Balance justice

 

 

 

"Me René Merkt a été entendu deux fois par les juges. Il a révélé l’ampleur de la fraude fiscale des Bettencourt et évoqué le système des mises à disposition d’espèces.

Onze pages pour cinquante ans de secret. Le procès-verbal de René Merkt, avocat de profession mais présenté comme le "banquier suisse" de Liliane Bettencourt, se lit comme un long manuel de fraude fiscale. Dans ce document enregistré à Genève le 1er octobre 2010, l’avocat s’explique devant le juge suisse Jean-Bernard Schmid et le procureur de Nanterre, Philippe Courroye. Un mois après ce PV, le dossier Bettencourt était transféré à Bordeaux. Annexé désormais à la procédure instruite par le juge d’instruction Jean-Michel Gentil, ce texte a été complété depuis par une nouvelle audition de René Merkt. Il révèle aussi les relations tendues, de longue date, entre la mère et la fille Bettencourt, lève le voile sur le rôle du gendre, Jean-Pierre Meyers, et évoque pour la première fois le système de "compensations" mis en place par Patrice de Maistre. Depuis ces révélations, le fisc a estimé à 108 millions d’euros le montant de la fraude fiscale. Un record.

DE TRÈS VIEUX COMPTES

"Je connais la famille Schueller-Bettencourt de longue date, commence l’avocat. Mon père était déjà le conseil d’Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal." Pour René Merkt, depuis 1974, "l’interlocuteur actif" s’appelle André Bettencourt. Ami de François Mitterrand, ministre de De Gaulle et de Pompidou, le mari de Liliane Bettencourt avait repris la main sur la cagnotte suisse de la famille et "les avoirs déposés par Eugène Schueller auprès de la banque Pictet". Une cagnotte suisse aux lourds secrets… Soupçonné d’avoir financé la Cagoule et d’autres mouvements d’extrême droite sous l’Occupation, Eugène Schueller, le père de Liliane Bettencourt, a été blanchi à la libération, notamment sur intervention de François Mitterrand, qui sera embauché comme directeur du magazine Votre beauté

LE RÔLE DU GENDRE

L’argent du compte Pictet, au nom d’une société MayInvest, vient donc de loin. "J’avais la signature individuelle sur ce compte, ce qui était une marque de confiance, précise René Merkt. C’est les ayants droit du compte qui avaient un contact direct avec la banque, notamment Jean-Pierre Meyers, qui voyageait plus que les autres membres de la famille et qui avait notamment la confiance de la famille Bettencourt", glisse l’avocat. René Merkt confesse avoir eu des "contacts réguliers" avec "le gendre", à qui il "rendai[t] compte de sa gestion", et ce "jusqu’au début des années 1990". "Nos contacts se sont alors espacés du fait d’une apparente réticence de sa part", ajoute René Merkt. De son côté, Jean-Pierre Meyers dément formellement avoir été ayant droit, même s’il admet avoir eu connaissance de l’existence de ces fonds cachés en Suisse. L’autre compte suisse sur lequel René Merkt avait la signature, à la banque Anglo Irish, était au nom d’une société Noblesse Investment. Selon l’avocat, ce second compte a été alimenté "il y a fort longtemps par le produit d’une vente immobilière aux États-Unis" et contenait encore une dizaine de millions d’euros fin 2009…

L’ILE, "SANS SA FILLE"

René Merkt se rappelle avoir été appelé à Paris en 1997 par les époux Bettencourt. "André Bettencourt m’a salué de manière très enthousiaste et m’a expliqué qu’ils allaient 'faire une folie'. Il m’a montré un catalogue grand format de magnifiques photos d’une île dans l’océan Indien… J’ai appris qu’il s’agissait de l’île d’Arros. […] Les époux Bettencourt avaient décidé, avant de me consulter, d’acquérir l’île avec des fonds fiscalement non déclarés, logés en Suisse", avoue l’avocat, qui va se charger du montage – de l’ordre de 18 millions de dollars. René Merkt raconte aussi qu’en 2004 ou 2005 Liliane Bettencourt lui "intime l’ordre de ne plus parler de ses affaires aux membres de la famille". "C’était la première fois qu’elle me convoquait à Paris hors la présence d’André Bettencourt. Le but de la conversation était de me parler du futur de l’île d’Arros. […] Elle m’a dit que sa fille, Françoise, ne s’intéressait pas à l’île. Elle m’a également révélé que ses petits-fils ne s’y intéressaient pas non plus. Je me souviens même qu’elle m’a dit que l’un d’entre eux avait peur des moustiques. […] Elle était parfaitement claire sur le fait qu’elle ne souhaitait pas que sa fille, Françoise, hérite de l’île", certifie Merkt.

LE SYSTÈME DE "COMPENSATION"

Sa dernière rencontre avec la milliardaire remonte au 14 décembre 2009. "Notre entretien a duré une dizaine de minutes. Patrice de Maistre a dirigé la conversation. Il a indiqué à Liliane Bettencourt qu’il fallait transférer ses avoirs de Suisse vers Singapour. […] Elle m’a reconnu, m’a salué fort poliment et m’a dit que oui, je pouvais exécuter de telles instructions. Elle m’a paru lucide." René Merkt raconte aussi que Patrice de Maistre lui a demandé de "mettre à disposition de Liliane Bettencourt des fonds à Paris, par compensation". "Je n’ai jamais eu d’explication sur la destination de tels virements de fonds, précise-t-il. Les ordres m’étaient donnés de faire le nécessaire » pour Madame Bettencourt, dit-il pudiquement pour évoquer ces dépôts en liquide. Merkt assure n’avoir jamais porté d’espèces. « Je n’aurais d’ailleurs jamais accepté de le faire..." Ce n’est que récemment que le juge Gentil a mis en musique la réalité de ces "compensations" et les sept versements entre 2007 et 2009, pour 4 millions d’euros en liquide, qui valent aujourd’hui à Patrice de Maistre d’être incarcéré. Ces fonds, selon le juge Gentil, qui ne correspondent pas aux livres de caisse tenus par la comptable de la maison Bettencourt, qui gérait déjà quelque 100.000 euros par mois en liquide! Les sommes venues de Suisse étaient-elles destinées à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, comme le soupçonne le magistrat dans son ordonnance? L’Express, cette semaine, a révélé une mention "Nicolas Sarkozy", sur l’agenda de Liliane Bettencourt, à la date du 24 février 2007. Or, selon nos sources, le juge a également noté, sur l’agenda d’André Bettencourt cette fois, les initiales "NS", toujours à la date du 24 février.

"Tout cet argent a disparu et de Maistre doit s’expliquer, ce système de compensation n’a existé qu’avec lui", indique-t-on dans l’entourage des Meyers. Chez l’ancien homme de confiance, pour l’heure, on se refuse à tout commentaire. "Comme si de Maistre avait inventé ce système, c’est grotesque!", soupire un de ses proches. À la prison de Gradignan, en cellule individuelle, l’ancien bras droit de la milliardaire prépare sa prochaine audition. "Je ne veux pas réveiller le tigre qui dort", avait dit de Maistre à sa patronne, à l’automne 2009. Il ne savait pas, ce jour-là, qu’il était enregistré clandestinement. Et que, réveillé, le Tigre pouvait mordre si fort."

 

Note de ma pomme: C'est bien de fraude fiscale dont parle le JDD, délit commis par un fraudeur et non par un "exilé fiscal", ce dernier terme qu'une presse (aux ordres de qui?) emploie pour cacher la véritable faute. Cet article montre aussi la pièce importante que détient la Justice pour garder Patrick de Maistre en détention. Oui, le vieux monde du fric et de la politique ressort assez dans cette affaire, non?