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Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

Il était une fois une toute petite fée.

Mais c'était aussi une très vilaine petite fée, adepte plus volontiers de l’école buissonnière que de s'asseoir sagement en cours de magie. Elle était pourtant très douée, capable de faire tomber de la neige en été ou de glisser sur un rayon de soleil sans se brûler les ailes. Mais elle préférait partir pirouetter comme une folle dans le vent, au lieu de suivre les doctes enseignements de ses professeurs. Elle aurait pu être la meilleure de toutes ses sœurs, mais ne le fut pas. Elle obtint néanmoins son diplôme de fée, mais comme dernière de sa classe, le Maître du temps la relégua sur la plage de Port-la-Nouvelle: hormis l'été, elle était désertée par le genre humain.

Aussi, dès la mauvaise saison, quand le Cers ravageait le sable ou lorsque la Méditerranée l’inondait, la petite fée s’ennuya fort dans cet immense espace abandonné. Alors joua-t-elle à courir au milieu des chevaliers gambettes, ces minuscules échassiers qui s’égaillaient comme des fous le long du rivage languedocien.

Elle rentrait alors au pays des fées, trempée des pieds à la tête et ses ailes complètement ébouriffées, pour avoir pataugé toute la journée au bord de l’eau. Bien sûr, le Maître du temps la réprimandait sévèrement, car une bonne fée devait disposer d‘une autre posture et non ressembler à une souillon. Mais dès le lendemain, elle oubliait ces remontrances.

Puis elle grandit et devint une fort belle et jeune fée. Ce qui ne l’empêcha nullement de faire la folle avec ses amis les chevaliers gambettes. Et l’été, les mamans n’entendirent jamais pourquoi leurs progénitures établissaient des pâtés hauts comme s’ils édifiaient la muraille de Chine et qu’ils pirouettaient parfois dans les airs. A la grande damnation du Maître du temps.

Un été, apparut sur la plage un bel estivant. Port-la-Nouvelle, station balnéaire, en accueillait des ribambelles plus chaque année. C’était un jeune homme descendu du Nord dans le Midi pour les vacances. il avait l’allure d’un prince charmant, à faire pâmer toutes les jeunes filles.

Notre fée tomba sous ce même charme. On pouvait être immortelle et s’amouracher d’un qui ne l’était pas. Mais ce bellâtre fut très méchant avec notre petite fée. Il enviait celle qui pouvait voler de ses propres ailes. « Quand je suis en ta compagnie, je crois avoir un hanneton à mes côtés. Ou bien alors, exauce que je puisse m’envoler dans les airs comme toi », lui ricana-t-il un jour.

Mais depuis Icare, le Maître du temps interdisait formellement d’accorder à un être humain le droit de voler. Et il gronda sévèrement la fée qui était follement amoureuse d’un qui n’était pas galant pour deux sous.

« Si je ne puis faire qu’il soit l’égal d’un oiseau, je vais donc supprimer mes ailes et être comme ceux du genre humain, s’entêta cette dernière. N’en ai-je pas le pouvoir ? ». Ainsi fut dit et ainsi fut fait.

Or tout le monde le sait, les bonnes fées ne sont pas plus hautes que trois pommes. Et sans cet attribut magique leur permettant de voler, elles n’intéressent plus personne. Les enfants ignorèrent donc cette toute petite et insignifiante chose. Et parce qu’il ne put jamais sillonner les airs, le beau damoiseau ne lui parla plus du tout.

L’été s’acheva, la plage se dépeupla et le prince charmant partit ailleurs à tout jamais. Les chevaliers gambettes reprirent leur course effrénée au bord de l’eau. Mais une petite fée, sans ses ailes, ne put jamais suivre leur train. Car même une magicienne ne peut remettre en place ce qu’elle avait détruit par pure bêtise. Alors erra-t-elle, l’âme en peine, de l’aube jusqu’à la tombée du jour.

Un soir, des cormorans survolèrent la plage. Ils partaient nicher pour la nuit dans les marais salants. L’un d’eux aperçut un petit bout de chose qui semblait frétiller comme un poisson. Il plongea sur cette proie et la goba toute crue.

Un jour, un peu avant Noël, sur cette même plage, les yeux d'un homme s'écarquillèrent. Son regard découvrit un reflet étincelant sous le soleil hivernal. Il courut vers ce qu'il prit pour une petite fée. Mais ce ne fut qu’une vieille canette qui l’avait ébloui comme un miroir aux alouettes. 

Après le premier de l'an, il quitterait son pays pour aller travailler ailleurs et prendrait le train, vaincu par le chômage endémique en Languedoc. Et passant devant le mur ruiné d'une vieille tonnellerie à l'abandon, il lirait: "Lo tren s'en va e tu amb el*"

* Le train s'en va et toi avec lui

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S
conte tres beau mais un peu triste on se croirait à notre époque avec tous nos problemes
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