Première Guerre mondiale: ouvrières en grève et mutineries au front
L'hiver 1916-1917, très rude, marque aussi un tournant dans le déroulement de la Grande Guerre. Le quotidien se résume ainsi: un quart de la France envahi, une situation économique catastrophique, le rationnement et des prix qui flambent. Sur le front, aucun des belligérants n'a réussi à arracher un avantage significatif. Comme la saignée des soldats français est importante (31 000 tués en moyenne chaque mois), pour combler les vides, dès 1916, on a fait appel à la classe 17, puis à la classe 18. Au début de 1917, des 3 600 000 soldats mobilisés, il ne reste plus que 964 000 qui ne sont ni tués ni blessés ni prisonniers.
Ouvrières en grève
En juillet 1915, dans la CGT, une fraction minoritaire, autour de Louise Saumoneau et Hélène Brion, et de Pierre Monatte, directeur du journal La Vie Ouvrière, forme un « Comité intersyndical d’action contre l’exploitation des femmes » ; cette instance encourage les ouvrières à se défendre, en particulier contre « l’avilissement des salaires ».
En effet, l'écart salarial entre homme et femme est de 20 à 30%. Mais les syndicats jugent les ouvrières pour partie négligeable, incapables d'une action revendicative. Et l'expression d'Alphonse Merrheim, secrétaire des métaux CGT, en décembre 1916, est significative de l'état d'esprit dans la CGT: "Quelle que soit l'issue de la guerre, l'emploi des femmes constitue un grave danger pour la classe ouvcrière. Lorsque les hommes reviendront du front, il leur faudra lutter contre ces dernières qui auront acquis une certaine habileté et toucheront des salaires différents. "
manifestation des midinettes
Ce sont donc les ouvrières qui, seules, déclenchent la première grève à Paris: 10 000 couturières grévistes. L’Humanité décrit ces milliers d’ouvrières, derrière leurs pancartes improvisées : « Les corsetières arborent fièrement une jarretelle en soie bleu ; une plume d’autruche indique le groupe des plumassières ; les employées de banque ont collé sur un carton l’affiche du dernier emprunt. […] Nos vingt sous ! La semaine anglaise ! Rendez-nous nos poilus, scandent les manifestants. On voit les cochers de fiacre et les chauffeurs de taxi faire monter les grévistes pour les amener à la Grange-aux-Belles, le siège de la CGT, qui n’a jamais tant mérité son nom. Des soldats en permission accompagnent leurs petites amies et les gars du bâtiment descendent de leur échafaudage pour applaudir ces jolies filles. »
La Grange-aux-Belles. Paris
Concernant les munitionnettes, celles-ci vont entraîner des hommes dans leurs luttes.
Les câbles tenus secrets de l’Armée au gouvernement sont parlants. Extraits : « 13 mai 1917. Gouverneur militaire Lyon. Les ouvrières chargement cartoucherie Valence au nombre de 950 ont pris prétexte hier soir d’une modification tarifs salaires pour cesser travail et rester bras croisés dans ateliers. En présence de cette attitude, directeur les a autorisées à sortir à minuit 30. Sortie s’est effectuée tranquillement mais groupement s’est formé plus loin et manifestation comprenant environ 500 femmes s’est produite rue Valence. Actuellement grève continue. Femmes des autres ateliers en tout 2 500 ont cessé travail moins par esprit de solidarité que par crainte des grévistes. Après-midi cortège s’est formé sans violences et autre incident.
Directeur aidé du syndicat s’efforce de faire reprendre travail. Mais ce soir n’ayant pas encore abouti, personnel avisé par affiche que ateliers chargements et fabrications fermés jusqu’à nouvel ordre ainsi que autres ateliers de femmes. Hommes continuent travail dans mesure possible. La grève a pour prétexte des questions salaires mais en réalité pour cause de lassitude, énervement, difficultés de vie, privations notamment de charbon et en général mauvais esprit continue à régner chez personnel féminin. »
« Rennes. 5 juin 1917. Préfet Ille et Vilaine à Intérieur. Suis informé qu’un mouvement ouvrier se prépare à l’arsenal de Rennes où deux à trois mille femmes vont quitter travail demandant modification des salaires. »
« Rennes. 6 juin 1917. Préfet à Intérieur et Sous-secrétaire d’État Munitions Paris. Grève des ouvrières de l’Arsenal annoncée hier continue en s’accentuant.
Elle s’est étendue au personnel masculin de cet établissement et ce matin seuls les ouvriers mobilisés ont repris le travail.
Toute la matinée, des cortèges de femmes ont parcouru la ville essayant de débaucher les ouvrières des différents établissements travaillant pour la guerre. Des cris de « A bas la guerre » sont poussés par une bande de femmes et de jeunes gens malgré le poste militaire trop faible ; dans cette usine 250 femmes ont été débauchées.
A la fonderie THAU un cortège de femmes a également forcé la porte, une centaine de femmes ont été débauchées.
Toutes ces manifestations débordent le syndicat de l’Arsenal qui déclare avoir été surpris par cette grève et essaie de l’organiser dans le sens de la modération. […] Vais m’entretenir avec Président du syndicat et secrétaire Bourse du Travail pour obtenir leur concours et leur exposer de maintenir au mouvement le caractère de revendications corporatives faute de quoi l’autorité ne pourrait continuer aux manifestants la confiance et l’indulgence accorés jusqu’ici. […]
Importante réunion grévistes aura lieu aujourd’hui à 16 heures pour entendre direction arsenal aux réclamations soumises ce matin 11 heures. »
La censure postale envoie à la 5e division d’infanterie cette lettre, interceptée le 5 juin 1917, d'une munitionnette, à son fiancé sur le front : « J’approuve les poilus qui ne veulent plus rien savoir de la guerre. A Paris, les grèves succèdent aux grèves et les poilus permissionnaires sont contents ». Et elle lui écrit la chanson entonnée dans les manifestations : « Et l’on s’en fout/ On aura la semaine anglaise/ et l’on s’en fout/ on aura les vingt sous ! »
Durant l'année 1917, 694 grèves affectent l'économie de guerre; elles sont menées essentiellement par des femmes et des jeunes hommes.
Extraits tirés de mon livre Le travail des femmes autrefois aux éditions l'Harmattan
Mutineries au front
De nombreux historiens ont remarquablement écrit sur ce sujet. Alors, deux exemples pour mieux concevoir l'exaspération des soldats qui se sont battus au prix d'énormes sacrifices pour un mamelon ou un pan de mur.
A Verdun en 1916, lors des combats de la colline "Mort-Homme", 600 soldats tombent chaque minute.
Bataille de Verdun
En 1917, le général Nivelle engage une offensive générale sans préparation d'artillerie et sous une météo exécrable. Du 16 au 19 avril, 40 000 soldats périssent et plus de 80 000 sont blessés. Mais le général perdure dans la boucherie jusqu'au 20 mai: 271 000 hommes sont mis hors de combats pour 100 m de terrain gagné ou au plus 2 km.
Le Chemin des Dames, le chemin de la mort
121 régiments vont alors refuser d'obéir. La mutinerie gagne les unités au repos. 130 gares sont touchés par des exactions de permissionnaires.
Pétain remplace alors Nivelle et fait fusiller pour l'exemple: 412 condamnations à mort dont 55 exécutés, le reste commué en travaux forcés. 1 881 condamnations à des peines de prison supérieures à 5 ans, 1 492 à des peines inférieures. Sans compter des exécutions sommaires de la part d'officiers de carrière.
Pétain fait aussi interdire par le gouvernement toute propagande pacifiste et syndicale et renvoyer le préfet de police de Paris qui, selon lui, a laissé les grèves s'étendre dans la capitale.
40 000 à 100 000 mutins déclarés sont dénombrés. Mais ceux qui avaient approuvé et souhaité la révolte furent plus nombreux encore.