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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

capture d'écran

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Cela se passa autrefois. Il neigeait très fort sur le petit village de Cucugnan en cette nuit du 24 décembre et les bourrasques du Cers avaient d’autant plus désorienté le père Noël. Il faut dire qu’une telle inclémence du temps en pareille époque n’avait jamais encore existé dans ces Corbières, de mémoire de villageois. Si bien, lors de sa tournée pour apporter des joujoux par milliers, le père Noël s’égara dans le ciel sans étoile ni lune. Il prit le clocher de l’église Saint-Julien-et-Sainte-Basilisse pour une cheminée. Voilà comment il déboucha au milieu des cloches. Puis s’apercevant de sa bévue, il redescendit aussitôt tout en bas, par l’une des cordes.

Il atterrit pile devant monsieur le curé en train d’apprêter l’autel pour la messe de minuit. L’abbé s’interloqua à cette surprenante apparition dans un édifice consacré exclusivement à Dieu. Tout d’abord, le prêtre crut à l’un de ces désordres fomentés par quelques paroissiens. Chaque fin d’année voyait mener grand tapage aux portes et aux volets de la commune. On perpétuait le temps révolu des mœurs païennes afin de chasser les mauvais esprits jusqu’à l’an neuf, comme si les dévotions chrétiennes ne suffisaient pas.

Mais non, ce vieux bonhomme placide et souriant, avec sa barbe blanche, sa hotte sur le dos et sa houppelande rouge, n’était en rien l’instrument du tintamarre hérétique coutumier. Et le clerc sursauta lorsque ce visiteur insolite lui affirma, le plus naturellement du monde, être le père Noël en chair et en os.

« Mon Dieu », s’exclama l’homme d’église en se signant. Il avait suivi le petit et le grand séminaire, il lisait en latin les dogmes, il savait donc pertinemment que le père Noël n’était que pure imagination, pire, un culte mercantile pour vendre des jouets, au lieu de célébrer la Nativité.

Le père Noël remarqua ce franc désarroi. Il en rit gentiment, puis décida de sortir de l’église. Il n’aurait jamais assez d’arguments pour convaincre l’ecclésiastique et trop de cheminées l’espéraient avant qu’il ne regagne les petits nuages où il logeait le reste de l’année. Toutefois, avant de franchir le perron, il cligna de l’œil au prêtre toujours éberlué en lui disant : « En cette nuit, j’apporte des présents aux petits enfants et aussi aux plus grands qui ont du cœur à revendre ! »

Plus tard et à l’heure dite, la messe de minuit se déroula sans anicroche et son officiant ne songea plus à ces élucubrations.

Il ne neigeait plus lorsqu’il repartit vers le presbytère. Le vent de Cers s’était endormi dans le Nord-ouest et avait découvert tous les astres du ciel. Le prêtre regarda les cieux étoilés et, nouvelle stupéfaction, il sembla qu’une comète lui adressait une bonne nuit. Il ferma ses yeux brusquement et secoua plusieurs fois sa tête en signe de dénégation. Quand il les rouvrit, ce fatras avait disparu entièrement de la constellation et cette nuit de Noël restait scintillante sur la terre comme au ciel.

Le curé rentra chez lui, son cœur soulagé. Après les fêtes, il consulterait son médecin sur ses hallucinations. Pour l’instant, il avait placé deux souliers devant sa cheminée, comme autrefois quand il était tout petit. Certes, chaque veille de Noël, il battait sa coulpe en accomplissant cette pure sottise ; or il renouvelait la même stupidité avant le 24 décembre.

Mais en cette très chrétienne nuit, quelque chose attira son regard. Une chaussure contenait un enfant Jésus en sucre rose, l’autre un père Noël en chocolat. Alors les croqua-t-il à petits bouts, ses yeux clos de ravissement, sans penser commettre un péché. Et provenant de son cœur, dans sa tête, retentirent les cloches de Noël de sa tendre enfance, à cet âge où l'on croit encore à des rêves merveilleux. Et ce fut bien.

Bien sûr, cette histoire n’a rien à voir avec celle du curé de Cucugnan qu’Alphonse Daudet a consacré dans ses Lettres de mon moulin. Les ailes de celui-ci tournent en Provence, pas dans le département de l’Aude, au creux des Corbières dans lesquelles se niche véritablement le  village de Cucugnan.

Et dans ce tout petit bout du Languedoc, croyez-moi, le vent de Cers, ou les cigales en été, vous en racontera des belles, si vous les écoutez chanter.

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J
Merveilleux conte de Noël plein de fraîcheur digne du poète qui se cache chez Roger<br /> Merci je retrouve le sentiment inoubliable de on enfance
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