Comment ça va chez vous? Ah, vous n'êtes pas premier de cordée?
Un peu comme moi alors. Fils d'ouvrier et petit-fils de prolétaires, je suis né à Narbonne après guerre dans un quartier ouvrier. Ma mère accouche chez elle, la clinique privée était pour les premiers de cordée de Narbonne et l'hôpital ressemblait à un mouroir pour les vieillards et les indigents.
Pas de chauffage central ni d'eau chaude et un seul cabinet de toilettes à la turque pour tous les locataires de l'immeuble. Lorsqu'il faisait froid, la nuit, on éteignait la cuisinière du rez-de-chaussée pour ne pas mourir asphyxié durant notre sommeil. Pour se mettre au lit au premier, on enflammait de l'alcool dans des boites de conserve et puis on reposait nos pieds sur des briques chauffées en bas. Ben oui, nous n'étions pas premiers de cordée.
Mon père, tonnelier de métier, a connu le chômage. Son patron a préféré délocaliser SA tonnellerie dans un autre département plus porteur en profits. Putain d'existence pour ceux qui ne sont pas premiers de cordée.
J'étais bon élève. Après l'école primaire, le collège et toujours bon en classe. Un copain pareil. Son paternel était lui premier de cordée dans le commerce et la vigne. Mon copain a fait souche dans l'Aude et pris un emploi en concordance avec sa situation familiale. Moi j'ai pris le train pour la SNCF en région parisienne, le chômage déjà endémique dans les années 1970 dans l'Aude. D'ailleurs, mon frangin et mes cousins germains ont suivi le même exil. Normal dans un immeuble prolétarien où personne n'était premier de cordée.
Aujourd'hui, le locataire du palais de l'Elysée, sans doute premier de cordée, dit qu'il ne faut pas être jaloux des premiers de cordée, qu'il faut faire avec, sinon c'est la catastrophe pour la France, l'Europe et le monde.
Est-ce que je suis un jaloux impénitent, moi qui depuis que je bosse, j'ai été dans le camp de ceux qui foutaient le bordel?
Jaloux peut-être pas. Mais lorsque j'entends Liberté Egalité Fraternité au nom de la République française, je suis bougrement partisan de la lutte des classes et il faut que le monde change de base. Sans compromission avec le capitalisme que d'aucuns dénomment libéralisme pour mettre plus de flou dans les esprits.
Et ce ne sont pas Emmanuel Macron et ses aboyeurs publics et privés, ni la gôche ou ses rejets, qui vont me faire changer d'idée. Bien au contraire.