Des sans-papiers retenus et non détenus jugés aux portes de Roissy
Juger les sans-papiers près de Roissy: justice impartiale?
Par Laure Heinich-Luijer, avocate
Depuis lundi 14 octobre, les étrangers en situation irrégulière, maintenus au centre de rétention administratif (CRA) du Mesnil Amelot, sont jugés dans une annexe du tribunal de Meaux.
Dans un centre de rétention, on n’est pas « détenu », on est « retenu ». On peut recevoir des appels téléphoniques et même des visiteurs. Mais on ne peut pas en partir. Comme en prison, donc.
Plus proches de leur lieu d’expulsion
Jusqu’à présent, les « retenus » comparaissaient devant de « vraies » juridictions mais finalement, « à faux détenu, faux tribunal ». C’est donc une annexe spéciale pour expulser les étrangers qui a été implantée aux portes de l'aéroport de Roissy, à proximité des pistes d’avion et de la police aux frontières. Plus pratique, plus efficace, plus rentable : un tribunal dans l’air du temps.
Pour les défenseurs de ce projet, il ne faut pas s’y méprendre, l’annexe a été créée pour le bien des étrangers qui seront plus facilement conduit du CRA à leur lieu de jugement. Ce n’est pas du tout pour être plus proches de leur lieu d’expulsion et c’est un pur hasard s’il faut descendre à la station « aéroport Charles-de-Gaulle ».
Alors que la justice doit être impartiale et donner les apparences de l’impartialité, que dire d’un lieu à proximité de l’endroit où on est enfermé et de l’endroit par lequel on pourrait être sanctionné ?
C’est un peu comme si on avait jugé les accusés passibles de la peine de mort devant la guillotine. Au cas où.
Mais le droit serait respecté à la lettre car la salle d’audience serait « autonome » du CRA, comme l’ordonne la Cour de cassation depuis 2011. Une autonomie reliée par un couloir interne. Drôle de conception du respect de la loi.
Se jeter dans la gueule du loup
Quant à la sérénité du lieu, on est loin des palais de justice. Mais les palais sont manifestement réservés aux Français. Drôle d’interprétation aussi de ce que doit être une justice publique. Un endroit qui se trouve à mille lieues de toutes terres habitées est-il public dès lors que ses portes sont ouvertes ?
La défense d’un étranger en situation irrégulière nécessite que ses proches rapportent des pièces justifiant d’une famille en France ou de la durée de présence sur le territoire. On imagine que devoir aller à l’aéroport Charles-de-Gaulle équivaut pour ceux qui pourraient aider, mais qui sont eux-mêmes « irréguliers », à se jeter dans la gueule du loup et que cela va en refroidir plus d’un.
Entre deux eaux, Christiane Taubira dit que le lieu dans lequel est rendue la justice n’est pas anodin. On ne peut pas dire moins. Pour justifier cette délocalisation de la justice, la garde des Sceaux rappelle qu’elle n’est pas à l’origine du projet. Mais elle a peut-être le pouvoir de l’arrêter ? C’est comme pour les peines plancher ou la rétention de sureté : dix-huit mois de ministère socialiste, et rien n’a changé.
Source: Rue89
Efficace et pas cher, être jugé à Roissy: un projet de Hortefeux de l'Ump repris par Valls du Ps. Ne cherchez pas l'erreur, il n'y en a pas!