple.

Mes ennemis politiques n’ont pas changé. Ils le restent ! Sauf qu’Anastassia Michaeli n’est plus là, moi si.

C’est un geste fort et positif des autorités israéliennes de vous redonner vos droits civiques, alors ?

Je suis l’exemple parfait que l’Etat israélien veut utiliser pour démentir mes affirmations et mes déclarations sur l’absence de démocratie. Je suis en quelque sorte instrumentalisée comme toute la représentation politique arabe au sein de la Knesset.

Nous n’y avons aucun pouvoir de décision. Nous sommes là pour la représentation et nous ne sommes pas écoutés. Nous sommes là pour qu’Israël puisse dire : « Vous voyez, je fais de la place aux Arabes israéliens. »

Or, c’est un Etat qui veut d’abord être un Etat juif pour le peuple juif. La démocratie est incompatible dans ce cas et l’avenir des Arabes israéliens loin d’être certain. Il faut, pour que leur discours soit vrai, que l’Etat se déclare laïque et il deviendra ainsi démocratique.

Dans ces conditions, qu’est-ce qui vous emmène à faire partie des institutions ? N’est-ce pas une façon de reconnaître l’Etat d’Israël tel qu’il est, et donc de vous attirer la méfiance des Palestiniens ?

Il ne faut pas voir les choses sous cet angle. J’y suis pour me faire entendre et m’exprimer sur le sort du peuple palestinien. De cette manière, je choisis la confrontation politique pour la résistance et non pas la clandestinité.

Quand on débaptise des villages, des places et des rues de leurs noms arabes pour leurs donner des noms israéliens, nous sommes là pour nous insurger. Quand ils votent des lois racistes – il y en a 50 aujourd’hui –, nous sommes là pour les dénoncer. C’est notre opposition, notre lutte.

Je rappelle tous les jours les conditions de vie des Palestiniens. Si nous, les députés arabes, ne le faisons pas, qui le fera ? Les pays européens et les Etats-Unis ? !

Pour ces derniers, un problème leur fait oublier le précédent. Ils ont la mémoire courte ! Depuis 1948, ils réagissent sur l’actualité. Une extension de la colonisation leur fait oublier le massacre d’avant. Une déclaration leur fait oublier l’extension de la colonisation et ainsi de suite. De telle manière que l’occupation progresse inexorablement.

La dernière médiation américaine du secrétaire d’Etat John Kerry s’est soldée par un échec. Vous en avez l’explication ?

Vous vous trompez. Les Américains ont réussi leur opération, qui n’était ni plus ni moins que l’échec. Ils ont réussi l’échec car c’est ce qu’ils voulaient.

Pendant les négociations de paix, de juillet 2013 à avril 2014, 61 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, 1 054 ont été blessés, 3 674 ont été arrêtés ; 675 attaques de colons ont été recensées contre des biens palestiniens ; la construction de 13 851 logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est a été approuvée en même temps que la création d’une nouvelle colonie à Hébron, une première en trente ans !

Si on veut négocier une paix, on ne continue pas à entretenir toutes ses formes d’agression. Les Israéliens et les Américains le savent très bien. Donc, ces médiations sont forcément à l’échec.

D’un autre côté, tous les projets de construction palestiniens ont été gelés dans les 60% de la Cisjordanie occupée sous contrôle total de l’Etat israélien ; l’aide humanitaire internationale, y compris celle de l’Union européenne, a été entravée ; le blocus de Gaza a été renforcé.

Vous ne croyez donc à une volonté extérieure en faveur des Palestiniens ?

Premièrement, Israël ne peut pas accepter la volonté extérieure. Car son gouvernement se justifie en prenant pour exemple les pays occidentaux.

La France et ses intérêts sont menacés, elle intervient militairement. Donc, c’est dans la logique des choses qu’Israël intervienne militairement et de façon disproportionnée contre les Palestiniens. Une façon de dire : « Je suis un pays démocratique et, comme vous, je défend mes intérêts. »

Les Etats-Unis ont créé Guantanamo pour lutter contre le terrorisme. Donc, la aussi, Israël se donne le droit d’enlever des Palestiniens, de les torturer, de les juger et de les emprisonner, faisant valoir qu’elle agit pour sa sécurité. Là aussi : « Je suis comme vous, un pays démocratique qui lutte contre le terrorisme. »

Deuxièmement, il ne faut pas croire que les pays occidentaux affichent de bonnes volontés pour venir en aide au peuple palestinien.

Dans leurs discours, ils évoquent le sort de Gaza et de la Cisjordanie. Mais des Palestiniens, il y en a sur tout le territoire, entre « la mer et le fleuve » [le Jourdain à l’est et la Méditerranée à l’ouest, ndlr]. On oublie donc ceux de Jaffa, de Nazareth et de Jérusalem ? On oublie les Bédouins du Neguev contre qui il y a actuellement une opération de dépossession des terres ?

Que peut-on espérer alors ? La réconciliation annoncée entre le Fatah et le Hamas ?

C’est évidemment mieux que le conflit mais cela ne suffit pas. Il faut que les autorités palestiniennes s’entendent sur un projet unique. Il faut qu’elles le portent avec la même volonté commune. Et quand on sait combien de temps prennent les choses pour être réalisées, il faut être derrière tout le temps et longtemps.

On se doit d’afficher une union politique et stratégique. On se doit d’être sérieux et intransigeant sur l’avenir qu’on veut offrir à notre peuple.

A côté de votre combat politique, vous vous battez pour les droits de la femme…

Ce n’est pas un combat « à côté » de mon combat politique. Il en fait partie intégrante. Ces deux batailles n’en forment en réalité qu’une seule.

La place de la femme dépend de l’éducation et de la société. Or, chez le peuple palestinien, l’oppression empêche l’émancipation de la société, l’installation de la modernité et tout ce qui va avec : éducation, égalité, culture…

De plus, comme notre société subit cette oppression au quotidien, elle ne fait pas son autocritique, indispensable à l’égalité homme/femme. Il faut nous donner les moyens de moderniser la société et avant tout, nous donner les moyens de vivre en paix et d’une autonomie, donc d’un Etat souverain.

Hanine Zoabi, députée arabe en Israël

Hanine Zoabi, à Bordeaux le 12 juin 2014 (Walid Salem/Rue89 Bordeaux)

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