"Je suis inquiet" par Maurice Martin, professeur honoraire d'histoire à Mantes-la-Jolie
Comme d'autres pour une république vraiment sociale, démocratique et laïque, j'ai reçu ce courrier que je partage:
"Je suis inquiet…
Dans un article du Monde de dimanche 21 / lundi 22 février 2021, intitulé : « Malgré la crise, Macron pense déjà à 2022 », le journaliste cite Stanislas Guerini, délégué général de LREM : « Les démocraties ne doivent pas rester désarmées face aux fake news (…) De ce point de vue, la campagne de 2022 va être assez sale », et plus loin : « L’affrontement sur ce terrain se déroulera avant tout avec l’extrême-droite ».
Stanislas Guerini a, outre un certain cynisme nauséabond, le mérite de la franchise et annonce la couleur : « Une campagne assez sale » affrontant « l’extrême-droite » !
Chacun sait que le scénario idéal pour que Macron ait les meilleures chances d’être réélu en 2022, est qu’il soit de nouveau face à Marine Le Pen au second tour.
Même si, paraît-il, les sondages indiquent que 70 % des Français souhaiteraient un autre scénario, c’est tout de même à cette hypothèse qu’on voudrait nous préparer.
Ainsi, le dernier débat télévisé entre Marine Le Pen et Gérald Darmanin, à la veille du vote de la loi sur le « séparatisme » (même si elle porte désormais un autre nom), au cours duquel Gérald Darmanin s’est permis de reprocher à Marine Le Pen sa « mollesse » en matière de lutte contre « l’islamisme politique », l’incitant, de manière « assez sale », à une forme de surenchère sur ce sujet qui est, habituellement, l’un de ses domaines de prédilection.
Et voilà qui donne un éclairage presque aveuglant sur les débats délirants qui se sont succédé ces derniers jours à propos, d’abord, du « prof de Trappes », puis de « l’islamo-gauchisme ».
L’affaire du « prof de Trappes » s’est rapidement dégonflée après que certains médias (comme BFM, oui, même BFM ! Trappes, chronique d'un emballement médiatique - YouTube) ont montré qu’il avait menti à peu près sur tout, ce qu’il a, d’ailleurs, assez vite reconnu. Qu’importe, le mal est fait !
Et les habitants de Trappes mettront sans doute quelques dizaines d’années avant de se remettre de ces dénonciations frauduleuses ou, pour le moins, exagérées, apparues fort opportunément au moment du vote de la loi et du débat évoqués ci-dessus.
J’ai vécu la même situation à Mantes la jolie en 1992 où, après une altercation à la patinoire de la cité qui n’avait rien à voir avec les « problèmes de banlieue », les médias ont déferlé sur la ville, multipliant les reportages frauduleux, en filmant, notamment, une station-service désaffectée depuis trois ans, mais présentée comme ayant été incendiée par les « jeunes issus de l’émigration » au cours des affrontements qui venaient d’avoir lieu. Deux ans plus tard, alors que mon lycée ne demandait rien à personne, sinon de nous laisser travailler tranquilles, celui-ci devenait l’un des « cobayes » de la future loi sur le « foulard islamique », entrainant trois semaines de désordres et de confusion, dont il fut question jusqu’en Iran !
Après les dégâts provoqués par ces « opérations » politico-médiatiques, ma ville et mon lycée ont mis 10 ou 15 ans à rétablir une réputation à peu près normale !
Au fait, qu’est devenu le pauvre « prof de Trappes » contraint de quitter l’Education Nationale ? Il est nommé « chargé de mission » grâce à l’appui bienveillant du cabinet de Marlène Schiappa, puisque c’est là qu’a été mis au point le « coup monté » (cf. Médiapart et le Canard enchainé).
Et puisque cette opération a été assez rapidement éventée… Il a fallu en inventer une autre qui ait quelque chance de durer plus longtemps et de marquer le démarrage de cette « campagne de 2022 »… Comment dites-vous déjà ? Ah oui ! « assez sale ».
Ce fut et c’est « l’islamo-gauchisme ». Peu importe que cette expression ne corresponde à aucune définition scientifiquement avérée, en tout cas en France (°), l’anathème est jeté tout azimut et, notamment, sur le milieu universitaire.
Du coup, la « laïcité » est brandie par ceux qui l’ignoraient jusqu’à maintenant et qui ne l’évoquent aujourd’hui que quand il est question des musulmans et contre eux, les médias se déchaînent (°°), les thuriféraires habitués des plateaux télévisés – toujours les mêmes, quel que soit le sujet – dénoncent doctement les « décoloniaux », les « racialistes », la « cancel culture » américaine, le « féminisme radical » ( ?) et j’en passe…
Plus personne n’y comprend rien, mais peu importe, l’objectif nauséabond reste le même que pour l’opération « trappiste » : dénoncer l’islamisme politique (ce que fait l’écrasante majorité de la population française, toutes tendances confondues, et moi le premier !), mais aussi dénoncer ceux qui se refusent à faire l’amalgame caricatural entre « islamistes » (a fortiori terroristes) et « musulmans » (dont la majorité entend pratiquer un Islam « tranquille » et compatible avec les lois de la République, ce que confirment toutes les enquêtes sérieuses).
L’hystérie actuelle assimile à l’islamo-gauchisme ceux qui refusent cet amalgame. Elle tente de les disqualifier alors qu’ils veulent garder le sens de la nuance et éviter de dresser les populations les unes contre les autres en défendant une laïcité authentique, celle de la précieuse loi de 1905, qui reconnaît d’abord la liberté de conscience, ainsi que le libre exercice des cultes, dont l’Etat n’a pas à se mêler et dont ils n’ont pas, en retour, à chercher à lui imposer leur « vision du monde ».
Oui, je suis inquiet.
Car il est probable que cette « sale campagne » annoncée par le camp présidentiel, mettant au défi l’adversaire d’extrême-droite qu’il s’est choisi, d’être moins « mou » que lui dans ces amalgames et ces provocations savamment orchestrées, nous amène à des tensions extrêmes et dévoyées, masquant les enjeux essentiels de la situation, notamment les carences et l’incurie avec laquelle a été et est encore gérée la situation épidémique.
A nous de ne pas tomber dans le panneau… d’autant qu’on est prévenus du scénario !
Maurice Martin (Professeur d’histoire honoraire).
(°) Un intellectuel d’extrême-gauche anglais a théorisé cette notion en prétendant que, plutôt que le prolétariat traditionnel anglais affaibli par la désindustrialisation, ce sont les minorités émigrées pauvres, essentiellement musulmanes, qui sont devenues les principales forces révolutionnaires, d’où l’expression « islamo-gauchisme ».
Aucune force politique conséquente n’a repris cette idéologie en France.
(°°) Cette même semaine, un historien a trouvé dans les archives la preuve formelle de l’implication de notre pays dans le génocide rwandais de 1994 (800 000 morts !). Y’a-t-il eu une seule émission, un seul débat sur cette honteuse responsabilité de mon pays dans ce massacre faussement présenté comme un « conflit ethnique » ?"