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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Aujourd'hui, la Maison des syndicats est implantée dans la zone industrielle de Mantes-la-Ville, là où se trouvait autrefois l'usine La Cellophane.

Il n'en fut pas toujours ainsi et ces locaux syndicaux se dénommèrent longtemps Bourse du travail, assis sur le territoire de Mantes-la-Jolie depuis une délibération municipale du 20 juin 1908.

A cette époque, la municipalité dirigée par l'ancien syndicaliste Auguste Goust, par 17 voix pour, 7 contre et 1 abstention, accorde une subvention à l'Union fraternelle des syndicats ouvriers de l'arrondissement de Mantes dont il fut le président et créateur, "non seulement pour les locaux nécessaires aux réunions, mais aussi pour tout ce qui concerne l'organisation matérielle des bureaux".

D'abord rue du faubourg Saint-Lazare.

La première Bourse du travail va occuper tout le rez-de-chaussée de l'ancien couvent des Bénédictines désaffecté depuis sa liquidation judiciaire du 8 août 1904. Il a été racheté par Henry Cauzard pour un projet immobilier qui ne s'est pas fait. Dès lors vacant, celui-ci va louer son rez-de-chaussée à l'Union fraternelle des syndicats ouvriers. Ce bâtiment existe toujours à usage d'habitations, à l'angle de la rue Victor Hugo et du boulevard Victor Duhamel.

Une Bourse du Travail à Mantes-la-Jolie

Le Journal de Mantes du 14 octobre 1908 décrit sur deux page son inauguration sous le titre "La Fête du travail". Extraits:

"L'Union fraternelle a dignement inauguré, dimanche dernier, son siège social(...). Cette grande salle servira aux assemblées générales et aux réunions des différents groupes syndicaux. Indépendamment de cette salle, la Bourse du Travail de Mantes comporte des bureaux et des dégagements convertis pour la circonstance en cuisines et en offices(...).

A onze heures, les maçons, les menuisiers, les peintres, les employés des chemins de fer, les luthiers, les métallurgistes sont réunis; parmi eux se trouvent M. Goust, Maire, Buron, Lebret, Marignier, Royer, Legendre, le Dr Godeau, conseillers municipaux. M. Ribot, secrétaire général de l'Union, entouré des secrétaires des différents groupes, convie les assistants à s'approcher d'une table chargée de verres, de bouteilles et de gâteaux, et adresse aux conseillers les paroles suivantes:

"Jusqu'ici, ne pouvant fonctionner individuellement, il ne nous était pas permis d'obtenir toute la cohésion nécessaire pour l'amélioration de la classe ouvrière telle que nous pouvons l'espérer et par l'application des nouvelles lois ouvrières qui, hélas, sont trop méconnues.

Avec notre Bourse du travail, ou en dehors de notre administration intérieure, nous organiserons des conférences tant pour l'éducation morale que pour approfondir les connaissances professionnelles, nous établirons également des permanences où tout le monde pourra venir chercher les renseignements nécessaires...

Notre but est encore plus étendu et vous connaissez tous les sentiments qui nous animent pour les poursuivre, sans nous éloigner de nos devoirs, mais néanmoins avec toute la fermeté que nous confère notre droit.

Vive la République démocratique et sociale! (...)"

L'Union rassemble six syndicats à cette époque, car les ouvriers boulangers et porteurs de pains, les papetiers ou les chapeliers ne sont pas d'accord avec sa ligne réformiste.

Rue de la Gabelle.

Le conseil municipal du 16 février 1922 décide du transfert de la Bourse du travail au 14, rue de la Gabelle, dans une partie de l'ancienne sous-préfecture. En effet, la ville a racheté à Henry Cauzard l'ancien couvent pour en faire des logements à bon marché pour les familles ouvrières.

Ce sont des syndicats divisés entre CGT confédérée et CGT unitaire qui prennent possession de leurs nouveaux locaux. Pour se réunir, "une salle délabrée où les murs sont en fibrociment et l'éclairage fait de malheureuses lampes de puisatiers", écrit le Journal de Mantes en mai 1922. Il est vrai que la scission syndicale fit perdre des adhérents aux uns comme aux autres.

Mais dans le Mantois, la presse semble montrer la CGTU  prédominante. Pour autant, le nombre de syndiqués des deux unions locales est lui largement inférieur à celui d'une seule organisation aux lendemains de la Première Guerre mondiale.

En 1928, le conseil municipal de Mantes du 23 février décide de faire démolir ce qui tient lieu de Bourse du travail. "Elle était dissimulé dans des ruines branlantes", écrit le Journal de Mantes en décembre 1927. Lors du conseil municipal du 16 novembre, Auguste Goust annonce les travaux de la nouvelle Bourse du travail terminés. Elle se situe rue de Lorraine (actuellement sur la gauche du cinéma multiplex).

Rue de Lorraine

Les 47 851F du coût ont été subventionnés par Mantes, Mantes-la-Ville et Limay proportionnellement à leurs nombres d'habitants. Une convention est passée entre la ville de Mantes et les syndicats qui délèguent 2 représentants  (un CGTU et l'autre CGT) pour régler les questions de fonctionnement; les syndicats en ont la jouissance gratuite.

Place Henri Dunant

 La rue de Lorraine s'agrandit en place de Lorraine, puis en place Henri-Dunant. Ci-dessous, le bureau de la CGT réunifiée devant la Bourse du travail en 1937.

 

Une Bourse du Travail à Mantes-la-Jolie

Assis de gauche à droite: Robert Boursier (bâtiment; ex-unitaire), Marcel Barbot (cheminot; ex-confédéré), Mme Lesné (papeterie; ex-confédérée), Gabriel Roulleau (métaux; ex-unitaire), François Morin (CIMT; ex-confédéré). Debout de gauche à droite: Robert Carrée (Buffet-Crampon; ex-confédéré), A. Rolland (commerce; ex-unitaire), Paul Greffier (cheminots; ex-unitaire), Louis Crochet (maçon; ex-unitaire).

Période faste pour le syndicalisme local avec l'avènement du Front populaire. Gabriel Roulleau, secrétaire de l'Union locale réunifiée, annonce le "six millième syndiqué" au meeting tenu à la Bourse du travail pour le 1er mai 1937. A cette époque, l'Union locale rayonne dans le Mantois, sur la zone territoriale des Mureaux et  aussi sur le canton de Magny-en-Vexin.

Située en plein coeur de la ville, sinon du Mantois, la Bourse du travail va atteindre toutes les fonctions fixées à son origine: réunions des syndiqués et secours à leur encontre, notamment pour les chômeurs; bibliothèque; permanences juridiques; cours professionnels et écoles syndicales; conférences en tout genre. A titre d'exemple, celle de Georges Lefranc, professeur agrégé d'histoire et responsable national du centre confédéral d'études ouvrières, en mars 1938, sur "la physionomie du syndicalisme français".

Les instituteurs syndiqués ouvrent des cours pour compléter l'instruction des syndicalistes ouvriers: français, grammaire, élocution, droit constitutionnel, géographie économique, histoire sociale et économie politique. Des étudiants viennent consulter les archives de la Bourse du travail et sa bibliothèque pour leur cursus ou en vue de soutenir une thèse.

Le 23 avril 1938, le maire de Mantes inaugure la nouvelle grande salle de réunion. Son conseil municipal a voté 60 000F de travaux, considérant que "depuis juin 1936, avec le développement des syndicats existants, la création de nouveaux syndicats et l'augmentation du nombre de syndiqués, les locaux sont devenus de ce fait complètement insuffisants". Auguste Goust rappelle qu'il fut à l'origine de la première Bourse du travail à Mantes. Mais il oublie de l'avoir confinée ensuite dans une partie exiguë d'une ancienne sous-préfecture délabrée. Après Henry Raynaud, responsable des syndicats de la région parisienne, les festivités se sont achevées par une soirée artistique avec les plus grands noms des grandes salles de spectacle de la capitale.

Une Bourse du Travail à Mantes-la-Jolie

Décembre 1939-août 1944.

Cette belle unanimité syndicale ne dure pas. La Confédération générale du patronat français veut sa revanche et fonde le Comité de prévoyance et d'action sociale, structure politique pour le soutenir par tous les moyens. De cette structure émane le tristement célèbre "mieux vaut Hitler que le Front populaire". Dans le Mantois, la quasi-totalité des conseillers prud'hommes du collège employeurs démissionnent. Et la "pause sociale" décrétée par  Léon Blum, socialiste et chef du gouvernement, arrange bien le patronat en 1937.

En 1938, la République espagnole agonise et le PCF reste son unique défenseur parmi les formations du Front populaire. Avec le traité de Munich en septembre 1938, toute la classe politique crie haro sur les communistes qui n'ont pas avalisé ledit traité laissant les mains libres en Europe à Hitler : les radicaux rompent tout lien avec le PCF et la SFIO adopte une fausse neutralité.

Au niveau de la CGT, les mêmes fractures apparaissent entre Léon Jouhaux, secrétaire général proche de la SFIO, chef du courant majoritaire confédéral, Benoît Frachon, communiste et responsable des minoritaires, et René Belin, secrétaire-adjoint confédéral, lui à la tête d'un courant pacifiste qui soutiendra la collaboration prônée par Pétain. Le congrès de la CGT à Nantes, en novembre 1938, acte une alliance tacite entre Léon Jouhaux et René Belin contre les communistes.

Le pacte de non-agression germano-soviétique, en août 1939, ouvre la boite de Pandore. En septembre, le PCF est interdit, la Confédération chasse tous les communistes de ses rangs et le gouvernement dissout 620 structures syndicales dont l'Union locale CGT de la région, car dirigée par Raymond Roulleau et Paul Greffier, militants du PCF. Dans le Mantois, le Secours populaire et l'Association républicaine des anciens combattants sont aussi dissouts pour les mêmes raisons.

La Bourse du travail est réquisitionnée pour devenir le Foyer du soldat, courte période avec la débâcle des armées françaises et l'Occupation allemande qui s'ensuivent. Le Foyer du soldat devient  le siège jusqu'en 1944 du Secours national, officine pétainiste. Le contenu de la bibliothèque et les archives de la Bourse du travail disparaissent à tout jamais. Seuls ont été sauvés, puis dissimulés, grâce à la complicité d'un policier gradé, la ronéo et du papier à imprimer, ainsi que quelques bannières syndicales. Gabriel Roulleau est interné à Aincourt, puis Rouillé et Pithiviers. La machine à imprimer servira à l'embryon résistance, composé de 4 personnes, pour diffuser les premiers tracts communistes.

Les syndicats, sous le régime de Vichy et l'Occupation, vont être cantonnés dans un local, rue Thiers. Ils n'ont plus aucune action revendicative et adoptent la Charte du Travail et le syndicat unique en découlant entre employeurs et employés.

Août 1944, Libération du Mantois.

Après sa libération du camp de Pithiviers, revenu à Mantes, Gabriel Roulleau retisse le réseau de syndicalistes qui ne sont pas fourvoyés dans la Charte du travail du régime de Vichy. Beaucoup de ses camarades sont tombés, parce qu'ils se sont levés contre la barbarie nazie et le régime collaborationniste pétainiste. Mais d'autres ont survécu, ils sortent au grand jour de la clandestinité, ils sont libérés de la prison, ils reviennent des camps de concentration. Ils souhaitent à nouveau des lendemains qui chantent pour la France.

La CGT, en la personne de Gabriel Roulleau, va réinvestir la Bouse du Travail pour aider à la reconstruction de la région. Mais attention, énonce le premier communiqué de l'Union locale, gare aux employeurs qui saboteraient l'action entreprise par la confédération. Il ne faudrait pas oublier que le patronat, dans sa quasi majorité, n'a pas résisté à l'Allemagne nazie.

Le  31 décembre 1944,  Gabriel Roulleau est réélu secrétaire général de l'Union locale. Et devant l'importance des tâches à accomplir, en plus de l'action syndicale, il devient membre de l'ex-Comité clandestin de libération devenu Comité de l'arrondissement de Mantes.

Le 1er mai 1945, les bannières syndicales, du moins celles qu'on avait pu dissimuler, sortent au grand jour. Celle des cheminots, hissés malencontreusement en gare d'Epône-Mézières, avant la libération totale du Mantois, fut volée par les Allemands lors de leur retraite.

La suite dans un prochain article...

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